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Opinion : une société d’ignorance – Par Jean-Pierre Bekolo, cinéaste

Lorsque vous observez les Camerounais, il ne fait aucun doute qu’ils ont quelque chose qui cloche. Vous entrez dans un bureau et vous dites bonjour, personne ne vous répond. Qu’est-ce que c’est ? Une mauvaise éducation ? Est-ce qu’ils sont mal élevés ? Ou est-ce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ? C’est qu’ils sont ignorants ? N’ont-ils jamais appris cela à l’école ? Qu’est-ce que l’école enseigne ? Quand on voit à quel point le savoir est méprisé et moqué… « Il veut nous montrer qu’il connait trop ? »

Le savoir n’est pas très utile au Cameroun car tout le monde est capable de mettre sa bouche sur tout, et celui qui sait se retrouve toujours entrain de négocier son savoir avec celui qui ne sait pas. Et quand on regarde cette société, le savoir est loin d’être au-dessus de l’ignorance, on parle de sujets pointus comme on parle d’un match de foot.

Oui, les discussions autour du football ont rendu tout le monde savant. Et l’école ? Même si elle enseigne certaines choses, celui qui a appris à l’école a du mal à maintenir son savoir au sein de la famille où un rare oncle vous donnera de fausses théories et sapera vos connaissances au nom du respect des anciens.

Je ne parle pas alors du gars qui est directeur au ministère et qui va commenter avec le motoman du quartier au bar en mangeant le même bouillon, en regardant le même débat à la télévision, tout en draguant la même serveuse…. Sauf que le raisonnement du motoman qui retourne conduire sa moto a réussi à déteindre sur le directeur qui doit signer des accords qui engagent un pays entier.

Bref, la connaissance, même si elle existe, a très peu de chance de survivre dans notre environne- ment. Je ne parle pas des livres, des films, des expositions ou de toute autre activité capable d’entretenir l’esprit et de le questionner sur l’homme. Cela est réservé aux blancs. Quand on croise un surdoué, très souvent c’est dans le quartier ou dans la rue, on lui recommande vivement d’aller chez les blancs, car il n’a aucune chance ici.

Tout d’abord, que font nos génies dans la rue ? En effet, il n’y a pas un seul bureau qui accueille les génies dans notre pays, quand on sait que les Etats-Unis ont un visa spécial pour tout génie ayant une « extraordinary ability » dont on entendrait parler dans n’importe quelle partie du monde ! Dieu ne donne pas plus de per- sonnes talentueuses à un pays qu’à un autre, la question est de savoir ce que nous faisons des nôtres?

L’école, parlons de l’école. Si les camerounais sont comme ils sont devenus, c’est-à-dire des êtres abîmés, c’est à cause de l’école. Car même si la société avec tout ce qu’elle comporte de travers, distille des valeurs négatives aux enfants, l’éco- le devrait être le lieu de correction. Je pense à ce ministre qui à chaque fois qu’il apparaissait à la télévision, les enfants de 10 ans éclataient de rire parce qu’ils savaient qu’il allait mentir.

Comment inculquer des valeurs à un enfant dans un pays où un ministre qui a l’âge du grand- père de l’enfant ment ? Le parent à la maison aura du mal à convaincre l’enfant parce qu’il n’est pas ministre… et peut- être que la raison pour laquelle le parent n’est pas ministre est qu’il n’a pas compris que le mensonge est une valeur. Si cela dépasse le parent à la maison, peut-être que l’école pourrait être le lieu où l’enseignant corrige ces dérives? Oubliez.

Voilà comment la société camerounaise installe insidieusement des valeurs qui sont à l’op- posé de ce que les parents et l’école tentent de promouvoir. Voilà une société qui, malgré le fait que tout le monde parle français ou anglais, ne se rend pas compte que non seulement elle est une société d’ignorance mais surtout qu’elle n’a pas de valeurs.

Une société qui accepte que le meilleur produit de sa société soit l’ « Occasion d’Europe » ; le mécanicien qui vous vend une pièce de voiture en disant qu’elle est en bon état parce que c’est une « Occasion d’Europe » insinuant que ce que les Européens jettent est très bon pour nous Camerounais, comme si les voitures ne se gâtent pas en Europe !

L’explosion des écoles et des diplômes au Cameroun ne reflète pas un boom de l’industrie du savoir, mais plutôt le boom d’un business qui est précisément responsable de l’ignorance ambiante. Car pour faire du profit il faut une grande différence entre les recettes et les dépenses : faire payer le plus possible les étudiants et investir le moins possible sur les professeurs et surtout ne pas avoir de matériel à acheter. C’est pourquoi l’enseignement technique et scientifique est rare et toutes ces écoles privées enseignent le commerce, le droit, la communication et le marketing.

L’ironie dans le type d’écoles que nous avons au Cameroun est que nous ne créons pas d’écoles dans les domaines où nous excellons ! Il n’y a pas par exemple d’école de musique, pas d’école de football, la seule école forestière date de l’époque coloniale et aucun de nos parents qui connaissent les arbres et les plantes n’y enseigne.

La première école des mines n’a toujours pas de bâtiments, tandis que les facultés de droit sont saturées dans un pays où la constitution peut être changée à tout moment, tout comme les facultés d’économie dans un des pays les plus pauvres du monde !

A cause de l’ignorance, nous sommes donc une société d’incapacité généralisée où beaucoup de choses échappent à notre contrôle. Par exemple, nous avons organisé une Coupe d’Afrique des Nations sans pouvoir en tirer profit commercialement, où les Chinois ont vendu les accessoires verts, rouges et jaunes, les Turcs, les Italiens et les Canadiens ont construit les stades, laissant aux Camerounais les tâches subalternes des ignorants…

L’ignorance a un prix et le premier prix de l’ignorance est la misère à laquelle nous sommes condamnés et les premiers responsables sont une élite elle-même incapable qui n’a d’autre choix que de se mettre dans le même wagon que ceux à qui la sortie de l’ignorance ferait perdre d’énormes profits.

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