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Lettre ouverte à Jacques Fame Ndongo

Jacques,

Lorsqu’on survit à de grands périls, on a l’âge de toutes les anciennetés. Puisque tu affectionnes les mots superficiels qui enchantent les gueux, je te conseille de lire Les Diaboliques de Barbey d’Aureville.

Tu comprendras pourquoi un’jeune guerrier mérite plus de respect qu’un vieillard fat et résigné qui se vautre dans l’insouciance et les salissures.

Le premier a « pour lui le respect d’un homme qui a pesé la vie dans tous les trébuchets du mépris et qui trouvait que rien n’est plus beau, après tout, que la force humaine écrasée par la stupidité du destin ».

Entrée : précisions portant sur le style

Jacques,

Ne te fie donc pas à mon jeune âge : je suis ton père ! Je peux par conséquent te tutoyer. Car j’ai vieilli à ton insu, pendant ton sommeil, après que j’ai visité les enfers de la vie.

Tu as manqué ma douloureuse Passion : j’ai subi la Grande épreuve et je suis ressuscité, ayant goûté à la gloire sacrée qui nous préserve à jamais de vieillir.

J’ai exploré avec plaisir les mondes non-humains qui te tourmentent à mort dans tes cauchemars et qui te poussent chaque jour à emprunter le sentier ignoble de l’avilissement.

J’ai compris que la vieillesse est comme la sagesse : elle ne s’évalue pas en fonction du nombre d’années qu’on passe sur terre pour se gorger de bons vins et se rouler sur d’époustouflants partenaires, mais plutôt à la qualité des sacrifices que l’on consent, à l’expérience et à la culture que l’on acquiert dans la pénétration des secrets de la vie.

On est vieux quand notre âme retrouve sa vue et sa clarté. Être vieux lorsqu’on est jeune, c’est mûrir et s’assimiler en peu de temps. Car :

« L’Homme sera toujours un nageur Dans les ondes du temps qui se mesure et passe » (Vigny, Les Destinées).

Je peux donc te parler avec autant d’autorité que ma maturité dans les épreuves de la vie m’en donne droit. Ce d’autant plus que la maîtrise des compétences rhétoriques offre un pouvoir totalement dérisoire devant les tragédies humaines.

J’ai d’abord pensé suivre le mot de Vigny: « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse ». Mais je me suis résolu à te confier ma pensée puisqu’il m’est apparu que le dialogue vaut mieux que les vaines querelles des prétoires et des audiences judiciaires.

D’ailleurs, nul universitaire ne peut confondre une conversation avec une offense, ni la curiosité intellectuelle avec le manque de réserve, encore moins assimiler une apostrophe sans complaisance à un outrage. Je sais que je peux encore te convertir à la seule religion qui vaille, l’amour accordée avec la vérité.

Avec ta permission, venons-en aux faits, à l’objet de ce sermon. Le 16 novembre 2016, dans une officine d’État, à Yaoundé, un bureaucrate signa une lettre officielle qui m’était destinée et me la fit parvenir à Douala où je m’étais réfugié avec nos petits désaccords que tu n’as pas certainement oubliés. Dans sa lettre, l’expéditeur parlait de nous deux. Je lus le nom du signataire de la correspondance : Dr Dion Nguté Joseph. Je ne connaissais pas celui-là.

Je me renseignai alors et l’on me confia que c’était un Grand administrateur de la Présidence de la République. Que diable un administrateur, qui a appris à commander, à manipuler l’argent et à le dépenser bêtement venait chercher dans les affaires concernant les hommes des arts, des lettres et de pensée ? D’instinct, je ne pus accepter l’augure de cette sollicitude.

Une infaillible disposition intérieure m’a conditionné l’esprit au point où je m’imagine que où ces gens mettent le pied, ils sèment toujours pagaille. Jacques, connais-tu des exceptions dans cette loi implacable de l’administration publique ? Lorsqu’un administrateur commence à se mêler des choses de l’esprit, l’art et la littérature sont en péril.

Aspirer à la compréhension des Belles-lettres lorsqu’on est exercé à entretenir les intrigues et à manipuler la boue et les poux, comme je crois qu’ils sont tous condamnés de naissance à le faire, quelle prétention saugrenue ! Je ne fus d’ailleurs pas surpris des soins que le bonhomme mis pour me faire parvenir la lettre à Douala. Le facteur me confia qu’il avait spécialement recommandé qu’elle me soit remise en mains propres.

