L’infatigable homme d’affaires camerounais s’est éteint le 20 mars dernier à l’âge de 94 ans.
Travailleur infatigable, homme d’affaires, capitaine d’industries, baron de la politique, militant de la première heure au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et non moins ami du président de la République, le maire de la commune de Pete-Bandjoun a rendu l’âme vendredi 20 mars 2020, dans (a ville de Paris en France des suites de maladie.
Le temps s’est arrêté depuis 72h à Bandjoun. De Hiala à Dja en passant par Semto, Famleng, Mouwè, Kamgo, Soung, Keng, Mbouo, Yom, Tseghem, Kayo et autres Ha’a, Houa et Touaba… La nouvelle du décès de Victor Fotso, telle une traînée de poudre, a plongé tout le département du Koung-Khi dans l’émoi et la consternation.
Plus que la disparition d’un roi, la mort de ce patriarche n’a laissé personne indifférent. Les populations (allogènes ou autochtones), sont inconsolables. Elles pleurent le départ d’un bâtisseur admiré et vénéré. Un personnage hors du commun qui a consacré sa vie à s’investir sans compter dans les œuvres de développement en appui à l’action du gouvernement.
Les commerçantes du marché municipal gardent de lui, le souvenir d’un maire qui s’est longtemps engagé dans la lutte contre l’imposition par des agents communaux véreux, des taxes fantaisistes sur le commerce des cultures vivrières et les cultures maraîchères. De son vivant, le premier magistrat municipal de Pete, effectuait lui-même, une descente sur le terrain pour rassurer ces braves femmes qui lui vouaient un respect sans bornes.
Tout le monde ou presque, aimait -papa Fotso Victor ». Vendeurs à la sauvette, jeunes entrepreneurs, débrouillards, acteurs du secteur-informel et même certains industriels. Sa longue expérience dans le milieu des affaires, ses avis éclairés, sa perspicacité et son sens de la solidarité impressionnaient.
Tous s’inclinent devant l’œuvre du milliardaire dont la générosité et l’humilité ont fait de lui, une personne exceptionnelle. Affaibli par le poids de l’âge et la maladie, les derniers jours de sa vie sur terre trahissaient malheureusement une fin de règne prévisible.
Inspiré sans doute par une force divine, Victor Fotso agissait comme s’il savait que le Créateur le rappellerait bientôt à lui. Le dernier acte historique du capitaine d’industries remonte au 19 janvier dernier.
Construit en 2012 sur fonds propres, l’immeuble futuriste abritant les services de la commune de Pete-Bandjoun a été gracieusement remis au gouvernement. L’acte de donation a été signé par le bienfaiteur qui présentait des signes de fatigue et le ministre de la Décentralisation et du développement local.
L’Etat devenait donc le propriétaire d’un R+2 entièrement équipé et évalué à un peu plus de 4 milliards de Fcfa.
Fô Wa Gabigung
Peu avant ce bel exemple de patriotisme, le milliardaire avait laissé parler son cœur en remettant au mois de juillet 2019, le chèque d’un milliard de Fcfa à Mgr Dieudonné Watio, évêque du diocèse de Bafoussam, pour la construction de la nouvelle cathédrale.
Un don mirobolant qui avait créé la polémique dans la communauté Bamiléké non sans alimenter les débats. Pour les uns, il était excessif, compte tenu de la philosophie de (’Eglise qui ne vise pas le luxe mais la piété, la simplicité.
De ce point de vue, ce don devait appauvrir les chrétiens dans la mesure où ils devront se préparer pour financer l’entretien au quotidien de leur cathédrale. D’autres au contraire saluaient et célébraient le geste exceptionnel, signe de la fidélité à Dieu.
Ces quelques clichés témoignent à suffire que le nom de « Fô Wa Gabigung – (le Chef qui partage), attribué à l’homme d’affaires n’était pas qu’un titre pompeux.
La générosité du patriarche Victor, 94 ans, a transformé ce grand village en ville moderne. Ici comme dans le reste du pays, on apprécie cet homme discret et sérieux, qui s’est enrichi dans le commerce et la manufacture après avoir quitté l’école à 15 ans, sans diplôme.
Archétype de la première génération des riches Bamilékés, qui vivent chichement, sont patients, fiers mais pondérés. A preuve, il n’y a pas un seul édifice public, pas une seule administration, encore moins une seule couche de bitume à Bandjoun, qui ne porte l’empreinte de Victor Fotso.
Obnubilé par le désir de développer le village qui l’a vu naître, l’homme y a consacré une grande partie de sa fortune.
Des centaines de salles de classe de la maternelle à l’enseignement supérieur en passant par le primaire et le secondaire ont été construites et se poursuivent à travers non seulement la région de l’Ouest mais aussi partout dans le Cameroun.
Une véritable bouffée d’oxygène pour le gouvernement dans le secteur de l’éducation. Et dans ce domaine, la magnanimité du maire de Bandjoun a atteint son paroxysme, lorsqu’on 1993 il a offert à l’Etat son Collège polyvalent Fotso Victor, un complexe colossal de plusieurs milliards Fcfa, fleuron de l’enseignement technologique au Cameroun et qui fait désormais partie de l’université de Dschang, sous l’appellation lut (Institut universitaire de technologie) Fotso Victor de Bandjoun.
Les secteurs de la santé, des infrastructures routières, des mouvements associatifs, du sport et de la religion et autres ont également bénéficié de cette générosité de Victor Fotso. C’est ainsi que des centres de santé, des églises catholiques, protestantes, mosquées, routes, électrification urbaine et rurale, marchés modernes, stades de jeux et foyers culturels ont vu le jour grâce au maire de Bandjoun.
