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Infertilité dans le couple, la femme, l’éternelle accusée

Couple

Pointée du doigt lorsque l’enfant tarde à venir dans un couple, elle est traitée de sorcière, de vaurienne. Le plus souvent, elle sombre dans la dépression. Enquête sur les raisons de cette stigmatisation.

« Depuis là, où est la grossesse ? ». C’est la question qu’ont toujours posée belle-mère, beaux-oncles et belles-sœurs à Diane N, à toutes les rencontres ou cérémonies familiales, avant les civilités, pour la simple raison qu’en concubinage pendant sept années, son conjoint et elle n’ont pas eu d’enfant. Sa belle-famille l’accuse de ce fait.

« Pour les oncles de mon partenaire, ses sœurs et sa maman, je ne sers à rien ! », s’exclame-t-elle l’air perdu. Raillée et narguée, Diane N qui aborde le sujet avec peine à l’opposée de certaines qui ont refusé d’en parler, coupe les ponts avec sa belle-famille : « J’évitais de me rendre aux cérémonies de sa famille parce qu’à la fin, ma belle-mère me faisait convoquer à la cuisine pour parler d’enfant ». Elle a pris la même décision avec certaines copines.

« Elles ne peuvent pas s’empêcher de parler de leurs enfants qui font ci ou ça et de ce qu’elles ont ressenti lors de leurs différents accouchements. Parlant de leur intimité, elles profitaient pour me sermonner », déplore-t-elle. Pour Diane N., commerçante au marché Mokolo à Yaoundé, ce constant rappel est un supplice : « J’étais fatiguée de tout ça ». Plus tard, la relation avec son conjoint s’est dégradée.

La femme au banc des accusés

Chapelet à la main, Dieu est sa seule lueur d’espoir : « Je priais sans cesse. Je voulais qu’un miracle se produise afin d’annoncer un soir à mon conjoint que je suis enceinte ». Hélas ! Année après année, la vie sociale de la femme jadis amoureuse, aimable et brillante, est devenue terne. Aujourd’hui, elle en porte encore les séquelles. Son joli petit visage à 35 ans, porte des rides.

« Selon lui, le problème venait de moi. La relation avec mon homme s’est brisée peu à peu. Je me sens toujours mal lorsque je pense à cette histoire », se ressasse Diane N, les larmes aux yeux. Le jeune couple faisait face à un problème d’infertilité, ce que l’Organisation mondiale de la santé (Oms) définit comme l’incapacité d’un couple à parvenir à une grossesse après plus d’un an de rapports sexuels réguliers et non protégés. Les médecins en distinguent deux types.

L’infertilité primaire et secondaire. Selon le médecin généraliste au centre médical d’arrondissement de Nyambaka dans la région de l’Adamaoua au Cameroun, Dr Roland Nkwoue : « L’infertilité primaire c’est l’incapacité d’un couple à avoir un premier enfant. L’infertilité secondaire est l’incapacité pour le couple à avoir un deuxième enfant. On peut également parler d’infertilité secondaire s’il y a eu un avortement et qu’après celui-ci le couple rencontre des difficultés à concevoir à nouveau ».

L’Oms indique que sur les 180 millions de couples touchés par l’infertilité dans le monde, la moitié vit en Afrique subsaharienne avec une prévalence pouvant augmenter jusqu’à 33% (Oms 2013). « Au Cameroun, environ 20 à 30% de femmes nourrissent le désir d’enfanter mais n’y arrivent pas », indique le gynécologue et chef du service de gynécologie de l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Ngousso à Yaoundé, le Professeur Pascal Foumane. L’infertilité en tant que problème de santé publique est aussi un problème social. La raison de l’infertilité dans le couple est presque toujours attribuée aux femmes, ce qui menace leur bien-être psychosocial.
Dépression, anxiété, divorce.

Selon un article scientifique paru en 2011 et rédigé par six professionnels de la santé au Cameroun, sur « les aspects psycho-sociaux chez les patients atteints de l’infertilité à la maternité principale de l’hôpital Central de Yaoundé », l’aspect psycho-social de l’infertilité est réel. Pour un total de 104 patients, l’échantillon de l’étude faite est constitué de 92 femmes et de 12 hommes seulement. Pour les auteurs de cette étude, les femmes se sentent plus concernées par les problèmes d’infertilité. Ces femmes sont très peu soutenues par leurs partenaires et la société.

Dans leurs couples, le taux de troubles psycho-sociaux associés à l’infertilité est élevé : diminution de la fréquence des rapports sexuels, l’infidélité… La stigmatisation due à l’infertilité est associé au sentiment de honte chez certaines patientes. Des troubles psycho-sociaux sont provoqués chez des patients notamment : le stress, l’anxiété et la dépression.