Un autre moyen subtil pour fructifier encore le cynisme dont ces gens sont accoutumés, ai-je ruminé avec un rictus de dégoût (j’oppose un doute cartésien à tout ce qu’ils prétendent faire de bonne foi). Ce qui m’a définitivement convaincu de la justesse de mes prémonitions, c’est que les mois qui suivirent, il fut nommé Premier Ministre. Oui, celui-là a vraiment . gagné le Championnat de la bêtise administrative, avais-je alors conclu, serein.

1/ Je m’adresse à ton corps

Jacques,

Ce que je craignais s’est matérialisé : ta correspondance du 31 mars 2020, et que j’ai reçue le 09 avril dernier, a sonné le glas de l’ultime espoir de te voir réintégrer la cité des Belles-lettres.

Ce qui y est écrit est indigne qu’on l’expose en détails et en public, au regard des bribes d’estime et de respect que nos enfants et nos étudiants persistent à nourrir à notre égard, davantage par dépit que par assentiment naturel ou par conviction saine.

La volonté de nuire, l’amalgame, l’amnésie, l’irrésolution, l’oubli, l’excès de pouvoir, l’abjection, l’inculture, la roublardise, la malchance, bref tout y respire l’imposture et la bêtise. On y étale l’incompétence crasse et le mensonge éhonté, comme si c’était une maîtresse lubrique qui inspirait les lettres maudites qui y tiennent lieu de mots.

Jacques,

Au départ, j’ai cru feuilleter Soleil Satan, de Bernanos : « Chaque mensonge était un nouveau délice dont sa gorge était resserrée comme une caresse ; elle eût menti cette nuit sous les injures, sous les coups, au péril même de sa vie ; elle eût menti pour mentir ».

En lisant ta lettre donc – mais je crois qu’elle ne peut être de toi, -je réalise avec stupéfaction que tu as pris la température glaciale de l’intérieur fade et miné des gens d’Étoudi…

Je savais, d’expérience, qu’ils n’ont que faire des réverbérations des esprits, fussent-ils de Grands esprits, comme nous. Nous sommes comme le personnage Koyaga, d’En attendant le vote des bêtes sauvages d’Hamadou Kourouma. Nous, les Muses de l’avenir, appartenons à la « race des bien nés que l’épervier pond et que le corbeau couve », « ceux qui fendent la grande brousse le matin, de ceux qd! sont toujours trempés par la rosée ».

Nous sommes nés pour chasser les fauves avec la sagaie, comme nos braves ancêtres, les troglodytes. Eux, en revanche, ils ont la fantaisie de réserver à notre corps, lorsque nous mourrons, nous les Hommes de lettres et d’esprit, une sollicitude matérielle et financière dont l’enjeu est d’accompagner le rayonnement de leur opulence sacrilège.

La ruse macabre de ces mécréants, qui consiste à donner des ordres à nos corps en les attachant avec le ruban des louanges et des médailles posthumes, est une infamie. Ce faisant, ils oublient que la mort engloutit l’homme, elle n’engloutit pas son nom et sa réputation. La boulimie divine est sélective, élective. ..

Je regrette donc que tu aies changé de camp, que tu parles maintenant le même langage que ce Dion Nguté Joseph qui avait osé s’immiscer dans nos sujets délicats de poésie, de goût et de pensée.

Tu m’as trahi en prenant leur parti Jacques, tu ne sens plus le bouc, comme un vrai Bantou et tu as les manières espiègles des Blancs ou des bourgeois nègres : tu prends peur devant des mouches audacieuses et tu te rends devant les assauts de l’indignité !

Mais retiens que si tu ne peux pas appliquer les sentences de la Justice et obéir aux instructions de ta hiérarchie, qui sont les messagers des dieux, tu ne peux aspirer ni au beau ni au bon, encore moins au vrai.

De même tu ne peux en aucun cas cultiver l’équité et la charité parmi tes semblables. Quelques ravissements que puisse produire le parfum de tes mots fluets et sans poids à la télévision, ils ne pourront guère redonner une odeur humaine à ta silhouette débridée.

