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Gabegie : au Cameroun, l’Etat n’a pas réduit son train de vie en plein Covid-19

Alors que le nombre de Camerounais contaminés par la pandémie continue de s’accroître et que les moyens de lutte demeurent minables, dans un pays confronté à l’insuffisance de plateaux techniques dans les hôpitaux, le gouvernement décide de l’octroi de 4 milliards aux nouveaux députés pour l’achat de véhicules de fonction, entre autres.

Le fait n’est pas nouveau

On se souvient qu’à la veille d’une session parlementaire qui s’était tenue en 2008, pour amender la Constitution en vue de faire sauter les verrous de la limitation des mandats, le gouvernement, sous l’instigation de la présidence de la République, avait décidé de l’octroi des véhicules flambants neufs aux élus du peuple, dont certains ne siégeaient alors à l’hémicycle que depuis 2007, année électorale au Cameroun. Les unités de sécurité, elles aussi, ont souvent bénéficié de ce traitement de faveur dans des circonstances d’exception. Le 12 mai 2020, le pouvoir de la gabegie a à nouveau triomphé, et ils ont décidé de remettre ça.

En effet, le ministre des Finances, Louis Paul Motaze a signé une lettre autorisant une dotation de 4 milliards 197 millions de F CFA aux nouveaux députés. La somme représente « les primes accordées aux députés nouvellement élus, pour l’achat des véhicules de fonction et d’équipements divers”. D’après l’article 2 de ladite décision, la dotation qui est mise à la disposition de Madame Achemetyae Mendouga, agent comptable de l’Assemblée nationale, sera imputée à une ligne du budget de l’Etat au titre de l’exercice 2020, plus précisément au chapitre 65 libellé « dépenses communes par prélèvement sur une ligne de provision ».

Le hic n’est pas que la loi de finances ne prévoie pas une ligne de dépenses consacrée aux équipements de fonction de l’Etat. L’incongruité, c’est le contexte marqué par l’urgence sanitaire, au plus fort de la lutte contre le Covid-19, dont aucun érudit de la santé ou de l’économie mondiales ne peut prédire la fin. Comme si cette situation particulière était moins urgente que d’autres aspects de la vie de la nation, les dirigeants camerounais prennent une telle mesure alors qu’ailleurs, tous les efforts convergent vers des solutions à cette pandémie mondiale qui ruiné toutes les économies, de la plus puissante à la plus modeste.

Il n’en fallait pas plus, en tout cas, pour provoquer l’ire et l’indignation de certains leaders d’opinion. A l’instar du père Ludovic L’ado, prêtre jésuite, qui crie au scandale. Ce d’autant plus que cette initiative, qui illustre à suffisance la gabégie endémique dont nos dirigeants sont coutumiers, intervient dans un contexte où, écrit-il, « la prise en charge des malades de Covid-19 laisse à désirer ». Le Cameroun fait face à un crucial problème sanitaire aggravé par la quasi absence de plateaux techniques dans les hôpitaux, comme on a pu le constater, en 2016, avec l’affaire Monique Koumatekel, dont les résultats de l’enquête demeurent contestés.

Le père Lado ne se limite pas à dénoncer le gaspillage, il interpelle la conscience des bénéficiaires de cette offre de générosité étatique, et en appelle à leur responsabilité. « L’occasion vous est donnée de faire la différence en menant une campagne au niveau de l’Assemblée nationale pour que les 4 milliards et plus initialement destinés à l’équipement des députés soient réorientés vers l’équipement de nos hôpitaux en couveuses », suggère l’ouvrier apostolique. Ce d’autant plus que, et aussi incompréhensible que cela paraisse, le 18 mai, soit seulement six jours après la décision du ministre des Finances, une jeune Camerounaise a perdu ses quatriplés au Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Yaoundé, à cause justement de l’insuffisance des couveuses dans cette formation sanitaire.

Même si elle n’a pas suscité le même niveau d’indignation populaire que celle de Koumaté-kel, décédée elle aussi des suites d’un accouchement difficile, l’affaire de la jeune Ntsama a mis en relief le problème des équipements de nos hôpitaux publics. Et pourtant, le ministre des Finances n’a pas cru bon de rapporter sa décision. Du moins jusqu’au moment où nous allions sous presse. Pour le moment, seule la députée Nourane Fotso du Pcrn a montré une volonté de ne pas affecter ladite dotation à l’achat de véhicules de fonction, en cas de l’effectivité du versement. Ce d’autant plus que, se justifie-t-elle, son parking est doté d’au moins deux véhicules au moment de la décision. Elle a d’ores et déjà prévenu que sa prime servira à la cause de l’urgence sanitaire.

