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Cameroun Actuel

« Le problème de l’Afrique, ce n’est pas la France, mais les Françafricains »

L’écrivaine camerounaise a publié dans l’hebdomadaire français Marianne le 19 Octobre 2022 une tribune dans laquelle elle commente la nouvelle relation entre la France et ses anciennes colonies sur le continent noir.

Calixthe Beyala parle des relations entre la France et l’Afrique.  Dans une tribune publiée dans les colonnes de l’hebdomadaire français Marianne mercredi, l’écrivaine d’origine camerounaise évoque la situation des pays Africains encore sous la coupe de la France.

Elle accuse ce pays et ses complices sur le continent d’avoir détruit leurs rêves.  Elle leur attribue la responsabilité des élections truquées,  des coups d’Etat, des assassinats ciblés….  Calixthe Beyala dénonce la boulimie de ce « groupuscule de Noirs et de Blancs appelés « Françafricains » qui a une « faim sans fin ».

« Les Françafricains aiment à faire appel à l’armée française sous des prétextes fallacieux. », écrit la romancière à succès.

Voici dans son intégralité la tribune de Calixthe Beyala

Les peuples d’Afrique auraient voulu bâtir leurs pays sur le modèle de la France. Ils auraient tant aimé avoir des hôpitaux gratuits, des écoles obligatoires, des autoroutes tarabiscotées ainsi que des chemins de fer si perfectionnés qu’ils rendent dingues le Diable et ses cornes. Hélas ! Leurs rêves de développement ont été foulés au sol par des Françafricains aux dents si acérées qu’ils déchiquettent tout, même la vie.

Les peuples d’Afrique auraient tant aimé construire une nation à l’image de la nation française. Ils auraient aimé jouir d’une souveraineté bradée, d’une démocratie à la serpe, mais qui donne l’impression aux populations qu’elles participent à la gestion des affaires de notre si petit monde. Hélas l Leurs rêves de liberté sont restés coincés entre les mains des Françafricains, champions dans l’art de truquer des élections et de suicider les opposants. Ils savent tant fomenter des coups d’État et des assassinats ciblés que toutes les longueurs de phrases que je pourrais formuler ne sauraient refléter cette triste réalité dans sa monstrueuse globalité.

PILLAGE

Aujourd’hui, les espoirs du peuple noir sont en état de mort cérébrale. Et ces ambitions avortées grincent dans leurs têtes. Et ça y clochette. Et ça dézingue dans leurs crânes – parce que, intégrez-le – ce groupuscule de Noirs et de Blancs appelés « Françafricains » a une faim sans fin. Ils aiment tant s’enrichir qu’aucune mer du monde ne pourrait contenir cette boulimie. Ils adulent tout ce qui brille. L’or et le diamant sont leurs dieux. Leurs yeux jettent des flammes lorsqu’ils découvrent un gisement d’uranium. Ils pissent de plaisir rien qu’à l’évocation du cobalt. Ils se goinfrent des bois des forêts qu’ils coupent à gogo, sans pitié pour les arbres qui geignent. Ils s’acoquinent avec moult vendeuses de piment à peine pubères à qui ils promettent de visas pour la France. Et ils bouffent, les gars. Oui, ils bouffent de l’Afrique. Et ils affament les peuples d’Afrique. Et ils se fichent de les voir manger des cailloux et boire du Soleil. Et ils les piétinent, sans égard. Et ils sont là, tout en vices, ces crapuleux unis jusqu’à la mort dans un tourbillon de folie destructrice.

« Les Françafricains aiment à faire appel à l’armée française sous des prétextes fallacieux. »

Appelé CFA, le franc des colonies françaises est l’un des outils par eux utilisé pour mieux asservir les populations. Les comptes des opérations du CFA sont aussi clairs qu’un minuit sans électricité, aussi obscurs qu’un trou noir. Les entreprises françafricaines sont florissantes : elles ne paient pas d’impôts. Ou si peu ! Leurs employés travaillent pour quatre tubercules de manioc. La sécurité de l’emploi y est aussi connue que la planète Mars. Les conditions de travail sont à voir du côté de Germinal de Zola. Et tout y est merveilleux dans le plus atroce des mondes. On y dégomme quelques écervelés qui se veulent des représentants d’un syndicat.

Les Françafricains aiment à faire appel à l’armée française sous des prétextes fallacieux. Pour cela, ils évoquent des droits de l’homme bafoués, des populations assassinés qu’il conviendrait de sauver. Et les Français interpellés par ce qu’il y a de magnifique en eux, versent quelques larmes sincères et donnent leurs bénédictions à ces expéditions. Et l’armée fonce en toute bonne foi. Et la Françafrique s’en frotte les mains, parce qu’elle va enfoncer dans le silence éternel ce président africain trop nationaliste, trop panafricaniste. Quant aux malheureux qui disent qu’il conviendrait de solder le passé colonial de la France pour repartir sur des bonnes bases, ils sont si peu de chose qu’ils sont blacklistés ou chassés de leur travail.

LA FAUTE À LA FRANCE ?

