Il est arrivé dans la ville de Garoua et prié par les services de sécurité de retourner à Yaoundé par le même vol qu’il avait amené quelques minutes plus tôt.
Au micro de nos confrères de Vox Africa, le Pr Pascal Messanga Nyamding fait le point sur ce qui s’est réellement passé à l’aéroport de Garoua et sur l’objet de son séjour dans cette ville fief de l’opposant Issa Tchiroma Bakary.
Professeur, vous êtes arrivé à l’aéroport de Garoua mais vous n’avez pas pu débarquer. Qu’est-ce qui s’est passé ?
D’abord, je suis venu en tant que coordonnateur du mouvement des biyaïstes. Vous savez que nous sommes un soutien idéologique et dogmatique du chef de l’État. Alors, nous avons pris rendez-vous avec l’équipe du ministère Tchiroma pour offrir nos bons offices.
Il faut bien le préciser, ce n’est ni l’État ni Tchiroma qui nous a convoqués. Personne ne nous a mandatés. Mais nous avons bien pris soin quand même de venir. Malheureusement, pour des raisons de sécurité, probablement, il ne nous a pas été permis d’entrer à Garoua. Je dis bien pour des raisons de sécurité. Or, vous savez que l’État a des informations que nous n’avons pas.
Et puis, on ne joue pas avec la puissance publique. Nous avons juste eu le temps d’atterrir et de repartir, je dis bien, pour des raisons de sécurité.
Cela veut dire que, de manière générale, vous estimez que c’est tout à fait normal ?
Non, nous n’avons pas de position. Vous savez que, comme je l’ai dit en tant qu’analyste, nous sommes venus pour une médiation. Bon office, à l’effet d’appaiser le ministre Tchiroma, qui est d’ailleurs un ami aussi. A ce titre, nous avons trouvé opportun que cela était faisable, il a été prévenu et nous étions attendus.
Maintenant, comme je l’ai dit, en tant que professeur de sciences politiques et de droits publics, l’État a une très haute hiérarchie à des informations que nous n’avons pas. Mais une chose est sûre, pour des raisons de sécurité, il ne nous a pas été possible d’entrer à Garoua, rencontrer le ministre Tchiroma, comme prévu.
Maintenant, est-ce que vous allez tout de même poursuivre votre médiation ?
Oui, elle peut se faire au nom de l’intérêt supérieur de la nation, par des moyens téléphoniques, elle peut se faire par des voies autres que physiques, ça veut dire qu’aujourd’hui il y a les TIC, mais après également avoir entendu l’Union Européenne, qui souhaiterait effectivement que le climat soit apaisé, après avoir aussi vu que l’Union Africaine reconnaît la proclamation des résultats du Conseil Constitutionnel, qui reconnaît le président Paul Biya, vainqueur, avec 53,66%.
Au regard des positions assez dures quand même des protagonistes, c’est-à-dire à la fois les partisans du ministre Tchiroma, et le gouvernement aussi qui est la puissance publique, nous on a voulu passer un seul message, apaisé pour des raisons évidentes. Parce que lorsque vous voyez la carte électorale du Cameroun, et si nous nous en tenons aux résultats proclamés par le Conseil Constitutionnel, vous avez cinq régions où le président de la République, mon maître politique, est en tête, mais vous avez aussi cinq régions où l’opposant Issa Tchiroma est en tête.
Donc si vous faites une analyse politologique objective, vous verrez que le Cameroun est partagé, et que les régions qui portent aussi bien le ministre Tchiroma ou encore le président de la République fondent le socle de notre nation.
Donc on n’avait qu’à voir, si vous voyez M. Tchiroma, Grand Nord, il est en tête, Nord il est en tête, Adamaoua il est en tête, Ouest il est en tête, Littoral il est en tête, vous verrez que c’est un score digne, même s’il est à 35%, il devrait, dans mon modeste avis, capitaliser cela pour se préparer pour l’avenir. En tout cas c’était notre message, il n’y avait rien d’autre.
Maintenant la raison d’Etat prend toujours le dessus sur toute autre approche, nous rentrons sur Yaoundé, peut-être un peu lessivés, parce que c’est vrai qu’il y a beaucoup de risques, puisque les forces de défense et de sécurité nous ont sensibilisés essentiellement sur les problèmes de sécurité, et bien nous nous en tenons à cela.
Mais nous n’allons pas arrêter la médiation, parce qu’il faut que tous les Camerounais, les hommes politiques, les intellectuels, reconnaissent que la situation que nous sommes en train de vivre au Cameroun est inacceptable, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir la casse, de voir les morts et tout ce qui en suit.