Dépenses publiques

Pourtant, depuis au moins six ans, le chef de l’Etat n’a de cesse de rappeler l’urgence de réduire le train de vie de l’administration par la rationalisatoon des dépenses publiques et surtout l’assurance que le niveau des salaires est en adéquation avec le niveau des recettes fiscales. L’urgence de la régulation budgétaire annoncée en avril 2019 par le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, s’inscrit dans cette perspective. La rationalisation concerne notamment les lignes de dépenses courantes et les dépenses d’équipement. Jusqu’en 2013, les dépenses salariales mensuelles du Cameroun se chiffraient à 70 000F CFA.

Les dépenses pour les bourses et les stages ont englouti quelque 30 milliards entre 2015 et 2016 (un peu peu plus par le passé), pour baisser de 8 milliards en 2017. Mais la prise en charge des nouvelles recrues au sein de la fonction publique et des forces de sécurité et de défense avait induit la hausse des salaires de 30% au cours des cinq années qui suivirent. En juin 2017, le président de la République était monté à nouveau au créneau pour prescrire la réduction du train de vie de l’Etat. Il avait signé dans cette perspective des directives en préparation du budget 2018.

En application des instructions de Paul Biya, le Premier ministre, Joseph Dion Ngute avait annoncé, à l’issue d’un conseil de cabinet tenu en avril 2019, que les demandes d’autorisation de sortie du territoire en vue de participer à des activités telles que les séminaires, les colloques ou les remises de prix devaient systématiquement être rejetés, surtout lorsque ces dépenses sont payées par le contribuable. Depuis lors, le gouvernement a consenti des efforts pour débusquer les fonctionnaires fantômes ou fictifs et partant, assainir les effectifs de la fonction publique.

Le ratio entre les salaires et les recettes fiscales a diminué. De 40% entre 2013 et 2015 (largement supérieur à la norme acceptable de 35%), le ministère des Finances tablait sur 36,7% en 2018. Depuis 2016, les allocations budgétaires pour l’achat des véhicules se situent, du moins jusqu’en 2018, sous la barre de 0,5% du budget d’investissement public global, contre 2,6% en 2013. Par ailleurs, la bonne tenue des recettes fiscalo-douanières, a valu les félicitations des bailleurs de fonds internationaux au terme du printemps du FMI et de la Banque mondiale qui s’est tenu en avril 2019.

Croissance au point mort

Apropos, Louis Paul Motaze déclarait : « Les administrations d’assiette ont fait un très bon travail en 2018, dans la mesure où les objectifs assignés [dans le cadre de la facilité de crédit de 363 milliards de F CFA, accordée au Cameroun en juin 2017, Ndlr] ont pratiquement été atteints. » Pourtant, le ministre des Finances avouait qu’ « il ne s’agit pas seulement de faire de la stabilisation, mais aussi de relancer la croissance parce que les opérateurs économiques et les populations ont besoin de cela.”

Parlant justement de la croissance, les indicateurs n’augurent pas des perspectives réjouissantes en pleine Covid-19. Alors que le PIB du continent devrait chuter de 2,4% en moyenne en 2019 pour osciller entre -2,1% et -5,1% en 2020 à cause du coronavirus, d’après les prévisions macroéconomiques, le cas du Cameroun est plus que préoccupant. Une étude publiée en avril 2020 par le Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam) révèle que les PME et les entreprises de services en ont déjà subi les contrecoups, que 77,% d’entre elles disent constater la baisse de leur chiffre d’affaires hors taxe en mars 2020.

L’enquête indique par ailleurs que 83,2% des entreprises ont reporté leurs investissements, que 87% ont mis leur personnel au chômage ou ont dégraissé les effectifs, tandis que 53% ne pourront pas tenir au-delà de trois mois. C’est dire l’urgence qu’il y a à compresser au max les poches de dépenses, comme les allocations annoncées en faveur des nouveaux députés. Cela vaut encore mieux dans un contexte où le pays est à haut risque de surendettement.

Source: Le Jour

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