Au fil du temps, ce peuple africain si résilient n’a plus eu de mots pour dire sa si grande frustration. Il s’est trouvé dans l’obligation de revenir à l’enfance. À la surprise générale, il a commencé à dire non, non, non et non à tout, à n’importe quoi. Parce qu’il y a toute cette rancœur liée au passé colonial agglutinée dans ses tripes. Parce qu’il y a, tapies à l’ombre de ses peurs, toute cette colère laissée par les quarante-cinq interventions militaires françaises. Parce qu’il y a toute cette misère, ces Églises de réveil qui mangent le libre-arbitre, cet islam interprété de travers, ces et ces et ces…

« Bien sûr qu’il y a des dirigeants Africains, très françafricains qui se cachent derrière la France. »

Alors, on a vu surgir à Bamako ou à Dakar, à Yaoundé ou à Bangui, à Libreville ou à N’Djamena des « Non à la France ! », des « Non au pillage de la France ! », des « À bas le franc CFA ! » mais également des « Armée française, dehors ! » Et ces mots sont scandés avec la puissance du désespoir. Ils sont clamés avec l’énergie de qui n’a plus rien à perdre. Et ces « Non ! » assourdissants ne s’adressent pas à la France en tant que pays. Ils ne s’adressent pas au peuple français, mais à ces Françafricains si malfaisants.

Bien sûr que quelques exaltés ont brûlé trois drapeaux français et ont déboulonné les statues de je ne sais de quel illustre général. Bien sûr que certains ont crié qu’ils sont les meilleurs amis de la Russie. Que d’autres ont composé des poèmes à la gloire de Poutine. Bien sûr qu’il y a des dirigeants africains, très françafricains, qui se cachent derrière la France pour expliquer la misère dans laquelle ils maintiennent leurs populations. « C’est de la faute à la France si… » Ils n’avouent pas à leurs peuples qu’ils ont choisi de boire du champagne au lieu de leur donner accès à de l’eau potable. Alors ils paient quelques affamés afin d’organiser des manifestations qui se veulent anti-françaises.

TUER LA FRANÇAFRIQUE ?

Ce qui est certain, c’est que les Africains ne connaissent pas de quelle tessiture est faite la Russie. Ils veulent – sur la tête de ma mère – se débarrasser des Françafricains. Ils veulent les pousser dans les tréfonds des Enfers. Ils veulent détruire leurs réseaux mafieux dignes de la Cosa Nostra. Ils veulent jeter aux orties ces dictateurs et leurs progénitures qui confisquent tout, même l’éclat de la Lune. Mais le rejet de la Françafrique n’est pas celui de la France.

« Macron ne sait pas peut-être pas que nous adorons Diderot et murmurons nos amours en Verlaine. »

La nouvelle Afrique en devenir se veut souveraine. Elle se veut libre de créer sa monnaie. Elle veut avoir une armée au service du peuple. Elle se veut le droit d’avoir des relations avec de multiples partenaires étatiques. Elle veut pouvoir compter sur la France en tant que partenaire, en tant qu’amie dans des conditions négociées par les deux parties. Et ce qu’elle demande est le minimum qui octroie à un peuple sa dignité .

Et chaque président français a promis qu’il tuerait la Françafrique sur l’autel de l’amitié entre les peuples ! Et chacun s’est laissé embourber dans cette mélasse. Les discours de Macron en Afrique en sont une belle illustration. Comme ses prédécesseurs, il s’adresse aux Africains du haut du XXe siècle, à moins qu’il ne s’agisse du XIXe. Il dit que nous sommes manipulés par les Russes que nous ne connaissons pas. Il prétend que notre esprit est si faible que nous nous laissons berner par les Chinois, que nous ne connaissons pas. Il dit aussi que les Turcs sont nos maîtres à penser : nous ne comprenons pas le turc mais manions à la perfection la langue des Lumières. Il ne sait pas peut-être que nous aimons à citer Montesquieu, qu’il est notre pote et tant pis pour les jaloux. Il ne sait pas peut-être pas que nous adorons Diderot et murmurons nos amours en Verlaine.

CHANGER DE PARADIGME

Bien sûr qu’il y a l’Ukraine si lointaine, avec ses drames, cette sale guerre, ces civils tués. Comment l’Afrique pourrait-elle ne pas compatir à toute cette douleur, elle si souvent agressée ? Il y a dans cette posture de neutralité de l’Afrique un souci de préserver ses intérêts mais aussi un brin d’espièglerie : « Qu’est-ce que cela te fait, oh majestueux Occident, d’être à ton tour touché au cœur, toi si souvent agressif envers d’autres peuples ? » Rire ? Rire !

Il conviendrait de susciter une rencontre entre les élites françaises et les panafricanistes pour bâtir une nouvelle relation entre la France et les pays francophones d’Afrique. La pensée panafricaine est dominante sur l’ensemble du continent. Elle mérite d’être connue. Les panafricanistes veulent bâtir une Afrique sur le modèle de l’Europe avec ses États fédérés. Cette vision de l’Afrique est, de par l’engouement qu’elle suscite, une alternative aux projets mortifères des islamistes.

Mais des questions se posent : la France serait-elle capable de changer de paradigme ? De prisme ? Accepterait-elle d’écouter le pouls de l’Afrique, ses souffles et ses respirations ? Cela ferait du bien aux âmes si elle apprenait à collaborer au lieu d’imposer des observatoires de la démocratie, un exemple ridicule parmi d’autres tout aussi absurdes. Peut-être devrais-je m’arrêter ici et puis conclure : « Excusez-moi, je ne fais que passer. » Une Africaine le ferait, mais voilà, je suis aussi une bonne Française.

Par Calixthe Beyala

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