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Analyse du contexte psycho-social de la pandémie du coronavirus, par le Pr Fotso Djemo

Les problèmes de santé, en particulier de santé publique, exigent de se contextualiser : non seulement sur la base des plateaux techniques ou du nombre de personnels soignants et leurs qualifications, mais aussi des représentations de la pathologie concernée, de l’état psycho-social général des populations dans lesquelles la pathologie surgit.

Passer de la menace à la réalité change la donne, avec upê réalité à son tour . menaçante, puisqu’elle peut changer rapidement, et sans possibilité de prise sur elle. Encore qu’il faille distinguer entre réalité matérielle («, les faits », comme on dit) et réalité psychique (représentations, vécus, subjectifs…) !

Une réalité ne vient pas seule, mais vient témoigner, de réalités déjà existantes ou ouvre sur d’autres plus ou moins prévisibles. Terrain anxiogène, angoissant, et propice comme on dit, à de la « psychose » (peur panique ici, plus que l’altération profonde de la personnalité). Comment envisager des solutions qui ne renforcent pa^ les risques, tous renforçant peut-être la « peur de tomber malade » ?

Par exemple : nosophobie comme peur de la maladie (agoraphobie, pour les lieux publics, claustrophobie pour le confinement), ou délire de fin du monde (avec le nombre de morts), ou simplement la méfiance pour la distanciation sociale. Comment associe-t-on psychiatres, psychologues et anthropologues aux réflexions et aux solutions ?

Nos questions auront comme fil conducteur, la croyance et la confiance (en soi et dans l’autre), pour une responsabilisation conséquente.

Il m’arrive d’observer dans notre société, une dynamique abandonnique et suicidaire,, avec tous les risques conscients ou inconscients dans les comportements. Exemples caricaturaux : la maman sur une moto avec 3-4 de ses enfants dont un bébé, dans le désordre urbain que nous connaissons ; les transports urbains de nuit, avec des surcharges, et des chauffeurs alcoolisés ou fatigués, mais des passagers tout à fait insouciants, etc, A côté de cette tendance suicidaire, l’altérisation des conflits (« toujours la faute de l’autre »), et du coup, guerres contre soi-même guerres contre l’autre, suicides et meurtres, auto-disqualification et dénigrement de l’autre, s’alimentant les unes les autres.

Deux faces d’une même réalité psychique : le peu d’amour et de confiance que nous nous faisons les uns aux autres, et avant tout, à soi-même. Cette difficulté à se sentir concerné en tant que personne, dans ce qui nous arrive : difficulté à se vouloir/sentir sujet de ses actes (négatifs en particulier). Quelles « parties saines » (Winnicott) de nos populations accompagner, pour les aider à soigner les « parties malades » ?

Il se trouve qu’un « virus » a déjà par lui-même, cette capacité intrinsèque de créer de la dissonance cognitive (difficulté à penser, aux risques de se croire fou ), puisqu’il est à peine imaginé, pensé, supposé, annoncé, qu’il suscite instantanément l’image tragique de « l’épidémie, de la pandémie » et donc de la mortalité : lesquelles résonnent « irrattrapable, impuissance » (« on ne peut rien faire contre… »). Quand il arrive sur un terrain d’insécurité, son invisibilité, l’image de terreur et d’invincibilité qu’il suscite, peut, créer une panique, avec une perte de repères pouvant désarçonner les pensées et les comportements.

« Sorcellerie » ? On l’a vu à l’époque du Vih-sida en 1981 (le Covid19 fait mourir plus vite que le sida des années 80-81) ; on le voit avec le virus informatique (on ne sait d’où il vient), on le dit de tout ce qui se diffuse de manière incontrôlable (« ceci est un vrai virus… c’est viral … »). Ce, d’autant plus qu’un virus (virtuel, de taille nanométrique) est « peu connu…, sans vaccin…, sans traitement… », et surtout il est « mutant ». Identifié, comme nouveau, étrange, donc encore plus phobogène.

Comme s’il venait mettre le doigt sur nos incomplétudes, nos vulnérabilités, nos immunités, nos anticorps. D’où, fuite en avant, pour se jeter en quelque sorte dans la gueule du loup ; ou fantasme de toute-puissance en laissant croire qu’on a toutes LES solutions.

Ce virus, « venu de Chine » (si loin et pourtant si proche), avec tous nos fantasmes (dont le soupçon du faux et de la malveillance) sur les Chinois d’ici et d’ailleurs, rencontre notre ambivalence à leur égard : enviés mais aussi craints, voire soupçonnés de tous les maux et trafics. Mais c’est de Chine que nous viennent expériences médicales et aides matérielles.