Selon cette étude, les disputes avec le partenaire se sont amplifiées dans les couples à cause de l’infertilité. Certains se sont sentis rejetés par la société. Certains époux vont jusqu’à demander le divorce. Un avocat affirme avoir eu affaire à une demande de divorce au tribunal de première instance de Yaoundé Centre administratif, liée à l’infertilité dans un couple :

« Le couple n’arrivait pas à faire des enfants. Selon le mari, sa femme en était la cause. Sous la pression de sa famille, le monsieur a sollicité le divorce pour cause d’infertilité. Or, selon le Code civil du Cameroun en l’article 229, le mari peut demander le divorce pour cause d’adultère de sa femme. En dehors de cela, les juges ne peuvent prononcer le divorce à la demande de l’un des époux que pour excès de sévices ou d’injures de l’un envers l’autre, lorsque ces faits constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et des obligations résultant du mariage et rendant intolérable le maintien du lien conjugal. Le code civil ne mentionne nulle part que le défaut de procréation est une cause de divorce. Mais, le monsieur l’a fait. Devant la barre la femme a reconventionnellement demandé le divorce pour violence et sévices graves. Aujourd’hui, elle a conçu et le monsieur n’a toujours pas d’enfants », raconte-t-il.

Des femmes cruelles envers d’autres

Au cours de notre enquête, nous avons rencontré un homme qui, contrairement au conjoint de Diane N, a protégé sa femme contre les attaques de sa famille. « Ma femme tombait enceinte mais soit la grossesse n’arrivait pas à terme, soit elle accouchait des mort-nés. C’était douloureux. Certains membres de ma famille ont envenimé la situation. Une nouvelle épouse m’a été proposée. J’ai vu des femmes, cruelles envers une autre. On m’a dit de me séparer d’elle. Qu’elle était sorcière, tueuse d’enfants. Je me suis opposé et la situation s’est empirée. Beaucoup m’ont dit qu’en plus de ne pas pouvoir faire d’enfant, elle m’a envouté », se souvient-il, en hochant la tête.

« Multipliez-vous, remplissez la terre … »

Bernard, 45 ans, chrétien, explique cette situation par le fait que Dieu dans le livre de la Genèse, recommande à Adam et Eve : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre : et assujettissez-la… ». Pour lui, il ne sert à rien d’être en couple et ne pas pourvoir faire d’enfants, car la meilleure chose qu’une femme puisse offrir à un homme c’est un enfant.

Jeanne, belle-maman de 60 ans pense également ainsi : « Une femme est celle qui a connu les douleurs de l’enfantement. Dans le cas contraire, elle n’est pas une femme. Le créateur lui-même l’a dit : Femme j’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur ».

Pour le sociologue de la santé et enseignant à l’université de Yaoundé I, le Dr. Moustapha Moncher Nsangou, le problème de l’infertilité en Afrique subsaharienne est complexe car pour de nombreuses familles, le but ultime de l’union entre un homme et une femme est la procréation.

« Les anthropologues classiques l’ont démontré. Les travaux de Jean-Marc Ela sur l’imaginaire de l’enfant en Afrique noire traitent de cette question. L’anthropologue le décrit dans le livre « La sociologie des populations », Montréal, Pum, 1995. Lorsque l’infertilité est observée dans le couple, la société pointe un doigt sur la femme. Elle suppose que si l’homme peut se mettre en érection, il est viril. Plus encore, sa femme ne se plaint pas, alors le problème ne vient que d’elle. La société (partenaire, belle-famille, entourage), ignore que le spermatozoïde de l’homme peut présenter des anomalies. Alors, elle conclut que le problème de fécondité incombe à la femme. Ainsi la femme porte le fardeau de ce mal toute seule, contrairement à l’homme souvent épargné des reproches et des humiliations », explique-t-il.

L’anthropologue, le Dr François Bingono Bingono explique aussi le phénomène en ces termes : « La femme est stigmatisée parce que l’on ne peut pas cacher son infertilité contrairement à celle de l’homme. L’homme n’accouche pas c’est la femme. La société négro-africaine ne fonctionnait pas dans le temps comme aujourd’hui. Il n’y avait pas de cas d’infertilité. Si l’on constatait qu’un couple ne faisait pas d’enfant, on s’arrangeait à trouver des solutions dans la perspective de sauver l’honneur de l’homme. Si c’était la femme le problème, elle faisait recours à ses sœurs ou ses nièces. Ainsi on ne pouvait constater son infertilité, puis qu’on ne voyait pas son ventre. Raison pour laquelle la femme était indexée. Or, si l’on constatait que c’était l’homme le problème, ses frères venaient à son secours pour féconder la femme. À ce moment-là, celle de l’homme était couverte. Ces enfants lui appartenaient ».