Pour préserver ce pays, nous avons pris sur nous de venir, malheureusement les circonstances et les raisons de sécurité ne nous permettent pas d’atteindre notre objectif ce jour, nous rentrons sur Yaoundé.
Professeur, il y a des menaces d’arrestation sur le ministre Issa Tchiroma Bakary, qu’est-ce que vous en pensez ?
Non, je crois que l’État a la puissance armée et militaire. Tel que je lis politologiquement les choses, ça risque d’aboutir au suicide de M. Issa Tchiroma. Alors j’ai bien peur que, si une escalade est donnée, je connais très bien le ministre Issa Tchiroma que j’ai connu à travers le chef de l’État, lorsqu’il entre au gouvernement, simple, et il est d’obédience musulmane, je ne vois pas M. Issa Tchiroma se faire arrêter. D’ailleurs, il a été en prison pendant 7 ans, en avril 1984, il en a souffert dans sa chair.
Tel que les choses sont en train de se passer, je voudrais que le gouvernement, que je soutienne bien entendu, du point de vue de l’idéologie, portée par le président de la République du Renouveau, prenne conscience que le pire peut arriver. Et j’ai peur de ce pire, j’ai peur de l’irréparable. D’ailleurs, c’est pourquoi nous sommes venus.
Parce que dans les échanges avec beaucoup de ressortissants du Grand Nord, et même ceux qui sont proches du gouvernement, non de l’État, et pour certains qui sont même militants du LEPC, j’ai fort l’impression que M. Issa Tchiroma, d’ailleurs il l’a dit, il peut faire mourir que de se rendre. Il faut surtout prendre conscience de cela, et éviter cela, parce que ce serait l’irréparable, et aucun État ne pourra vivre en autarcie. Mon souhait étant que le président Paul Billard soit en effet l’homme qui a apporté la démocratie et la prospérité.
Et c’est ça aussi le souci des biyaïstes. Il faut éviter un chaos, 43 ans après, face à un président de la République qui a toujours été très apaisé. Voilà, j’ai bien peur qu’on arrive à l’irréparable.
Et je voudrais, et d’ailleurs je le dis, pour que ceux qui ont le pouvoir de décider, et qui occupent des fonctions de pouvoir et de décision, et qui accompagnent le chef de l’État, prennent rapidement conscience qu’il ne faudrait surtout pas arriver là.
On a actuellement un contexte qui est tendu du fait des accusations du ministre Issa Tchiroma sur des irrégularités du processus électoral. Qu’est-ce que vous en dites ?
Bon, vous savez que j’ai toujours été un monsieur honnête. J’ai pris le temps de regarder les publications des 18 départements qui servent d’échantillonnage. Pour l’instant, moi je ne les ai pas. Je pense qu’il faut qu’on regarde tout ça.
Et puis, vous savez, j’ai parlé de la raison d’état. Maintenant, une chose est sûre, c’est que le score de 35% du ministre Issa Tchiroma est un score digne. C’est un score digne.
Et je pense, c’était aussi quelque part mon message, qu’il faut se remobiliser pour éviter ce qui est arrivé au MRC, c’est-à-dire, et d’une Corée, le fait que très prochainement, il y aura les élections législatives et municipales qui peuvent permettre au ministre Issa Tchiroma de maintenir sa dynamique. Là, je vous parle en tant que politologue, et à la fois en tant que politique. Je pense qu’à un moment donné, il faut penser au Cameroun, il faut penser aussi à ce Grand Nord qui aujourd’hui est en train de se déchirer avec le Grand Sud.
Il y a des choses qu’on ne souhaite pas. Surtout que nous avons déjà eu deux antécédents. Souvenez-vous, avec la crise d’Enoso, où les Camerounais d’obédience anglophone ont été stigmatisés.
Et on voit bien ce que ça a donné. 7 000 morts, ça ne profite à personne. Et puis, après la victoire du MRC dans cette circonscription dite de l’Ouest et du littoral, vous avez vu aussi que là, ce sont les ressortissants de l’Ouest qui ont été stigmatisés.
Alors, si vous cumulez aujourd’hui et vous faites ce comté explosif de stigmatisation, Grand Nord, à peu près 2 500 votants. Grand Nord, 2 500 votants. Ouest, 900 000.
