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Cameroun : la légalité de la riposte gouvernementale à la Covid-19

En riposte à la pandémie covid-19, le gouvernement camerounais a rendu publique une Déclaration spéciale du Premier ministre du 17 mars 2020, instituant treize mesures tendant à limiter la propagation de la maladie. Elles seront renforcées le 9 avril 2020 par sept mesures complémentaires.

La gravité de ces mesures s’évalue au regard des atteintes significatives qu’elles font subir aux droits et libertés fondamentaux : à la liberté d’aller et venir par la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes ; à la liberté d’association ou de réunion par l’interdiction des rassemblements de plus de cinquante personnes ; au droit à l’éducation par la fermeture des écoles, collèges, universités et centres de formation professionnelle ; à la liberté de commerce par la fermeture partielle des lieux de loisir, des restaurants et des débits de boissons ; au droit de propriété par le droit de réquisition des lieux d’hébergement et des formations sanitaires privées ; à la liberté de culte par la fermeture des mosquées et églises et par l’obligation d’inhumer immédiatement et sur place toutes les dépouilles consécutives à la covid-19 sans les rituels habituels, etc.

La question qui se pose sur le terrain juridique est celle de savoir si ces atteintes, motivées par le risque sanitaire, ont été prises en respect de la légalité. Car, il est de principe que les restrictions aux droits et libertés fondamentaux ne peuvent peuvent intervenir que dans des conditions strictement définies. Ainsi, au-delà des exigences de fond relatives à l’urgence et la nécessité de la restriction, des formes spéciales à observer impérativement ont tout simplement été ignorées. L’illégalité des mesures de riposte prises au Cameroun découle d’abord de ce qu’elles ont été instituées par un simple communiqué de presse (I), alors que la situation commandait que soit mobilisé le régime de l’état d’urgence (II).

L’absence de valeur juridique propre des communiqués de presse

Les différentes réactions du gouvernement camerounais face à la propagation de la covid-19 se sont exprimées jusqu’à ce jour par des actes dont aucun n’a pris la forme ordinaire des textes à caractère législatif ou même règlementaire. Les treize premières mesures prises le 17 mars 2020 ont été rendues publiques par une Déclaration spéciale, donc verbale, du Premier ministre, avant d’être diffusées dans un document écrit intitulé « Stratégie gouvernementale de riposte face à la pandémie de coronavirus (covid-19).

Les sept mesures complémentaires du 9 avril 2020 interviendront dans la même forme. On se demande alors si par un communiqué de presse, on peut valablement restreindre les droits et libertés fondamentaux garantis par la constitution.

C’est en vain que l’on recherchera l’allusion aux communiqués parmi les sources ordinaires du droit dans les ouvrages de théorie ou d’introduction générale au droit. L’on reconnaît, certes, le rôle d’accompagnement de la création du droit que jouent de nos jours les communiqués de presse, parce qu’ils aident de plus en plus à transmettre l’information juridique, à compléter la motivation des textes juridiques ou des décisions de justice pour les rendre plus intelligibles, sans pour autant se substituer à la source originelle qui a seule vocation à s’imposer et à être éventuellement sanctionnée en cas de non-respect.

A la limite, « les engagements formulés dans les communiqués, sont essentiellement des engagements de nature politique ». Des analyses qui précèdent, l’on retient que le communiqué n’a aucune valeur juridique contraignante propre. Il peut donner du sens à un texte ou un arrêt préexistant, mais ne serait pas suffisant pour créer des obligations, à plus forte raison, instituer un état d’urgence de fait.

Au maximum ne peut-il être invoqué que contre l’Etat ou l’autorité signataire dont il émane, pour lui opposer des engagements qu’il/elle y aura souscrits envers le public. Il n’est donc pas erroné de soutenir que les mesures prescrites par le Premier ministre à travers des communiqués de presse manquent de juridicité.

A la suite du Premier ministre, les autorités publiques, à divers niveaux, ont pris des actes pour relayer à la base, les mesures instruites du sommet de l’Etat. C’est ainsi que le 24 avril 2020, par un message-fax, le ministre de l’Administration territoriale demandera à son tour aux gouverneurs des dix régions d’interdire dans leurs unités de commandements respectives, tout transfert de corps consécutif à la covid-19. L’appel du ministre de l’Administration territoriale offrira l’occasion aux autres gouverneurs et préfets de prendre surtout des messages-portés pour proscrire les transferts de corps.

Qu’il s’agisse de messages-fax ou de messages portés, on reste en présence de simples documents d’informations autrement baptisés dont l’autorité ne change pas de celle des communiqués de presse. Ils demeurent des actes sans aucune valeur juridique contraignante propre. On peut alors comprendre les hésitations des autorités judiciaires à engager des poursuites pénales réclamées par le Premier ministre, à l’encontre des récalcitrants au respect des mesures instituées. Seule la mise en branle du régime légal de l’état d’urgence aurait pu infléchir toute résistance.

