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Cameroun – Delphine Tsanga : Une pionnière de l’émancipation des femmes

Athlète, infirmière, députée, ministre et écrivaine, la vie de cette femme d’exception n’a pas toujours été un long fleuve tranquille.

Il y a quelques mois, une rumeur s’est répandue sur la toile, prétendant la mort de Delphine Tsanga. Une information erronée d’un plaisantin qui a profité du mauvais état de santé de l’ancienne ministre pour propager la fausse nouvelle. Malheureusement, le 16 juillet 2020, l’ancienne ministre s’en est vraiment allée. S’il n y a pas eu d’annonce officielle du gouvernement, la triste nouvelle a cependant été crédibilisée par un reportage de la Crtv réalisé dans son domicile du quartier Bastos à Yaoundé.

Première fille camerounaise à pratiquer l’athlétisme lors de compétitions internationales de haut niveau, elle franchit la barre des 1m50 au Saut en hauteur. Mais le sport aura raison de son genou qui fera l’objet d’une intervention chirurgicale en 2016. Après cette épreuve, Deré comme l’appelaient ses intimes, se déplace en fauteuil roulant, après s’être longtemps appuyée sur une béquille. Une dégradation physique qui ne freine pourtant pas son envie de continuer à servir le Cameroun. Encore et encore.

Elle avait accepté sa nomination par Décret présidentiel le 7 mai 2011 au sein d’Elec-tions Cameroon (Elecam), l’institution chargée d’organiser les élections au Cameroun. En tant que membre du Conseil électoral, sa mission était d’assurer la régularité, l’impartialité, l’objectivité, la transparence et la sincérité des scrutins. Elle jouera quelquefois le rôle de pompier pour apaiser les tensions. A Elecam, elle aura pesé de tout son poids et de toute son expérience pour tenter de trouver une voie de sortie à la crise anglophone qui dure. « Avec sa petite voix et sa modestie, elle cherchait toujours à trouver le juste milieu, le consensus. Je crois que nous, les nouveaux venus, avons beaucoup appris d’elle», témoigne Enow Abrams Egbe, Président du Conseil électoral d’Elecam.

Un engagement sans fin que la mort a stoppé. Delphine Tsanga née Zanga Tsogo s’en va à 85 ans. L’annonce de son décès s’est répandue sur la toile comme une trainée de poudre. On regrette le départ d’une femme politique influente, tenace, discrète mais surtout modeste. Ses proches et ses six enfants gardent le souvenir d’une maman aimante et d’un véritable chef de famille. Par ailleurs, l’opinion s’accorde sur sa forte implication dans l’émancipation de la femme africaine et plus particulièrement celle de la femme camerounaise.

Delphine Tsanga a travaillé dans les plus grandes instances de Promotion de la femme dans le monde. Elle a été membre du Bureau du Conseil International des Femmes en 1966, Vice-présidente du Conseil International des Femmes en 1970, Conseillère de la Présidente du Conseil International des Femmes en 1976, Présidente du Comité Sous-régional de l’Afrique du Centre pour l’intégration des Femmes au Développement en 1978…

Mme la ministre

Le Parcours de Delphine Tsanga est celui d’une pionnière. Elue à l’Assemblée législative du Cameroun, pendant cinq ans, elle est la seule femme à siéger aux-côtés de cent hommes. Sur ses deux mandats, elle n’en fait qu’un quand le président Ahidjo décide de la nommer ministre. « Alors que nous attendions la rentrée de l’As-semblée, le président Ahidjo me convoque au Palais pour me faire part de ma nomination. N’en revenant pas, j’ai passé tout le temps à lui demander moi monsieur le président ? Il m’a dit sortez de mon bureau », confiait-elle à Régine Gwladys Lebouda, journaliste à la Crtv. C’était parti pour 14 ans d’une carrière au Gouvernement.

Delphine Tsanga devient tour à tour ministre adjoint de la Santé publique en 1970, Vice-ministre de la Santé publique en 1972 et enfin, ministre des Affaires sociales en 1975. Un poste qu’elle occupera jusqu’en 1985. Elle ne restera ministre qu’un an avec le président Biya contre’ 13 ans avec le président Ahidjo à qui elle, reconnaissait de grandes valeurs.

« Ahidjo était un grand patriote qui a beaucoup aimé son pays. Il était ambitieux pour son pays. C’était le De Gaulle du Cameroun. Toute son ambition c’était son pays. Il voyait toujours loin. Camair et Camship étaient ses fiertés. Quoi qu’on dise, Ahidjo n’a pas été que méchant. Certains parlent de lui comme d’un monstre, mais mis à la même période, ils auraient fait pire», confiait l’ancienne ministre.

