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Le piège africain du coronavirus : pourquoi la pandémie frappe plus durement le continent noir…

Depuis quelques jours, tous les médias du monde ont quasiment le même titre : « L’Afrique noire a échappé à la catastrophe sanitaire programmée du COVID19« .

Les africains habitués à être les grandes victimes des malheurs du monde savourent cette nouvelle et la prennent même comme une revanche sur la vie. Des nouvelles théories sur l’immunité supérieure supposée des noirs ou de la solidité des systèmes de santé africains commencent même à voir le jour. Tout ça est à revoir…

C’est vrai que si on se penche sur les chiffres bruts, les noirs ne meurent pas tant que ça du coronavirus. A la date du 15 Mai 2020, L’Afrique a enregistré 75 530 cas pour 2559 décès. C’est largement inférieur aux statistiques d’un seul pays européen comme la France qui a déjà enregistré 142 291 cas pour 27 665 décès pour la même période. Le Cameroun a lui enregistré 3105 cas 140 décès.

Décès de coronavirus en Europe et en Afrique : des impacts différents

Même si on estime que les chiffres africains sont sous évalués, on observe pas encore des tas de cadavres sur les routes comme l’OMS l’avait prédit. Mais…. C’est donc la ou se trouve tout le piège! Après la quantité, examinons un peu de près la qualité des personnes qui décèdent. En France, la moyenne d’âge des personnes qui décèdent est de 75 ans.

En général des personnes à la retraite depuis longtemps. On enregistre même des décès de masse non déclarés dans les maisons de retraite. En occident l’espérance de vie s’est beaucoup allongé après la seconde guerre mondiale. Ce qui a aggravé ou généré d’autres risques sociaux tels que la maladie et la dépendance.

En effet, les personnes âgées sont des grands consommateurs des services et bien médicaux. Les personnes du 4ème âge qui vivent essentiellement dans les maisons de retraite, ne produisent plus quand à elles rien du tout. Au contraire, elles consomment uniquement. A l’analyse, on dira que chaque mort en Occident donne un bol d’air au système des retraites (Qui subit de nombreux échecs de tentatives de réformes par tous les gouvernements qui se succèdent en France) et aux organismes de sécurité sociale (Assurances maladies par exemple). Si on veut être cynique, on dira que chaque mort en Europe fait du bien à l’économie de son continent.

En Afrique, la situation est différente. Si je prends le cas du Cameroun, un récent rapport du Minsante a révélé que 80% des décès étaient compris entre 40 et 60 ans.

Sur le plan de la dynamique du travail, c’est la tranche d’âge la plus productive. Des personnes à cet âge sont souvent au sommet de leur art; jouissent d’une grande expertise et d’une grande expérience professionnelle.

Même sans étude plus complète, et rien qu’a l’observation empirique, examinez un peu la qualité de personnes décédées de Coronavirus que vous connaissez au Cameroun : Ce sont souvent des ingénieurs, médecins, avocats, architectes, journalistes, et cadres administratifs d’un très haut niveau.

Ces décès de Coronavirus en Afrique noire posent les problèmes suivants :

 

La baisse de la productivité.

Ces hauts profils qui décèdent du coronavirus créent un vide dans leurs entreprises et lieux de travail ou ils détenaient des expertises rares, difficilement remplaçable dans l’immédiat. Par exemple, une entreprise (déjà fragile) comme le Chantier Naval qui vient de perdre son DG de Coronavirus va accuser un sérieux coup qui risque même d’accélérer sa descente aux enfers. Un médecin rhumatologue compétent et expérimenté comme le Dr Kwedi Félix ne se remplace pas d’un claquement des doigts.

Si l’épidémie ne s’arrête pas assez tôt et se prolonge dans le temps, le Cameroun pourrait enregistrer plus de 2500 décès; mais des décès de personnes d’une très grande productivité pour l’économie nationale. Bref, sous nos yeux, le Cameroun est en train de voir se décimer son élite qui constitue l’ossature de son appareil productif.

– La chute de la consommation

La consommation (moteur de l’économie) est tirée dans tous les pays par la classe moyenne. Au Cameroun cette classe moyenne est majoritairement comprise dans la tranche d’âge de 40-60 ans avec des emplois ou activités plus ou moins formelles. C’est cette même tranche qui est particulièrement vulnérable au coronavirus. Si le Cameroun arrivait à perdre des milliers de personnes de cette classe moyenne tout au long de cette épidémie, ce serait dramatique pour l’économie nationale.

– Les problèmes sociaux.

8 personnes sur 10 qui décèdent du coronavirus au Cameroun sont des hommes. Des décès qui génèrent un nombre important d’orphelins et de veuves sans moyens de subsistance à long terme. Les conséquences étant l’échec ou l’abandon scolaire, la délinquance juvénile la prostitution et les addictions aux drogues et substances illicites.

En outre, les pays africains n’ont pas souvent des systèmes de sécurité sociale solides. Les problèmes sociaux des citoyens sont souvent portés par la classe supérieure ou moyenne du pays par la théorie du ruissellement; c’est à dire que toute personne avec un emploi ou bien située, redistribue un peu de la richesse à ceux qui ne s’en sortent pas; ceux qui sont au bas de l’échelle. Chaque personne qui a un emploi formel, a sous sa charge, une vingtaine de personnes (famille nucléaire, parents, grands-parents, cousins, personnes restées au village, amis, etc…). Le Cameroun qui a déjà enregistré à ce jour 140 décès, vient de voir au moins 2800 personnes (140 fois 20) en très grande difficultés. Et l’onde de choc est infinie. En clair, tout décès de Coronavirus en Afrique est une immense perte pour l’économie du continent.

CONCLUSION

L’impact sanitaire de la crise du COVID19 sera moins grave en Afrique qu’ailleurs. Mais l’impact économique et social sera d’une violence inimaginable. En dehors des la baisse de la fluidité des échanges, c’est surtout au niveau de l’impact négatif sur les ressources humaines productrices que l’Afrique ressentira le grand choc.

Les personnes dans la tranche d’âge 40-60 ans et plus qui décèdent du coronavirus sont en très grande majorité des porteurs de comorbidites. Il y a peu près 30 ans que l’Afrique a amorcé sa transition épidémiologique. La charge de la morbidité n’est plus seulement constituée de maladies infectieuses. On assiste plutôt à la progression fulgurante des maladies non transmissibles tels que l’hypertension artérielle, le diabète, l’obésité, les maladies cardiaques, les cancers, etc…

C’est justement le terrain fertile du coronavirus ! Les personnes de la classe moyenne et supérieure ont justement adopté des mauvaises habitudes de vie ; Elles font peu d’activités physiques, avec une alimentation déséquilibrée, faite de matières grasses, de sucre et de produits importés parfois remplis de pesticides ou d’OGM.

Il est pour l’instant rare de voir des villageois ou des personnes qui se battent en ville dans des quartiers et des activités physiques rudes mourir de Coronavirus au Cameroun. Du moins pour l’instant. Et si c’était le secret de l’immunité ?

 Dr Roger Etoa, Médecin de santé publique

 

 

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