Maintenant tu es trop confiné dans tes balourdises politico-administratives et judiciaires pour prétendre aspirer à l’ordre très sélect des esprits, qui, toujours, tendent vers le soleil des idées. Je t’ai envié un temps, mais je me suis ravisé. Car je me suis convaincu qu’il est moralement infâme de se servir dans la forteresse prospère des vampires. Pauvre Jacques,

As-tu oublié que l’art oratoire, lorsqu’il est adossé à l’éthique, enracine dans l’histoire les divines vertus des sacrifices des hommes valeureux. Ne t’es-tu pas souvenu que, malgré tout, tu portes encore, comme des stigmates indélébiles sur une carapace de monstre, des traces génériques d’humanité ; que la Providence, qui te laisse respirer malgré ton désir insensé de priver tes semblables de l’oxygène qu’elle fit gracieusement pour eux, veut t’affranchir du poids de ton cœur noir afin que tu puisses faire resplendir en ton être chétif le calice de la raison naturelle, en répandant dans le peuple dont tu as illégitimement la charge le vin de la lucidité qui sommeille en son fond ?

Songe à t’élever au firmament de cette dignité singulière qu’offre la fréquentation des Belles-lettres ! Ébroue tes enracinements vénéneux dans la désobligeance et réapprends à chanter l’ode la sincérité à quoi t’avait accoutumé le génie des grands auteurs classiques !

Décide-toi à aspirer à une saine grandeur et non à d’illusoires élévations ésotériques ! Ces grimaces crépusculaires te détruisent l’âme et le cœur. Elles tuent ton goût. La valeur n’est jamais dans la saleté…

Tu as confié récemment que tu es le spécialiste du français et des Odonates, plus exactement, l’expert du zézaiement de la libellule. Le français, cette langue du glaive et de la gloire, est constitué d’une sagesse raffinée, d’humour et de finesse.

Montaigne, l’un des grands esprits qui doit t’inspirer au quotidien disait : « Notre grand et glorieux chef-d’œuvre, c’est vivre à propos. Toute les autres choses, régner, thésauriser, bâtir, n’en sont qu’appendicules et adminicules pour le plus ». Le français, en principe, est donc la langue de l’honneur.

Pour vivre à propos, comme le Français que tu singes, acquitte-toi de ce qui est dû… Autrement, comment pourras-tu prétendre être bon et heureux, sans la nostalgie de la souffrance, sans consoler les autres ?

Jacques,

La « libellule » qui t’obsède tant et que tu jalouses à trépasser a ceci de particulier qu’elle a l’intelligence de la vie : elle ne se pose pas sur l’eau en oubliant qu’elle pourrait se noyer, comme toi. Elle est pleine de subtilité, de stratégie et de grâce. Je me suis aussi intéressé à cette bestiole sacrée.

La force de ses appartenances colorées, ses grands yeux de bienheureux qui percent le mystère de ton anéantissement programmé, la transparente bienveillance de ses ailes diasporiques et le paraphe envoûtant de ses envolées légères et rythmées comprennent jusqu’au hululement sordide de tes moindres nervures cérébrales et te comprimeront jusqu’à ce que tu crèves comme une puce.

Prends garde : nous sommes en période de grippe et de fièvre. La vertu de la fièvre pandémique est de nous débarrasser des puces… On t’avait certainement prévenu et demandé de demeurer en ton milieu naturel, de te contenter d’instruire ton monde.

Tu comprends maintenant que tu n’as pas le potentiel exigible pour commander aux hommes et aucune chance de- diriger les Grands esprits que nous sommes restés. Je ne peux donc être tenu comptable des convoitises innommables qui te torturent à présent, n’ayant de surcroît jamais voulu rentrer dans les guerres des faux Grands.

11/ Parce que je n’ai point vu d’esprit

Jacques,

Mets-toi sous le régime de la rectitude morale et sous les auspices du renoncement sacrificiel. Nous, les artistes, ne sommes pas destinés au Ciel du rayonnement personnel.

La porcherie des Blancs où nous avons fait nos pas décisifs d’hommes nous a constitués, comme Amkoullel, l’Enfant peul d’Amadou Hampâté Bâ, en de petits fagots destinés à alimenter les feux de l’enfer. Nous sommes des stimuli de la lucidité, et il n’y a point de clairvoyance sans une salutaire angoisse existentielle.

Il est temps de diluer tes obsessions délirantes dans l’élixir de l’empathie et du dévouement désintéressé. Quelle cuirasse comptes-tu porter pour pousser les étudiants, les universitaires authentiques et tout le peuple dans le désespoir ? Armée de ta faucille administrative, tu fauches jusqu’à leurs espérances les plus dissimulées.

Comprends-tu que l’arôme crétinisant de tes littératures partisanes ne parvient plus à discipliner la récalcitrante animosité qui a pris possession de nous ? Qu’est-ce qui peut nous rendre tendres alors que nous manquons de pain et de paix ?

Jacques,

« Devant le portique de l’abattoir, deux porcs se firent leurs adieux ». Cette sagesse ancestrale de notre commune culture bantoue que les vieux me contèrent dans ma prime jeunesse m’apparaît aujourd’hui dans une intelligence neuve.

Alors, j’ai pensé à toi. Le Coronavirus est menaçant. Faisons nos comptes avant l’arrivée de l’épouvantable Invisible. Tu as un ranch, avec piscine, hôtel trois étoiles et des vergers luxuriants, des exploitations à n’en plus finir, en plus des actions dans les entreprises, des gros placements à l’étranger et d’autres domaines encore connus de moi. Tu risques donc gros avec la malédiction que tu accumules autour de ton cou.

Ces mille-pattes que tu dissimules dans ton groin ne sont pas à toi. Crache-les si tu aspires à vivre en paix ! Au moment où nous sommes pressés par notre obsolescence constitutive, et quoique tu dédaignes faire l’aumône, empresse-toi au moins de commettre l’ultime charité : débarrasse-toi d’une partie de prébendes et acquitte-toi de tes dettes.

Je t’offre désormais mon unique trésor, le silence. Ta pourriture intérieure et antérieure se supprimera devant ce présent réformateur. Tu te prends déjà pour le Balzac camerounais. Je comprends que l’enseignement du cynisme de Vautrin, dans Le Père Goriot, t’aie fasciné.

Devant les lustres du Palais d’Étoudi et pressé de faire fortune, tu t’es certainement pris pour Eugène devant la haute noblesse de Paris, qui dut éconduire ses scrupules puérils de campagne pour conquérir la respectabilité’ carnassière des parvenus du Nouveau monde. En enjambant les grilles de cette ruche extraordinaire qui a la forme d’un Tabouret, tu songeais au premier défi d’Eugène à la société parisienne : dîner au château de Madame de Nucingen.

Mais après ce prodige imaginaire, retiens que ton jeu dans ce carnaval monstrueux est plus proche de celui d’un « Cœur simple », Félicité de Flaubert, que de l’héroïsme forcené d’Eugène.

Comprends également ceci, mon cher : advenant que tu t’obstines à ne pas rendre ce que tu as pris au peuple exsangue, l’avenir dira de toi ce que Faguet avait retenu de Balzac : « Il a des intuitions de génie, et des réflexions d’imbécile. C’est un chaos et un problème ». Après toi, on croira en effet que tu fus un délire des ténèbres.

111/ Je m’en remets aux beaux mots

Jacques,

J’interpelle ce que tu revendiques en public comme ta plus précieuse richesse : la science et l’art, quoique je n’oublie pas que ta fortune personnelle soit en réalité ton seul bien identifiable. Mais, selon le mot de Rousseau, la science ne fait-elle point de nous des dieux avant même que nous ne méritions d’être des hommes ?

Tu comprends pourquoi l’unique chose que j’admire en toi, au-dessus de tout, c’est ton éloquence, qualité dont tu es accoutumé à nous vanter les vertus politiques et tribalistes. Mais l’éloquence ne naît-elle pas de l’ambition, de la haine, de la flatterie et du mensonge ? Tu es un sémiologue, c’est-à-dire le didacticien des processus de signification qui sous-tendent la pensée.

Quant à moi, je suis le professeur de la vérité, c’est-à-dire le clinicien de toutes sortes d’énoncés véhiculant un sens. Et l’on ne pratique jamais la vérité pour plaire à quelqu’un, quel qu’en soit le statut. Cependant que le langage est la lanterne de la pensée :

« Poésie ! Ô trésor ! perle de la pensée ! Les tumultes du cœur, comme ceux de la mer,

Ne sauraient empêcher ta robe nuancée D’amasser les couleurs qui doivent se former » (Les Destinées)

On ne parle pas pour distraire, mais pour instruire, pour impulser une argumentation. Autrement on passe pour un pataphysicien démodé, ces singuliers savants des solutions imaginaires… Quant au langage, j’en prescris les usages et j’analyse le comportement des locuteurs ainsi que les symboles auxquels ils recourent et les intentions qui les animent.

En ce sens, la philosophie est l’énoncé des principes constitutifs du discours : elle en fixe le cadre et les conditions de production à travers la logique- ; elle encadre les fonctionnalités et les effets à travers l’éthique pragmatique.

Dans ses élaborations conceptuelles et ses prescriptions normatives, elle se présente comme la poussière reconstituée des symboles qui provoquent le jugement, garantissent la pensée ou qui la déterminent après-coup. Philosopher, c’est aussi reconstituer la trame et les ressorts de l’ineffable. Car la parole ou l’écrit, très souvent, aveugle. La philosophie doit en fixer la clarté. Elle est l’épaisseur de l’expression.

Mais toute l’école n’est rien si ses matières ne se transforment en autant de leçons de vie pour le pédagogue et pour l’apprenant. L’école n’est pas seulement une institution, comme « Les Bambins », le Lycée, le Collège ou l’université. Elle est le fondement de l’humanité : l’école est le processus de formation de l’être humain.

Nul ne peut prétendre diriger l’école-institution, les universités à l’occurrence, s’il n’a achevé sa formation d’être humain, s’il n’a élevé son intelligence et son esprit à la dignité supérieure à laquelle accède celui qui comprend la vie, celui qui instruit et commande aux hommes parce qu’il a su leur obéir. C’est de là que vient l’imposture universitaire rampante.

Elle est le fait des cœurs-durs qui ambitionnent de régenter l’avenir de tous par la force de leur espièglerie malsaine et qui sont incapables de discipliner leur panse. Le comble avec ces âmes rassies est que, précisément, l’avenir ne retient d’eux que l’oubli qu’elles inspirent.

À l’immense soulagement de leurs contemporains et de leurs traîtres descendants, l’histoire de leur passage saugrenu sur terre n’est faite que du riche trésor des déshonneurs qu’elles furent en réalité.

IV/ Avec l’espoir que l’homonculus se change véritablement en homme !

Jacques,

Je t’ai parlé dur parce que ce n’est que par la violence (du discours dans notre cas) qu’on établit la liberté. Je me désole qu’à cause des courtisans sans inspiration et sous le prétexte de (’Autre, qui n’est pas des nôtres, tu sois devenu ce que tu es maintenant : une pauvre chose ! Regarde tes yeux éteints par des envies démesurées !

J’observe que de tous les poisons qui affectent ton âme insipide et languissante, la vanité et la luxure en sont les plus rebutants. Jacques, sous les tropiques la politique n’est pas la science de la liberté ; c’est l’art de la vanité.

Considère encore le degré de pourriture où nous sommes plongés à présent, nous les universitaires en transit dans la politique. Zola, le phénoménologue de la bêtise, a annoncé notre triste avènement ; nous sommes un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin.

Il faut lire son roman Nana, Jacques. Tu comprendras que le virus de l’immoralité au moyen duquel nous avons contaminé le peuple s’est replié sur notre visage bourru pour le maculer de la virale purulence dont souffrent les citoyens chez nous depuis un demi-siècle.

Oui, la contrefaçon de l’être humain existe ! Et la réciproque est également vrai : « un génie ne s’agresse pas, ne se vole pas… Le génie se soigne, se respecte ». Mais une chose est certaine : quoiqu’un peq,. illuminé, tu n’es ni un martyr ni un moine.

Tu ne peux donc t’offrir le luxe de te mépriser toi-même au prétexte de la politique et de la guerre tribale. Tu te condamnerais à une solitude aux effets psychotiques et phtisiques incontrôlables. Or, justement : « Tout notre mal vient de pouvoir être seul : de là le jeu, le luxe, la dissipation, le vin, les femmes, l’ignorance, la médisance, l’envie, l’oubli de soi-même et d Dieu » (Jean de La bruyère, Les Caractères).

Aussi n’est-il n’est pas besoin de faire partie de notre élite d’hommes de lettres pour écouter le détraquement étouffé de ta foi trébuchante et comprendre que la cadence des vibrations endiablées de tes péchés répand des malheurs qui te comblent d’aise. J’entrevois distinctement l’émiettement de tes furtives illusions qui, après la lecture de ce texte, sont laminées par le caillou de la réalité…

Or, lorsqu’en un seul individu la faiblesse consume la force, que l’aveuglément révoque la lucidité ; quand la mélancolie calcine le bonheur, que le misérable surpasse le minable et qu’enfin la petitesse parvient à incendier la grandeur, l’on n’est plus en présence d’un homme véritablement. On assiste au spectacle d’un singulier homonculus se vautrant dans de lugubres et rentables turpitudes.