Le virus arrive chez nous, dans un contexte de « guerres » (dont des guerres « armées »). Et nous voulons lui « faire la guerre », lui « barrer la voie » (comme nous le disons déjà tous les jours des « terroristes » et autres « séparatistes »). « Guerre asymétrique » là aussi, à un ennemi invisible, qui tue des milliers de personnes, dans’des pays à potentiels économiques,

scientifiques, médicaux largement incomparables aux nôtres. Pays que nous accusons par ailleurs de vouloir déstabiliser notre pays, dans les autres « guerres » auxquelles notre pays se trouve confronté.

Face au virus, les ressources médicales et économiques de ces pays vont susciter envie, jalousie, mais aussi pessimisme, fatalité, destin, voire culpabilité et autô-accusation : car nos malheurs, « nous les avons bien cherchés », en ne développant pas notre pays (Marine Le Pen nous rappelle qu’en 60 ans, nous n’avons pas d’hôpitaux capables de soigner nos malades chez nous).

A moins que, plus ou moins consciemment, nous nous réjouissions des malheurs des autres : « (« Corona, maladie des Blancs… même pas peur… bien fait pour eux… avec tout ce qu’ils nous ont fait…. ». Voire, « après tout, ce sont eux qui ont fabriqué ce virus, comme les autres, pour nous décimer… attention à leurs vaccins…, parce qu’ils ont peur de nous… ».

Un malheur en rappelle d’autres, vient s’ajouter à d’autres. Victimisation et sentiment de persécution, obstacles à tout sentiment de compassion : dans les 2 cas, on ne s’aime pas suffisamment, on ne se fait pas confiance, masochisme, et on n’aime pas les autres (indifférence, perversion, sadisme). Ambivalence pour se vouloir du bien.

Le Covid-19, dans sa virtualité et sa menace (imaginaire avant d’être détecté, détecté avec ou sans symptômes, porteur sain, symptômes avec ou sans maladie) est propice à créer le sentiment ambigu d’un déni soit sur la présence du virus comme risque épidémique, voire pandémique, ou comme risque pour la vie de chacun, soit davantage, comme si « ON ne NOUS dit pas toute la Vérité … ON nous cache des choses …». Histoire de transparence.

Or la sensation du « secret » dans une famille, dans une société, comporte un risque de pathogénie : « on ne me fait pas assez confiance pour me dire la vérité ; ce qu’on me cache est odieux, indicible… je ne peux pas faire confiance en quelqu’un (une autorité) qui me trompe, me manipule… ».

Se rappelant (syndrome post-traumatique) le drame récent d’Eséka, dans sa nature, et le nombre de morts « officiels » qui avait été annoncés, et les morts de son entourage, dont on a plus ou moins fait le deuil.

Les drames du NOSO, avec les disputes de chiffonniers sur le nombre de morts et les destructions de biens. Certains médecins osent-ils énoncer l’état de pénurie de nos services de réanimation, que d’autres et le gouvernement, voudraient nous assurer que « NOUS sommes fin prêts ».

Qui croire ? Discours embarrassés, embarrassants, donc désarçonnants pour tous, et donc pathogènes pour les plus vulnérables en particulier, sur les plans social et psychologique.

Une population qui ne ferait pas confiance, à des autorités (« ON ») qui doivent pourtant assurer leur sécurité, laquelle, pour ces autorités, passe par obtenir, voire imposer « la discipline » à ces populations (tous les jours accusées d’indiscipline mototaxis, baya/m-selam – transporteurs/.). Comme si on demandait à quelqu’un, habituellement infantilisé, immature, de deyenir adulte pour se prendre en main : histoire de « double bind » (demander à l’autre, attendre de l’autre, ce qu’on sait qu’il ne donnera pas).

Quitte à voir les responsabilités de l’échec rejetées les uns sur les autres (les personnes qui fuient les lieux de confinement, qui eux, ne leur offriraient pas les conditions médicales minimales de détection et de prévention). Problématique suicidaire ou criminelle, encore une fois signe d’ambivalence et de crise de confiances.

Dans un pays où les débats d’opinions sont rares ou tabous, nous courons 2 risques : d’une part, le « soutien inconditionnel » aux mesures gouvernementales, sous peine d’anti-patriotisme (dimension politique), d’autre part, l’unanimisme de la « scientificité » (et sa toute-puissance).

Les 2 contre toute pensée dissonante, ou contre « l’émotion…, l’ignorance, l’irrationalité » de populations qui, face à la division des scientifiques sur les garanties de traitements efficaces, se sentent abandonnées à elles-mêmes, à la recherche de solutions alternatives, à leur portée.

On les sollicite pour des cultes religieux, afin que « Dieu …Allah…nous protège du coronavirus ». Les inondations que subissent les populations de Buéa les conduisent à se demander pourquoi les « Dieux se fâcheraient et (nous) puniraient ») !

Les religions (et certains scientifiques ont des pratiques religieuses), voudraient que ce soient les épreuves que Dieu envoie pour nous obliger à la conversion de nos âmes (« C’est Dieu qui guérit… permettra de trouver le bon traitement »). Ou « malédictions ». Les menaces sur la vie biologique mettent en éveil le psychisme individuel / collectif qui, sous des formes diverses, se fabrique des réponses qu’on doit écouter et accompagner, et non condamner d’avance.

Au lieu de la disqualification, malgré leurs questions maladroites, comment admettre les compétences des populations à « se soigner » quotidiennement, y compris dans leurs comportements de « sauve-qui-veut » ? Elles savent qu’elles ne soignent pas (curativement) une maladie, un virus, mais leur meilleur-être, leur bien-être (« prendre soin de »…).

Ce qui peut passer par « l’eau chaude, le citron, l’ail, et pourquoi pas le bitalep », en tant qu’hygiène personnelle utile, avec ou sans maladie, comme par le sport et la bonne alimentation. Pour la réassurance psychique. « Maman, puisque tu n’as pas de nourriture à me donner, puis-je manger un bonbon ?

Non, mon fils, puisque le bonbon n’est pas de la nourriture…- », voilà à quoi, politiques et scientifiques les exposent, dans leurs indécisions ou leurs injonctions. Ces populations ne refusent ni une chimiothérapie, ni une radiothérapie, ni appareil respiratoire, lorsque l’état des ressources humaines et des plateaux techniques de nos hôpitaux le permet, ainsi que leur financement.

Il se trouve juste que l’inégalité d’accès aux soins, et les angoisses inhérentes, les obligent plus à la posture de la « débrouillardise » et de la résignation, ou à de « l’incivisme » (figure du sauve-qui-veut) qu’à celle de la confiance dans les autorités sanitaires officielles. Quitte à aller « au village » (polysémie de la tradi-médecine).

A-t-on observé que le background culturel taoïste des Chinois, les a conduits, de manière consensuelle (« la discipline »), à utiliser toutes les ressources des « médecines scientifiques » (dont la chloroquine Jant contestée), mais aussi des « médecines alternatives », pendant que la pensée cartésienne et dichotomique française tergiversait et retardait la décision sur « le meilleur traitement » ?

La décision de notre Ministre de la Santé (hydroxychlorokyne + Azithromycine) apparaît ainsi, sans péjoration, à la fois politique et scientifique : soulignant notre extraversion et notre dépendance (compter sur l’extérieur pour la production, le financement et la disponibilité des  » tests, et médicaments…). Quels moyens donnés aux chercheurs endogènes et à leurs découvertes, à partir de nos plantes médicinales ?

Quels soutiens aux recherches récentes sur l’artémésine contre le paludisme endémique, pour affronter les guerres de monopole que se mènent et leur mènent, les firmes pharmaceutiques étrangères ? Le gouvernement burkinabé vient de décider d’utiliser l’Apivirine (antirétroviral découvert par le Béninois Agon ) contre le Covid-19.

L’OMS avait dû admettre en son temps, contre l’avis de nos « scientifiques » africains et occidentaux, « la contribution des médecines traditionnelles », non pas à soigner /guérir le virus du Sida (ce que ne font ni les AZT, ni les ARV), mais à soigner et guérir certaines des maladies opportunistes liées au Vih-sida, et le psychisme des patients (dimension psychothérapeutique, voire placebo). Histoire de posture éthique : comment construire le « compter sur soi-même », notre souveraineté à savoir et pouvoir décider par nous – mêmes, de notre sécurité sanitaire ?

Ainsi, comment profiter de la pandémie du coronavirus, pour penser l’être humain, dans la globalité de ses dimensions biologiques, psychologiques et socio-culturelles, dynamiques et conflictuelles ? Comment en profiter pour penser les problèmes de santé publique, dans la globalité de toutes les dimensions souvent contradictoires de la vie de nos populations ? Comment penser et réussir tout cela, sans se donner les moyens de construire, une réelle dynamique de confiance au sein de nos populations, et entre les citoyens et leurs gouvernants à tous les niveaux ?

Confiance qui se traduirait aussi par la construction des moyens pour penser et construire nos politiques de santé, en un mot, de notre bien-être. Deux symboles de notre crise sanitaire, par temps de Covid-19, défaillance de la fonction protectrice des parents (en l’occurrence des pères) : un père a égorgé sa fille de 8 ans (crime, infanticide) ; un fils de 10 ans s’est donné la mort par pendaison (suicide) : vécu comme un « virus » par son père qui, le trouvant « intenable à la maison .» par ce temps de confinement, le confinait dans un placard fermé. Combien d’autres cas non encore détectés ?

Fotso Djemo, Psychologue -psychothérapeute.

Source: Le Jour

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