Alors que le monde célèbre les 80 ans de la victoire sur le nazisme, retour sur le rôle décisif du Cameroun, territoire sous mandat, dans la légitimation et la reconquête de la France libre.
En ce jour anniversaire de la capitulation allemande, les projecteurs se tournent habituellement vers les plages de Normandie, les héros de Stalingrad ou le débarquement des Alliés. Pourtant, un acteur méconnu a joué un rôle stratégique et salvateur dès 1940 : le Cameroun. Territoire sous mandat français et non colonie, il fut le premier bastion africain à rallier la France libre du général de Gaulle, lui offrant une légitimité territoriale et les moyens de poursuivre le combat contre l’Axe. Retour sur un chapitre occulté de l’histoire de la Libération.
27 août 1940 : Le ralliement qui changea le cours de la guerre
Alors que la métropole française est occupée et que le régime de Vichy collabore, le général de Gaulle, depuis Londres, comprend que sa crédibilité dépend de sa capacité à incarner une « France combattante ». Le 27 août 1940, une audacieuse mission menée par le colonel Philippe Leclerc et son adjoint Claude Hettier de Boislambert aboutit au ralliement du Cameroun à la France libre. Sans effusion de sang, les deux officiers neutralisent les administrateurs fidèles à Vichy et s’appuient sur des réseaux locaux anticolonialistes et antifascistes.
Ce succès est une victoire politique autant que militaire : le Cameroun, administré par la France sous mandat de la Société des Nations (SDN), n’est pas une colonie. Son ralliement permet à de Gaulle de revendiquer une légitimité internationale et de prouver aux Alliés que la France libre contrôle un territoire souverain. « Sans le Cameroun, je n’aurais été qu’un général sans armée et sans terre », écrira-t-il plus tard dans ses Mémoires de guerre.
Une base stratégique pour la reconquête
Le Cameroun devient le socle opérationnel de la France libre :
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Ports et chemins de fer : Le port de Douala et le réseau ferroviaire, hérités de l’époque allemande, permettent d’acheminer troupes et matériel vers les fronts d’Afrique du Nord.
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Levée de troupes : Près de 12 000 soldats camerounais intègrent les Forces françaises libres, formant l’épine dorsale de la « colonne Leclerc ». Ces troupes s’illustreront en Libye contre l’Afrikakorps de Rommel, puis lors de la libération de Paris en 1944.
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Ressources vitales : Le caoutchouc camerounais, expédié vers les États-Unis, pallie la pénurie de l’industrie militaire alliée. Le bois, le cacao et l’huile de palme alimentent l’effort de guerre.
« Le Cameroun était notre poumon économique et notre preuve de crédibilité face à Roosevelt et Churchill », résume l’historien Jean-Baptiste Duroselle.
Un engagement populaire occulté
Derrière les chiffres, des destins individuels témoignent de l’engagement camerounais. Mbong Bayém Silas, futur indépendantiste comme son père Paul Bayém-Ba-Mbong, alors adolescent, collecte des noix de palme pour financer les troupes : « Nous savions que notre combat dépassait les frontières. Même recalé pour l’armée car jugé trop jeune, je voulais contribuer à briser Hitler et ses alliés. » Des récits comme le sien rappellent que la population locale, souvent contrainte par les réquisitions coloniales, a aussi agi par conviction antifasciste.
Un héritage en quête de reconnaissance
Si les Alliés saluèrent en 1940 le ralliement du Cameroun – Churchill y vit « un coup de maître » –, sa contribution s’est effacée des mémoires. En 2025, aucun monument en Europe ne mentionne son rôle. Pire, la France a tardé à verser les pensions des vétérans camerounais, dont beaucoup moururent dans l’indifférence.
« Nous ne demandons pas des réparations, mais une place dans l’Histoire », insiste Samuel Ikoumé, fils d’un tirailleur de la colonne Leclerc. Une revendication soutenue par des historiens : en 2023, l’UNESCO a classé les archives du ralliement du Cameroun au patrimoine mondial, un premier pas vers la reconnaissance.
Conclusion : Le Cameroun, une dette mémorielle
Sources : Archives de la France libre (francelibre.net), Mémoires de guerre (Charles de Gaulle), entretiens avec l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP).