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Yaoundé : il faut sauver l’immeuble ministériel n°2

Comme un malade dans un état critique qui espère un remède miracle, l’édifice attend que sa maintenance arrive au plus vite.

Une fresque est apparue le week-end dernier sur la toile. Signée, (ce n’est pas rien) par un jeune élève de l’École publique du Centre-administratif de Yaoundé, le résultat est assez hypnotique: un tableau de l’immeuble ministériel N° 2 qui semble exprimer une plainte douloureuse face aux brisures d’éclat du soleil.

Dans les forums d’internautes, les commentaires sont organisés au tour de deux pôles. Les uns apprécient le doigté du jeune peintre. D’autres somment les pouvoirs publics d’adopter un comportement plus civique à l’égard de cet édifice.

Leur discours l’associe à la saleté, à la dégradation. Différents termes sont utilisés: «dégoûtant», «pas propre», «répugnant», «pose des problèmes d’hygiène», «désagréable», «écœurant»… Le florilège s’éclaire également à la lumière de quelques remarques émises dans un mélange de gêne et d’exaspération face à ce qui relève d’une curiosité en plein cœur de la capitale.

Images

Ce 28 septembre 2022, la tour, vue de dehors, semble ne pas souffrir d’un déficit d’image. Toutefois, à l’intérieur, l’ensemble n’offre plus la promesse d’une vie éternelle. Le temps a écaillé la peinture. Dans un couloir au rez-de-chaussée, des restes de nourriture s’échappent d’un sac plastique éventré. Un vieil extincteur traîne dans un coin ou s’écoule un liquide puant.

Tout à côté, une raquette en bois est posée contre un vieux fauteuil. Sur le coussin de velours usé, des copeaux de peinture blanche tombés du plafond décrépi témoignent du temps qui a passé. Depuis des lustres, apprend-on, deux cages d’ascenseur sur le^ quatre disponibles sont hors d’usage.

Devant la porte de ce qui tient lieu de toilettes au premier étage, on aperçoit une impressionnante légion de cafards et d’autres terrifiantes créatures. Entre deux murs cotonneux au deuxième étage, une poubelle qui déborde charrie bien des nuisances. Elle concentre des dépôts sauvages qui constituent un vrai festin pour rats, chauves- souris et d’autres bestioles sans nom.

Au troisième étage, l’escalier qui y mène est fissuré et suggère un flot d’images sinistres et troublantes; on hésiterait presque à mettre un pied sur la première marche. Quelque part, un vrai bordel. Un bric-à-brac de vieux appareils informatiques; des tapis d!un autre âge ;des poteaux et des échelles aux multiples dimensions et même des pièces automobiles.

Au sixième étage qu’occupe le ministère des Forêts et de la Faune, on entend le bruit des pas étouffés par l’épaisseur de l’obscurité. Quelques usagers croisés utilisent des lampes de poché électriques pour voir où poser le pied. À écouter ceux qui travaillent ici, cet escalier apparaît comme l’un des lieux de prédilection de l’alerte, alerte à prévenir, à agir, à réagir au cas où…

Depuis un box ouvert dans un mur construit perpendiculairement au bureau d’un inspecteur des services, l’on remarque l’addition chaotique de plusieurs fils électriques. Dans un bureau, toutes les ampoules clignotent. Id, un agent use de périphrases ambiguës pour décrire la situation. «Ça donne, ça ne donne pas!», dit- il.

Parsemé de coups de gueule, le propos de son collègue signale l’épaisse chape de chaleur qui sévit dans la pièce, faute de climatisation. «On suffoque ici», peste-t-il, mentionnant que dans un bureau voisin, les eaux qui dégoulinent d’un vieux climatiseur ne servent qu’à liquéfier le plancher.

Au dixième étage occupé par le ministère de l’Enseignement supérieur, depuis 2014, au moins un incendie a été déclaré ici. Si les impacts matériels ont été effacés, rien ne semble avoir été fait pour éviter d’autres drames. «De temps en autres, il y a des étincelles qui crépitent dans les installations», souffle un chef de bureau.

Pour se soulager, usagers et fonctionnaires déploient chaque jour des trésors d’ingéniosité et trouvent des solutions aussi inventives qu’imprévisibles. Rus globalement, de grandes réserves sont émises sur les problèmes de toilettes. «Ça ne fonctionne pas», renseigne quelqu’un. Ici, se mettre à l’aise constitue un thème important de la vie quotidienne. Pour éviter d’empiler des cas embarrassants, «on fait comme on peut».

Et pourtant…

Il fut un temps où la construction de cet édifice public prophétisait un avenir exaltant voire radieux pour le centre-ville de Yaoundé. Ce temps-là était aussi celui où la volonté d’offrir un cadre de travail moderne aux agents publics semblait avoir un sens. Passé, ce temps-là a un nouveau nom à l’immeuble ministériel N°2: le temps présent.

On aura compris que cet ouvrage au profil indiscutablement moderne, bâti à grands frais au lieu-dit «Rond-Point Hilton», continue de donner aux Yaoundéens l’illusion que leur ville se se tourne vers le futur. «Immeuble ministériel N°2, un pari sur le futur», titra significativement le quotidien Cameroon Tribune du 2 novembre 1994. Normal : c’était quand même 18 étages, près de 800 bureaux ultra-modernes et un parking de 300 places.

En 2022, l’infrastructure qui talonne les services du Premier ministre «continue juste d’exhiber sa carapace de marbres blanc crème et rouge bordeaux, sans que ce que les uns et les autres décrient ne donne lieu à des études savantes ou à des décisions administratives fortes».

Utilisée par le journaliste émérite Alain Belibi face à Henri Eyebe Ayissi dans la mouvance du Salon de l’action gouvernementale (Sago) le 29 juin 2022 à Yaoundé, la formule est reprise autrement par un cadre du ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf).

«Aujourd’hui, avance-t-il sous anonymat, dans cet immeuble, le réel est, à tous les instants, ébouriffant et contraire à la raison et à la logique, mais, en même temps, pourvu d’une réalité, d’une logique internes, que les gens ne voient pas, plein d’absurdité, d’un réalisme complexe et de réalités désordonnées».

Ce qui est vrai, en tout cas, c’est que pour l’entretien de cet immeuble, les organigrammes et les textes officiels ne manquent pas. La preuve: le 29 juin 2021 à Yaoundé, Henri Eyebe Ayissi avait initié une rencontre «inscrite dans le registre de solidarité gouvernementale pour une meilleur suivi de cet immeuble».

Malgré ce cliché qui exalte «la solidarité», l’immeuble ministériel N°2 reste encore le royaume du «chacun-pour-soi». Portée par l’argument des restrictions budgétaires, l’absence du jeu en équipe est réelle, et nul ne se mêle du travail de son voisin. Plus construit que mis en pratique, l’entretien de l’ouvrage repose plus sur un travail théorique.

Intégration

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