Et vous allez chercher chez les anglophones, 900 000. Au littoral, 1 300. Vous voyez que majoritairement, au-delà de ce que nous, les politologues, nous appelons le scrutin représentatif nominal, où la sociologie voudrait que c’est une voix qui soit vainqueur.
Mais si vous faites ce qu’on appelle, vous intégrer la dynamique, c’est ce qu’on peut appeler le fédéralisme anthropologique. Vous savez, le fédéralisme anthropologique ne tient pas compte de la majorité des voix. Il tient compte des zones où les populations sont représentées.
C’est-à-dire, les zones de représentation, on va vous dire Grand Nord, Ouest, littoral, vous voyez qu’il y a une majorité de Camerounais aujourd’hui qui peuvent dire qu’ils sont un peu frustrés et gênés. Alors, il faut tenir compte de cela. Contrairement au scrutin de One Man Right Vote, qui est un principe occidental, il faut tenir compte de la dynamique représentative.
On appelle ça le système fonctionnaliste. Et c’est pourquoi nous pensons que la communauté internationale nous regarde et qu’il faut se battre. Et que les intellectuels jouent un rôle d’apaisement.
Vous avez le cas avec nous, nous soutenons l’idéologie du président de la République, mais nous continuons aussi à soutenir la paix avec des sorties un peu plus souples qui peuvent permettre à l’opposant Issa Tchiroma de garder sa dignité et surtout aux Camerounais, qui ont voté quand même pour lui 35%, de retrouver la sérénité à l’effet de nous éviter l’implosion. Je crois que c’était ça aussi notre mission.
Une dernière question. On a vu beaucoup d’images de répression dans la rue, sur les réseaux sociaux. Quels commentaires pouvez-vous en faire ?
Écoutez, vous savez, l’État jouit de ce qu’on appelle le sacro-saint principe de la violence légitime. On a aussi vu des casses, on a aussi vu des gens dans la rue, à la fois on a vu des morts.
Il faut condamner tout ça. Je crois qu’il faut, en ce moment bien précis, autour du choc de l’État, des hommes de crise, je pense qu’il faut des hommes de crise. Vous savez, les hommes de crise ne sont pas des vas en guerre.
Parce que quoi que l’on dise, si nous reconnaissons et nous partageons avec le Conseil constitutionnel la proclamation de la victoire du président de la République, il ne faut pas oublier que, quelque part, il y a aussi une paix qu’on doit sauvegarder. Parce que certains, évidemment, ont opposé ce qu’on appelle la victoire des unes à la victoire des possèdes verbaux.
Alors vous comprenez qu’homme ministre c’est sur moi, je dirais, vraiment, il a été ministre trois fois, ministre des Transports, ministre de la Communication, et il a terminé ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, qu’il prenne de la hauteur.
Vous savez, je vais vous raconter une histoire. Madame Segolène Royal aurait gagné face à l’époque, j’ai dit bien aurait, gagné de cent mille voix. Elle avait une avance de cent mille voix sur M. Sarkozy.
Mais il y a l’intérêt supérieur de la nation. A la fin, il faut savoir, raison garder, bien se tenir. C’est pourquoi je pense qu’au regard de l’expérience du ministre Tchiroma, il devrait faire profil bas, parce qu’aujourd’hui, il ne s’appartient plus, il le dit, parce qu’il a été porté par un peuple qui, il faut le dire, l’a publicité à 35%, mais il faut aussi dire qu’en face, le pouvoir doit se remettre en cause.
Parce que voilà un monsieur qui n’a ni cellule, ni comité de base, ni section, à l’échelle nationale, mais pour la première fois dans l’histoire politique, en dehors des présidents Amadou Ahidjo, notre ancien président, et Paul Biya aujourd’hui, je vous fais remarquer que le ministre Tchiroma est quand même l’opposant qui a un vote dit qui n’est pas focalisé dans une seule région. Il faut tenir compte de cela et poursuivre la discussion, parce que quoi que l’on dise, notre pays n’a pas besoin d’une guerre ou de tout ce qui nous arrive aujourd’hui pour vivre. Il faut penser aux générations futures.
Je crois que c’est cela. Je suis bien triste, parce que je suis convaincu que connaissant le président Paul Villa, qui est aussi un homme de paix, c’est le mendiant de la paix, nous allons avoir une deuxième chance et peut-être revenir, continuer notre médiation. Mais en attendant, nous allons la poursuivre en respectant au plus haut niveau les institutions et les orientations données par la puissance publique, parce que quoi qu’on dise, on ne fait pas le bras de fer avec l’État.
Voilà ce que je peux vous dire. Merci.
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