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Cameroun : les Benae, une vie dans l’antichambre du pouvoir

Le père fut l’un des plus proches collaborateurs du chef de l’État et la principale figure du département de l’Océan. À son décès, en 2007, ses adversaires engagent une féroce bataille politique contre ses héritiers. Quinze ans plus tard, le clan ne renonce pas à jouer les premiers rôles.

C3f est dans les eaux de l’océan Atlantique baignant Kribi, la localité qui Ta vu naître en 1939, que Biaise Benae Mpecke a vécu ses derniers instants sur terre. Lorsqu’il plonge dans les vagues, ce 3 janvier 2007, rien ne présage le drame qui va se produire, si ce n’est peut-être cette nouvelle composition qu’il a fait répéter à la fanfare du village et dont le titre, Toi qui pars, semble, avec le recul, étrangement prémonitoire.

Ce jour-là, un menu de fête a été élaboré au domicile du chef d’état-major particulier du président. Réuni au grand complet, le clan Benae a plusieurs raisons de se réjouir. Il y a le mariage du deuxième fils de la famille, Eliasco, organisé une semaine plus tôt. Et puis les célébrations du Nouvel An. Et, enfin, la cérémonie de remise des épaulettes aux soldats de l’unité que dirige Biaise Benae Mpecke. Exceptionnellement, elle se tient à son domicile.

Autour de la table, Henriette, son épouse, et leurs fils. Serge, l’aîné, mais aussi Martino, Eliasco et Jean-Louis, confortablement installés. Des cousins et amis de la famille sont également présents. Le vin rouge coule à flots, l’ambiance est festive. Vêtu d’un jogging rappelant son passé de judoka (trois dans au compteur), l’officier supérieur savoure d’autant plus ces retrouvailles qu’il doit rallier Yaoundé dès le lendemain, à l’aube, afin de prendre part à la cérémonie de présentation des vœux à Paul Biya.

Il est près de 16 heures quand le patriarche a envie de se baigner. Alors que les convives se retirent progressivement, le chef des Batangas se dirige vers la plage privée de sa résidence et plonge dans l’océan. Il en ressort quelques instants plus tard, pris d’un malaise. Conduit à l’hôpital de district de Kribi, il rend son dernier souffle. Considéré comme l’un des plus proches collaborateurs du chef de l’État, au côté duquel il cheminait depuis un quart de siècle, Biaise Benae Mpecke avait 68 ans.

Ascension quasi fortuite

Le pays est sous le choc. C’est une page de l’histoire politique du Cameroun qui se tourne. Et, quinze ans plus tard, le nom de Benae Mpecke continue de résonner à travers les couloirs du palais présidentiel. « On le retrouve en filigrane derrière les principaux axes de la stratégie sécuritaire mise en place par le système Biya, résume un ancien haut gradé. Dans le sérail, on l’associe encore aux militaires loyalistes qui ont permis de déjouer la tentative de coup d’État ayant visé le président en 1984, moins de deux ans après son arrivée au pouvoir. » Mais comment cette famille, plutôt discrète, s’est-elle fait une place au cœur du pouvoir?

L’ascension de Blaise Benae Mpecke jusqu’aux plus hautes sphères de l’État s’est

déroulée de manière quasi fortuite. Son chemin croise celui de Paul Biya en 1982. À la tête du pays après qu’Ahmadou Ahidjo a démissionné, le chef de l’État veut faire construire de nouvelles résidences pour les services rattachés à sa présidence à Mvomeka’a, son village natal.

Un as dans son domaine

Diplômé de l’École militaire inter-armes du Cameroun (Emiac) en 1961, le jeune chef de bataillon Benae Mpecke dirige la base du génie de PK10 Douala. C’est un as dans son domaine. Il a supervisé la construction de l’aéroport de Garoua, du stade omnisports et de la résidence du général Semengue à Yaoundé, ou encore celle de la névralgique station de télécommunications de Zamengoe.

Le chef de l’État a remarqué le travail de ce militaire discret, dirigeant ses hommes avec rigueur. Paul Biya, qui réfléchit à la composition de son entourage, le sollicite l’année suivante. En 1983, Benae Mpecke rejoint l’état-major présidentiel, avec résidence dans le quartier administratif du Lac, à Yaoundé. Mais c’est en 1984 que son destin bascule véritablement. À peine a-t-il pris ses marques dans la capitale que de violents coups de feu éclatent dans les artères de la ville, le 6 avril, aux alentours de 3 h 30. Odeur de poudre, bruits de bottes… Des soldats de la Garde républicaine tentent de renverser le pouvoir en place.

Plusieurs points stratégiques de la ville ont été neutralisés, et le téléphone de Benae n’arrête pas de sonner. Il échange notamment avec le directeur général de la Sûreté nationale, Martin Mbarga Nguelé. Après avoir mis sa famille à l’abri, Benae décide de sortir accompagné de son chauffeur, Pierre Wantchou. Dans une malle, des fusils automatiques légers (FAL) et des cartouches 7,62 mm.

Ils tentent de rallier le centre de commandement de la région militaire, puis le poste de transmission de Zamengoe. Ordre est donné de déconnecter certaines des installations afin que le message des putschistes ne soit pas diffusé dans l’ensemble du pays. La décision se révélera salutaire.

À Yaoundé, la riposte s’organise. Le 7 avril, après plusieurs longues heures de combat, les forces loyalistes réussissent à reprendre le palais d’Etoudi. Benae Mpecke est le premier à pénétrer dans le bunker où Paul Biya a été mis à l’abri. « Monsieur le Président, lui lance-t-il, vous êtes en sécurité. » Paul Biya ne s’en séparera plus.