Recours aux rites

« Puis que les femmes sont accusées d’être la cause, le plus souvent dans les couples, elles sont toujours seules à rechercher des solutions au problème d’infertilité», affirme le sociologue de la santé et enseignant à l’université de Yaoundé I. C’est le cas de Chantal M, une femme de 38 ans.

« Je me suis rendue à l’hôpital. Le gynécologue a demandé à voir mon partenaire. Il a d’abord été réticent. Le spermogramme lui a été prescrit. Il s’est avéré que la qualité de son sperme n’était pas bonne. Malgré cela, j’ai entrepris des démarches pour qu’il suive le traitement à l’hôpital et à l’indigène. Il a refusé et a continué à m’accuser. Il n’a pas accepté qu’il était l’origine de ce problème et a pris une autre femme », affirme-t-elle, l’air dépassé.

D’autres femmes font recours aux pasteurs ou aux prêtres exorcistes en fonction de leur obédience religieuse et, certaines encore aux rites, puisqu’elles sont nombreuses, selon l’étude des professionnels de la santé, à assimiler l’infertilité, à la sorcellerie ou la malédiction…

Chez les Bétis, un groupe ethnique que l’on retrouve dans les régions du Centre et du Sud du Cameroun, la pratique des rites, héritage culturel laissé par les ancêtres, permet d’apporter des solutions à certains problèmes dont souffrent les membres d’un clan donné. Il y a par exemple le « Mbabi » qui permet d’ôter la malchance « ndutu » sur la femme stérile grâce au sang d’une brebis avec lequel elle est arrosée.

Le couple adresse ensuite des incantations aux esprits des ancêtres pour demander, par leur intercession, la bénédiction de Dieu », explique Marie-Paule Bochet De Thé dans son livre « Rites et associations traditionnelles chez les femmes bëti (Sud du Cameroun)

« La femme ne devrait pas être condamnée… »

Selon le Professeur Pascal Foumane, la première chose qu’il faut savoir, contrairement à ce que pense notre société c’est que l’homme et la femme peuvent, chacun à son niveau, être à l’origine du problème de conception dans un couple. Les causes les plus fréquentes chez la femme sont liées aux infections sexuellement transmises : Chlamydia, aux conséquences des avortements clandestins, aux anomalies de l’ovulation, à l’endométriose et aux fibromes utérins. Chez l’homme, la qualité du sperme est souvent altérée par les infections sexuellement transmises.

« Ce sont les troubles de la spermatogenèse caractérisées par une oligo-asthenozoospermie », explique le gynécologue. Il y aussi la dilatation anormale des veines autour des testicules (varicocèle), les mauvaises habitudes vestimentaires, les malformations et autres troubles.

A sa suite, le médecin et résident de gynécologie à la Faculté de médecine et des Sciences biomédicales de Yaoundé I, le Dr William Zambo explique : « En réalité, la femme ne devrait pas être condamnée parce que la cause peut aussi bien être masculine que féminine. Les causes chez la femme peuvent être : les voies génitales altérées, l’ovulation absente ou de mauvaise qualité, les difficultés de nidation.

Chez l’homme, l’on note la spermatogenèse insuffisante, le liquide séminal de mauvaise qualité, l’obstacle à la progression des spermatozoïdes dans les voies spermatiques, les anomalies de l’éjaculation comme chez les diabétiques, l’auto-immunisation de l’homme contre ses spermatozoïdes ». Selon le Professeur Pascal Foumane, la prévention repose sur des causes évitables : la fidélité à un seul partenaire, l’usage systématique du préservatif.

« Le risque d’infertilité augmente avec l’âge. Il est donc préférable pour les couples d’envisager la conception lorsque l’âge n’est pas encore avancé, idéalement avant 30 ans pour la femme », poursuit-il. Le Dr William Zambo ajoute : « C’est beaucoup plus sur le plan infectieux que repose la prévention, parce que ce sont les infections qui, à long terme entraînent les troubles de fertilité chez l’homme comme chez la femme notamment la chlamydia. Il faut également pour les femmes, éviter les avortements clandestins … Comme solution au problème d’infertilité dans les couples, l’on peut faire recours à la fécondation in vitro ou à l’adoption d’un enfant ».

Guillaume Aimée Mete & Elsa Kane

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