L’impératif de la mobilisation du régime de l’Etat d’urgence

Dans leur contenu, les mesures instituées par les communiqués successifs du Premier ministre affectent les droits et libertés fondamentaux individuels et collectifs à l’échelle de tout le territoire national. Ces mesures n’avaient donc pas qu’un rapport direct avec l’enjeu sécuritaire, mais allaient bien au-delà. La conscience de la portée étendue des précautions qu’impose la réaction efficace contre la pandémie a poussé certains pays, comme la France, à élaborer et à publier une loi spéciale organisant l’état d’urgence sanitaire. Si certains auteurs, soutenus par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), ont jugé qu’on pouvait se passer de ce nouveau régime régime d’exception, le Conseil d’Etat français a plutôt estimé que « l’existence d’une catastrophe sanitaire rend utile un régime particulier de l’état d’urgence pour disposer d’un cadre organisé et clair d’intervention en pareille hypothèse ». La constance qui se dégage des avis qui précèdent, c’est la conviction partagée selon laquelle la situation créée par la pandémie covid-19 et les mesures qu’elle impose ne pouvaient valablement être traitées qu’en recourant au régime aménagé pour faire face aux circonstances exceptionnelles.

Relativement au Cameroun, la constitution énonce à son article 9 que « (1) Le président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer par décret, l’état d’urgence’ qui lui confère des pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi. (2) Le Président de la République peut, en cas de péril grave menaçant l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance ou les institutions de la République, proclamer, par décret, l’état d’exception et prendre toutes mesures qu’il juge nécessaires.

Il en informe la Nation par voie de message ». Même si la pandémie covid-19 est traitée comme une « guerre » dont on sait qu’elle est venue d’un pays étranger – la Chine-, elle n’est objectivement pas de nature à menacer ni l’intégrité du territoire, ni la vie, l’indépendance ou les institutions de la république. Ne pouvant fonder un recours à l’état d’exception, il reste à voir si la covid-19 est de nature à correspondre à l’un des cas ouvrant recours au régime de l’état d’urgence.

Quoique comparaison ne soit pas raison, l’on peut déjà tirer argument de la loi française du 23 mars 2020 susmentionné dont l’objet est d’instituer et d’organiser un état d’urgence sanitaire consécutif à la covid-19. Mais plus sérieusement, il importe de confronter la covid-19 aux cas et conditions prévus par la loi n° 90/047 du 19 décembre 1990 relative à l’Etat d’Urgence.

Il est dit à l’article premier de cette loi que « l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire national : soit en cas d’événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique ; soit en cas de troubles portant gravement atteinte à l’ordre public ou à la sûreté de l’Etat ; soit en cas d’agression venant de l’extérieur ».

Des trois cas énoncés par la loi comme justifiant le recours à l’état d’urgence, seul le premier est digne de retenir l’attention pour une confrontation à la covid-19. En empruntant les pertinents arguments d’Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, chacun peut conclure qu’ « il n’est pas difficile de soutenir qu’une catastrophe sanitaire constitue bien un cas possible de calamité publique». C’est cette interprétation qui aura conduit certains pays comme le Portugal, le Gabon, le Sénégal, la Côte d’ivoire, à déclarer l’état d’urgence du fait de la covid-19, sans avoir à passer par une nouvelle loi d’aménagement d’un nouveau régime spécifique au risque sanitaire comme en France.

A partir du moment où les conditions du recours à l’état d’urgence étaient remplies, il devenait impératif de se conformer aux exigences que cette circonstance impose, pour que la mise entre parenthèse des droits et libertés fondamentaux soit justifiée. Le texte constitutionnel impose trois modalités précises de gestion de l’état d’urgence : la compétence exclusive du président de la République pour le proclamer ; la proclamation de l’état d’urgence par décret et enfin l’impératif d’un message à la nation à cet effet. Ni l’une, ni l’autre modalité n’a été respectée.

En intervenant comme décrit ci-dessus dans les circonstances de la grave crise sanitaire qui commandait la mobilisation du régime de l’état d’urgence, le Premier ministre a outrepassé ses attributions et a rendu corrélativement sans valeur, les actes pris dans le cadre de la riposte tant par lui-même que par les autorités administratives inférieures. En effet, l’article 3, alinéa 2 de la loi relative à l’état d’urgence prescrit que « le décret instituant l’état d’urgence précise : la ou les partie(s) du territoire soumise(s) à l’état d’urgence ; la durée de celui-ci qui ne peut excéder trois mois ; les autorités administratives habilitées à prendre les mesures consécutives à la proclamation de l’état d’urgence ».

Il transparait clairement de ce texte que c’est en vertu du décret proclamant l’état d’urgence que les diverses autorités compétentes reçoivent l’habilitation pour intervenir dans le cadre de la prévention ou de la lutte contre le risque sécuritaire ou sanitaire. Aussi, à partir du moment ‘où le décret requis a fait défaut, les actes de riposte pris par les ministres, gouverneurs de régions, préfets de départements et maires de communes sont entachés par voie de conséquence du vice d’illégalité formelle. Cette méprise ne contribue qu’à aggraver le sort des citoyens, terrorisés par la peur de contracter la maladie d’une part, et privés sans façon de leurs droits et libertés fondamentaux d’autre part.

Enseignants-chercheurs à l’Université de Dschang.

Par Moïse Timtchueng, Patrick Juvet Lowa Gnintedem, Hervé Martial Tchabo Sontang et Mireille Ndoungue

 

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