Après sa sortie du gouvernement, elle s’occupe comme elle peut, notamment la fabrication des jus de fruits. Elle vivait comme madame tout le monde. Mais Delphine Tsanga voulait que l’on retienne d’elle l’image d’une femme qui s’est battue pour que les femmes avancent. Pari en partie réussi «La femme camerounaise a beaucoup évolué. Quand j’entrais en politique, on avait une seule femme adjointe au maire, maintenant les femmes^sont maires, ministres. Dans l’armée on trouve les femmes », témoignait la sénatrice Delphine Medjo de son vivant.

Pourtant la tâche de Delphine Tsanga n’a pas été facile. A l’époque, elle est incomprise car elle casse les codes qui régissent une société où l’homme est le tout puissant et tient la femme presque en laisse. Celle-ci n’a pas le droit d’ouvrir un compte bancaire et de se déplacer sans l’autorisation de ce dernier. Ironie du sort, c’est également le mari qui doit donner son accord pour qu’elle soit recrutée. Autant de barrières qui freinaient l’évolution de la femme.

Certains hommes né voyaient pas son action d’un bon œil. Ils trouvaient qu’elle rendait les femmes rebelles et dévergondées. La légende raconte que dans le foyer, quand l’épouse promettait d’aller voir la ministre, l’homme se rangeait aussitôt. Un de ses proches nous rapporte que son engagement politique gênera son époux qui la trouvait trop exposée. Craignant de la perdre, il se référa au président Ahidjo qui la convoqua au Palais pour lui remonter les bretelles. Jusqu’à sa mort, elle est restée très discrète sur sa vie de couple.

Selon Delphine Tsanga, son passage à l’Assemblée lui a appris à faire passer ses idées. Son mental de sportive et sa carrure l’aideront aussi à éviter certains coups. Delphine Tsanga bénéficie du soutien des femmes réunies au sein de L’Ofunc (Organisation des femmes de’ l’Union nationale camerounaise) dont elle a contribué « à la création et dont elle a présidé aux destinés. «Aujourd’hui quand je vois une femme colonel, une femme préfet, des femmes à l’assemblée je suis contente. Je me dis que j’ai réussi mon combat même si beaucoup reste encore faire. Mais, je voudrais que les femmes apprennent à se battre. Qu’elles n’attendent pas que tous leurs soit donné. Une femme qui se bat peut réussir. Il faut qu’elles le sachent. Quand vous êtes convaincu de ce que vous faites, vous y arrivez », conseillait-t-elle.

Une opposante de la première heure

Avec le pluralisme politique, la doyenne des femmes ministres quitte le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) pour l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp). D’abord membre du bureau politique, elle en devient la vice-présidente.

« Je n’ai aucun problème avec le président Biya avec qui nous avons toujours été ensemble. Il est le camarade de classe de mon mari. Je suis partie à l’opposition parce que plusieurs de mes frères estimaient que tant que je suis au Rdpc, ils ne vont pas évoluer. Je ne vais quand même pas mettre ma tête sous le billot pour que l’on vienne couper. On m’a fait des vacheries incommensurables», expliquait la défunte.

Pourtant même avec le président Bello Bouba, qui fut son premier ministre, l’amour ne sera pas parfait dit-on. Selon certaines sources, il craignait de se voir arracher la présidence du parti. Des craintes légitimes pour certains analystes politiques qui affirment que cette femme de poigne et de pouvoir avait la clé du Cameroun et maîtrisait certains barrons, notamment ceux de la partie anglophone du pays anglophone comme Egbe Tabi, Emmanuel Mbela, Lifafe Endeley, John Ngu Foncha, Fonka Shang, Achidi Achu.’.. Sauf Salomon Tandem Muna.

Une anecdote assez troublante. « Déré m’avait confié qu’en 1980, juste après le Congrès de Bafoussam, qu’elle avait été accusée par les services de renseignements d’avoir créé, avec l’homme d’affaires Daniel Awa Nanga et l’écrivain Albert Mu-kong, un parti politique dénommé Social Democratic Front », nous confie un ancien ministre qui a requis l’anonymat.

