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6 avril 1984 : le coup d’Etat manqué qui a permis à Biya de tout verrouiller

Depuis cet événement historique, 18 mois après que le natif de Mvomeka ait pris les rênes du pouvoir, l’homme du 6 novembre 1982 a bétonné aussi sa sécurité politique sur le plan managérial et textuel.

Un peu comme pour inverser la tendance des coups d’Etat rampants en Afrique et particulièrement dans sa partie francophone, le successeur d’Ahmadou Ahidjo, va se bunkériser sur la plan constitutionnel, non pas seulement en s’octroyant les pleins pouvoirs mais surtout en s’interdisant de mettre en évidence un dauphin constitutionnel connu. « Chat échaudé craint l’eau froide », comme l’adage a ici tout son sens depuis le coup d’Etat échoué du 6 avril 1984.

Une photographie de l’état des coups d’Etat en Afrique entre 1980 à 1989, dressée par le Centre de recherche des universités de Floride et de Kentucky le 1er février 2022, indiquait qu’au cours de cette période, 22 coups d’Etat ont réussi et 17 ont échoué sur le continent.

C’est la deuxième décennie la plus prolifique en coups de force, derrière la décade 1960-1969. On peut de ce fait comprendre que cet état de chose a entaché fondamentalement la structuration et la projection du pouvoir camerounais. C’est connu, le dauphin désigné est généralement la personnalité la plus souvent empressée de prendre la relève, de s’installer au pouvoir.

Elle est donc en toute légitimité politique d’œuvrer en toute intelligence pour faire chuter son titulaire. Paul Biya, après le coup d’Etat manqué de 1984, va donc particulièrement se méfier de mettre en évidence un dauphin constitutionnel. Il faut rappeler que le 29 juin 1979, conscient qu’il allait quitter le pouvoir bientôt, Ahmadou Ahidjo fit modifier les articles 5 et 7 de la Constitution du 2 juin 1972 pour permettre au Premier ministre Paul Biya de le remplacer au détriment du président de l’Assemblée nationale, Salomon Tandeng Muna, un anglophone.

« En cas de vacance de la présidence de la République pour cause de décès, démission ou empêchement définitif constaté par la Cour suprême, le Premier ministre est immédiatement investi des fonctions de président de la République pour la période qui reste du mandat prési- dentiel en cours. Il prête serment dans les formes prescrites par la loi, ou, en cas d’urgence, devant le Bureau de l’Assemblée nationale, assisté de la Cour Suprême », stipule l’article 7 (b) nouveau de cette modification.

De ce fait, le nouveau pouvoir est conscient que le poste de Premier ministre est stratégique pour arriver au pouvoir. Pour preuve, du 25 janvier 1984 au 26 avril 1991, le poste sera vacant. Les deux premiers qui y seront sous le régime du Renouveau n’y passeront que moins d’un an avant de le laisser vacant.

Il s’agit de Bello Bouba Maigari (du 6 novembre 1982 au 22 août 1983), de Luc Ayant (du 22 août 1983 au 25 janvier 1984). Pendant 8 bonnes années, le poste du chef du gouvernement, là où fut hissé Paul Biya pendant 7 ans avant d’accéder à la magistrature suprême, sera donc laissé en jachère.

Le dauphinat en situation dans la Constitution de 1996 et au Rdpc

Toujours dans ce sillage de méfiance d’un dauphin textuel connu, avec l’avènement de la Constitution du 18 janvier 1996 imprégnée du consensus de la conférence Tripartite de Yaoundé (du 30 octobre au 15 novembre 1991), on notera la même logique.

Avec ce nouveau texte fondamental, le successeur constitutionnel de Paul Biya étant le président du Sénat, c’est en 2013 qu’il mettra sur place cette institution politique. Le pays, faut-il le noter, va traverser ainsi pendant 17 ans (1996 à 2013) une situa- tion ambigüe, partagée entre le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat qui n’existait pas, comme les probables successeurs constitutionnels de Paul Biya.

Cette ambivalence étant entretenue par l’application duale des constitutions de 1972 et 1996, car les institutions prévues par celle du 18 janvier 1996 étant appelées à se mettre « progressivement » en place. De ce fait, au cours de son long magistère, pendant 25 ans, (1984 à 1991) et (1996 à 2013), le régime a fonctionné sans que l’on sache qui était le successeur constitutionnel de Paul Biya en cas de vacances, d’empêchement définitif ou de démission.

Aujourd’hui, s’il est établi que cette confusion est levée depuis 2013, le président du Sénat assurant l’intérim au cas où, une controverse peut vite naître de la situation de son président. Et ce n’est pas seulement au sein des institutions politiques de l’Etat que Paul Biya tient fermement les rênes, écrasant toute stratégie de contestation de son pouvoir au passage.

Ainsi au sein du Rdpc, Paul Biya, le président de ce parti, est depuis sa création aux commandes et les mécanismes textuels du parti lui donnent la permission d’être d’office le candidat du parti à l’élection présidentielle. Il y a donc lieu de dire que le chef de l’Etat camerounais, depuis le coup d’Etat du 6 avril 1984, a verrouillé tous les espaces où pouvait se nouer des intelligences pour le mettre en difficulté.

Avec la création d’un poste constitutionnel de vice-président annoncée, beaucoup d’observateurs de la scène politique estiment que Paul Biya est là dans la logique de l’évanescence du visage de son successeur constitutionnel. A ce titre, il s’agirait dans cette éventualité de transférer la succession non plus au président du Sénat qui est connu mais plutôt à un Vice-président qui ne verra le jour qu’en 2025 en principe.

Dans cette vision ponctuée de futurologie, entre 2022 et 2025, le chef de l’Etat serait dans la logique, comme l’affirmait le président ivoirien Houphouët Boigny, de vivre comme il sied aux patriarches, sans avoir autour de lui son successeur.

Si cette annonce se concrétise, il y a lieu de croire que le président de la République a fait le choix de faire connaître d’abord à ses camarades du parti et ensuite aux Camerounais, celui qu’il souhaiterait voir sur son fauteuil présidentiel après lui comme il en était allé en son temps, entre lui et Ahmadou Ahidjo. Mais là, il y a lieu de se demander si cette logique est viable dans un contexte démocratique où l’émancipation politique des Camerounais est au summum.

Le Messager

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