Le 9 avril, on l’aperçoit au côté du chef de l’État lors de la cérémonie d’hommage aux victimes de la tentative de renversement. Il est récompensé pour sa bravoure et promu lieutenant-colonel, puis nommé sous-chef d’état-major particulier, et il emménage au palais présidentiel. C’est le début d’une nouvelle vie.

Collaborateur loyal

« Le coup d’État l’a placé au cœur de la pensée militaire du président, explique un proche de la famille. Ils n’ont jamais été amis, mais Paul Biya a toujours témoigné du respect à ce collaborateur qui lui avait été loyal. »

Devenu ensuite chef d’état-major particulier du chef de l’État, Benae Mpecke est dès lors le principal collaborateur militaire de ce dernier. II l’assiste dans la réforme du dispositif sécuritaire de la présidence de la République, qui voit la disparition de la garde républicaine et l’avènement de la garde présidentielle. Il participe également aux prémices de la coopération militaire avec les Israéliens, que Paul Biya préfère aux Français, qui collaboraient avec Ahmadou Ahidjo.

Benae Mpecke est envoyé à Tel-Aviv II y discute de la mise en place d’une unité antiterroriste qui dépendra directement du président. En 1989, lorsqu’il est promu colonel, cette unité dispose de deux aéronefs et de ses propres moyens de transmission. Elle évoluera par la suite pour donner le Bataillon léger d’infanterie (BLI) puis le Bataillon d’intervention rapide (BIR) aujourd’hui considéré comme une véritable armée dans l’armée. De la gestion du conflit autour de la presqu’île de Bakassi à la réforme de l’armée en 2001, Benae laisse son empreinte sur les dossiers les plus délicats.

Courtisans et obligés

Mais on retrouve aussi son nom là où on l’attend moins, y compris dans l’affaire Albatros, du nom de l’avion présidentiel acheté dans des circonstances troubles au début des années 2000 l’épisode coûtera leur carrière et leur liberté à plusieurs personnalités, accusées de détournement de deniers publics. En avril 2002, il se rend même aux États-Unis pour suivre le processus d’acquisition de l’appareil, un vieux coucou de dix-huit ans qui achevait son existence sur un parking californien.

Le 25 avril 2004, ses défaillances manqueront de coûter la vie au président, à sa femme et à leurs jeunes enfants blocage du train d’atterrissage, fuite hydraulique… Pour ces avaries techniques, pas plus que pour le montage financier douteux qui avait permis son achat, Benae Mpecke ne sera jamais inquiété.

Proche conseiller du président, il était aussi devenu, au fil des années, la principale figure de sa ville natale, Kribi, et de son département d’origine, l’Océan. Soucieux de contribuer au rayonnement de cette localité, il y multipliera les investissements : une entreprise de pêche, des propriétés immobilières, des complexes agricoles ainsi qu’un hôtel. Devenu général de brigade en 2001, le patriarche fait et défait les carrières dans son fief. Lors de ses passages à Kribi, les rangs de courtisans et d’obligés sont interminables.

Aucun de ses enfants ne choisit de le suivre dans la voie militaire, mais le leadership de la famille se perpétue à travers la politique. Lors des législatives de 2002, la désignation de son fils Serge comme candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) et son élection font jaser. Certains y voient une volonté du clan de régner sans partage sur ce département à fort potentiel économique, mais l’aura du patriarche empêche les mécontents de s’exprimer trop ostensiblement.

Innocent Ondoa Nkou, ancien directeur général de la Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec) et maire de la commune de Fifinda localité frontalière de Kribi -, a bien tenté de reprendre le leadership de la région. Mais il n’a pu empêcher l’élection du deuxième fils Benae, Hervé Martin, dit Martino, à la mairie de Kribi 1er en 2007, et des démêlés avec la justice l’ont expédié derrière les barreaux.

« En se faisant élire, les fils du général ont montré leur volonté de continuer d’écrire l’histoire de leur famille et de conserver le contrôle de l’Océan, confie le proche précédemment cité. Cela n’a pas plu aux autres acteurs politiques locaux. »

À Kribi, la disparition de Benae Mpecke a brisé un tabou, et ses fils doivent désormais faire face à une féroce adversité politique. Lors des législatives de 2013, Serge est contraint de céder son siège de député à Martin Oyono. Deux ans plus tard, un entrepôt de la famille soupçonné d’abriter une cache d’armes est perquisitionné. La fouille est infructueuse, et les Benae sont convaincus qu’on cherche à leur nuire.

Mois après mois, la famille perd de son influence, et cela se répercute sur ses affaires. En difficulté financière des déboires que la famille attribue à ses adversaires -, l’hôtel Palm Beach gardera portes closes pendant près de deux ans, tandis que le Copa Cabana, de Grégoire Mbah Mbah, affiche fière allure.

Les Benae plient mais ne rompent pas. Lors des élections de 2020, les différentes forces en présence sont contraintes de partager les mandats de la contrée. Grégoire Mbah Mbah, l’un des grands rivaux du clan, a obtenu un siège de sénateur, mais Serge Benae retourne à l’Assemblée nationale. Martino a quant à lui perdu son fauteuil de maire, mais les affaires ont repris, et l’hôtel de Kribi, fleuron de l’empire familial, est en pleine rénovation.

L’embellie va-t-elle durer ? Rien n’est moins sûr tant les échéances électorales ont le don de raviver inimitiés et ambitions. Mais le clan Benae continue de préserver l’héritage du père, dont un buste imposant trône encore devant la salle des fêtes qu’il avait fait construire. Le général n’a pas renoncé à faire parler de lui.

JEUNE AFRIQUE N°B116 SEPTEMBRE 2022

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