Ne m’attaque plus ! Je n’attaque pas tes honneurs qui sont sans nuages. Je ne m’en prends même pas à ce qui te manque plus que tout pour un responsable administratif et politique de ton rang, à savoir la parole d’honneur, qui est la fondation de la respectabilité.

L’honneur qui te manque est pourtant le premier devoir d’une personnalité publique ; c’est la trame de tout engament pris au nom de l’intérêt général. Mon ambition est de te créer un peu d’humanité parce que je sais que l’insensibilité fait les monstres.

C’est pourquoi, je donnerais tout le confort de ma science du discernement afin que les muscles raidis de ta conscience languissante prennent un peu d’aplomb et de couleur vive. J’aurais tellement voulu te contredire plus durement encore, te faire chanter même pour obtenir mon dû, mais je trouve que tu es déjà fort faible et malheureux comme ça.

Je sais par ailleurs que tu ne veux rien lâcher. En cela, tu donnes raison à Paul de Gondi, Cardinal de Retz, qui soutenait que « les gens faibles ne plient jamais quand ils doivent ». Et une sagesse millénaire ajoute que le propre des malheureux, c’est d’être ingrats.

Pauvre Jacques,

En pensant à toi, je ne peux m’empêcher de ruminer ces vers de Corneille :

« Mais quoi ? toujours du sang, et toujours des supplices !

Ma cruauté se lasse, et ne peut s’arrêter ; Je veux me faire craindre, et ne fais qu’irriter » (Cinna).

À défaut d’incarner cette grandeur qui impose le silence, tends vers l’honneur qui en est le substitut. Par ton insensibilité, tu te condamnes à être un destin, au lieu d’inspirer une issue, un chemin… Fais-tu équipe avec ces malfaisants génies dont Alain dit qu’ils ne peuvent supporter que l’on soit tranquille ?

Quoi qu’il en soit, je te conseille de renoncer à te venger de moi. Cesse de nourrir tes injustes colères et conjure ta débilité comportementale avec un peu de sincérité. Prends surtout de la consistance, car tu en as grand besoin.

À défaut d’opposer ton pardon à mon impertinence, parce que ton cœur est trop noir pour s’accommoder de clémence, conditionne-toi au moins à accueillir l’oubli de ma personne comme la plus précieuse garantie de ta repentance. Réapprends à redevenir quelqu’un ! Cela demande, de ta part, un immense effort dont je ne suis plus certain que tu sois capable.

Débarrasse-toi également de ton amertume et de ton acrimonie, fort de l’évidence que l’ancien crime est lavé par les martyrs nouveaux. Détrône enfin les sentiments tyranniques qui te rongent et qui te barrent l’accès aux délices champêtres à quoi te disposait récemment encore la lecture des chefs-d’œuvre de littérature, dont le génie des auteurs te fascinait si fort au point de te faire larmoyer de plaisir comme, une absinthe inaltérable. Reconquiers ton goût ! Que n’écrirais-tu pas une « Oraison de l’affligée», comme le sage grec Appolinaire ?

J’ai bu mon vin mêlé des larmes que je verse, Sous Ton courroux amer, Seigneur, et Ta disgrâce.

Elevé par Tes mains, je gis à la renverse Les jours de notre vie ainsi que l’ombre passent »

Ces vers IVe siècle pourraient efficacement tempérer tes tourments. Il faut impérativement que tu dilues l’écume des voluptés juvéniles qui te hantent sans cesse et que tu t’élèves à la hauteur comportementale qui fait de chacun de nous une histoire universelle miniaturisée. Fais coucher- les étoiles polaires de ton ensevelissement entretenu et allume le feu du Grand Retour.

C’est où gît la gloire des Immortels. Ils savent échapper aux maux inguérissables.

Aussi se tiennent-ils éloignés des sottises, des basses clowneries, des vaines lâchetés et d’obscènes vulgarités. Réapprends donc à lire les Classiques, comme André Malraux : tout homme ressemble à sa douleur et la souffrance même ne peut avoir de sens que quand elle ne mène pas à la mort. Telle est la condition générique de toute l’engeance des mortels.

Jacques, la probité, l’empathie et l’honnêteté ne sont pas des chimères ; ce sont les ingrédients véritables du bonheur individuel et du progrès social.

Dr. Fridolin Nké, enseignant d’université.

Source: la nouvelle expression

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