Estime et fidélité à Paul Biya
Ses affaires prospérant, il se diversifie après 1960 dans les transports et, en association avec le français Pierre Castel, le patron des Brasseries et Glacières internationales (Bgi), dans l’importation de vins et spiritueux. Quelques années plus tard, un autre larniuss Lacombe, alors directeur général de la Société industrielle et forestière des allumettes (Sifa), une filiale de la compagnie du midi, lui ouvre les portes de l’industrie. Avec l’aide de ce polytechnicien, disparu en 1996, Victor Fotso étendra progressivement ses activités.
Propriétaire en 1970, de la modeste Société de fabrication de cahiers (Safca, il se trouve un quart de siècle plus tard, à la tête d’une dizaine de sociétés dans les domaines les plus variés : piles électriques (Pilcam), hôtellerie (Ibis Douala), allumettes (Unalor et Cis), emballage (Fabasem), chimie (Fermencam), agro-industrie (Prolegjuu alimentation (Sopral) , et depuis 1997, la Commercial Bank of Cameroon (Cbc-Bank), le premier établissement indépendant de la place créée avec l’assistance technique du Crédit commercial de France (racheté par Hsbc).
Victor Fotso se lance en politique avec l’avènement de la démocratie au Cameroun au début des années 90, avec le Rdpc.Qualifié d’ami proche du président de la République, il contribuera à la victoire du parti au pouvoir à Bandjoun et sera élu maire de la commune rurale aux élections municipales 1996.
Victor Fotso peut se targuer d’être l’un des rares camerounais à avoir reçu à dîner le chef de l’Etat Paul Biya en sa résidence de Mbouo-Bandjoun. C’est dire toute l’estime qu’il partageait avec son président national du Rdpc. Une estime qu’il disait qu’auciin événement interne ou externe ne pourra ébranler.
Car, pour lui, le pouvoir vient de Dieu et il faut respecter la volonté du créateur en apportant, autant faire que se peut, tout le soutien au président de la République. « C’est une affaire de conviction, c’est un point d’honneur », confiait-il en 2012 à nos confrères du journal l’Action.
Sa détermination à ne pas trahir cette confiance placée en lui par l’homme du 6 novembre 1982, était devenue une obsession. Lui qui est resté un allié de choix et de poids pour le gouvernement dans la lutte contre le chômage des jeunes à travers ses multiples entreprises économiques, offrant des emplois aux nombreux diplômés qui frappaient à ses portes.
L’affaire Yves-Michel
Le célèbre homme d’affaires tire sa révérence, le cœur en paix puisque les forts liens d’amitié qui existent entre Paul Biya et lui ont largement contribué à l’évacuation sanitaire de son fils et non moins ancien Directeur général de la Cameroon Airlines (Camair), le 19 août 2019.
Très, malade, l’homme qui a été embastillé dans le cadre de l’Opération Epervierj est-depuis» cette date, hospitalisé au Centre d’oncologie Al-Azhar, à Rabat. L’industriel, qui finançait le parti au pouvoir, a d’ailleurs écrit une lettre de remerciement au président de la République pour avoir sauvé son rejeton.
Le cœur d’un père a rencontré celui d’un autre père, et vous avez apaisé ma douleur en donnant de très hautes instructions pour la libération de mon fils, Yves-Michel…Vous dire merci ne traduirait pas toute la déférence avec laquelle un cœur aussi meurtri que le mien s’est senti battre à nouveau et c’est pourquoi je convoque tes esprits de nos ancêtres pour vous protéger sans relâche et à Dieu Tout-Puissant, de vous accorder santé, longue vie et toujours plus de sagesse pour continuer à vous guider dans la conduite des affaires de l’Etat », écrivait-il.
Péril sur l’empire Fotso ?
Son seul regret, c’est peut-être celui de partir en ayant presque la certitude que l’empire qu’il a bâti de sa sueur et de son sang, ne lui survivrait pas. Un empire familial présent dans l’industrie, l’agroalimentaire, la banque et les services.
L’infortune de l’héritier, choisi par Victor Fotso au sein d’une fratrie comptant une bonne centaine d’enfants, enhardit certains de ses frères et sœurs, qui ont tout mis en œuvre pour le déstabiliser.
Pris en étau entre les vieilles rancunes familiales et les rivalités professionnelles exacerbées, Yves-Michel Fotso a été poussé vers la sortie et officiellement – mis en réserve » de l’entreprise. Face aux déboires de son fils prodige, le maire de Bandjoun a vite compris qu’il fallait se débarrasser de certaines de ses entités industrielles.
C’est ce qui justifie le fait qu’il ne faisait plus partie du classement du magazine Forbes des Hommes les plus riches de l’Afrique francophone.
Aussi, et au vu des guéguerres entre frères de même père, de son vivant, Victor Fotso avait cru bon d’organiser d’ores et déjà son départ. Pour celui qui était réputé pour avoir plus d’une centaine d’enfants et une quarantaine de femmes, il ne lui a pas été possible d’y arriver sans coup férir.
La gestion de la Cbc, la banque emblématique du groupe Fotso étant retirée à Yves-Michel depuis 2009 date du début des problèmes du golden boy, puis la vente de certaines entreprises déficitaires du Groupe comme Fermencam, était présentée comme une sorte de bouée de sauvetage du patriarche pour tenter de sauver ce qui était encore possible de son patrimoine. Le roi est mort ; vive le roi !
Source: Le Messager