Il se dit également que même diminuée, Delphine Tsanga faisait peur au président Biya qui l’a toujours soupçonnée d’être plus proche de son rival Ayissi Mvondo. Possible raison qui expliquera sa sortie définitive du gouvernement en 1985. « Il n’y avait pas de raison qu’il s’en méfie. Ce d’autant plus que c’est elle qui avait sauvé monsieur Biya en 1983 en rejetant le projet de démission collective du Gouvernement initié par le président Ahidjo », précise un de ses camarades politiques

Le Cameroun perd également une femme des lettres aux idéaux féministes bien trempés. Dans son ouvrage intitulé « La biographie sociale du sexe : genre, société et politique au Cameroun», le Pr Luc Sindjoun, présente Delphine Tsanga comme étant l’une des « représentantes attitrées du féminisme organique» dans le microcosme sociopolitique camerounais. Elle a commis deux romans « L’Oiseau en cage » publié aux éditions Edicef en 1983 et « Vie de femmes » publié aux Editions Clé en 1985. Tous deux défendent la cause de la femme. Dans le dernier ouvrage, Mlle Dang, le personnage central raconte à sa manière les décombres, les détritus et les gémissements d’une société traditionnelle en plein bouleversement, où les effacements, les démissions et les prostitutions deviennent la règle. A cause de l’irruption de la modernité dans notre être social séculaire. «Les femmes venaient vers moi pour m’exposer leurs problèmes, et je voulais faire entendre leurs voix. Je me suis jetée à l’eau et j’ai décidé de leur prêter ma voix, d’écrire pour exprimer leurs problèmes», expliquait-elle.

Sa passion pour la littérature, Delphine Tsanga la tient de son père qui lui donne beaucoup de livres à lire. Une passion davantage nourrie par la rencontre d’un auteur pendant ses années d’études au Lycée des Jeunes filles de Douala, l’actuel Lycée de New-Bell. Son papa lui apprendra aussi à faire du Cheval et à tirer à la carabine. Et elle s’en vantait d’ailleurs. Autant de passion qui alimentaient la rumeur selon laquelle Delphine Tsanga était un homme. Oh que non! Delphine Tsanga était bel et bien une femme. Sa huitième grossesse, elle la porte en plein exercice. « Je voulais montrer qu’on peut être ministre et être enceinte. »

Gracieuse, belle avec de longs cheveux à l’allure toujours soignée, c’était une maman qui, en plus de ses nombreuses occupations s’est occupée de ses huit enfants presque tous scolarisés dans la partie anglophone du Cameroun. De parfaits bilingues, fruits de son union en France avec Soter Tsanga, l’un des premiers experts-comptables camerounais et président du Tonnerre Kalara Club. Il est décédé dans les années 90.

« Auprès de ses filles, maman insistait beaucoup sur le rôle de la femme au foyer. Elle disait, peu importe le diplôme que vous aurez demain restez femme, la maman qui va encadrer ses enfants. Pour ça, elle insistait qu’étudiants, nous travaillons parallèlement comme femme de chambre, auxiliaire de vie», témoigne une de ses filles. Dans une interview accordée à David Ndachi Tagne elle dira « mes enfants n’ont pas besoin d’un standing spécifique. S’ils le veulent, qu’ils se le créent. Ce n’est pas à moi de le leur donner ! Car le .standing ce n’est pas mon père qui me l’a donné. Il me disait ne va jamais te présenter comme la fille de Zanga Marcel ».

Grace à son travail acharné, son père était le seul Camerounais à intégrer les cadres de la France d’Outre-mer sans avoir jamais été en France.

Delphine jouera également le rôle de maman auprès de ses 15 frères et sœurs, qui lui sont très reconnaissants et lui vouent une grande admiration. Au-delà de son allure froide de femme de pouvoir, Maitre Antchang Marie et Ami-natou Ahidjo gardent d’elle le souvenir d’une femme très affectueuse et surtout attachante. Si l’avocate se souvient de ces délicieux plats qu’elle lui concoctait, la fille cadette du président Ahidjo se souvient de cette lettre de félicitations suite à sa nomination comme Pca du Palais des Congrès de Yaoundé.

Pour ses proches, elle savait garder les secrets et dissimuler ses douleurs. Elle était un abîme de silence qui ravalait ses grandes douleurs. D’abord la perte de son fils Addis et surtout de son tout dernier… A (Eglise de Nkole-ton, on regrette également le départ de cette femme pieuse et charitable. Cette femme qui, malgré sa stature, se rapprochait des plus petits, de la femme rurale. Cette femme aux mille casquettes et avec une passion pour les produits du terroir. Elle a d’ailleurs breveté deux marques de jus de fruits.

Infirmière de profession formée à Toulouse en France, à son retour au Cameroun, Mme Tsanga va travailler trois ans dans des hôpitaux de Yaoundé, Dschang et Bamenda, avant de se consacrer à la politique. Un destin que personne ne présageait à cette petite-fille Mvog-Amou-gou née le 21 décembre 1935 à Lomié dans la Région de l’Est du Cameroun.

Sa dévotion sera récompensée par de nombreuses distinctions nationales et internationales. Le Cameroun la nomme Chevalier de l’ordre national du Mérite et Commandeur de l’ordre de la Valeur. En Espagne elle reçoit (Ordre d’Isabelle la Catholique et la distinction First Glass au Qatar.

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