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Franck Kemayou : « le Ndop doit être inscrit au patrimoine de l’Humanité »

Il fonde en 2020 l’association « Sauvons le Ndop » avec son acolyte Yongueu Njiowouo Hermann Arnaud. Ils ont initié un plaidoyer pour faire inscrire cette étoffe culturelle dans le patrimoine immatériel du Cameroun. M. Kemayou, ingénieur en sciences du Patrimoine, inspecteur de la documentation au Ministère des Arts et de la culture du Cameroun; explique dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, les signes, symboles et couleurs utilisées pour réaliser cette étoffe; véritable identité culturelle de l’aire Grassfield. Lisez plutôt !

A quoi renvoie le terme « Ndop » dans les langues Bamileké parlées dans l’Ouest Cameroun?

Le terme Ndop n’a réellement aucune signification particulière dans les langues Grassfields. Je préfère cette appellation parce que la désignation Bamiléké est une invention coloniale qui, au lieu d’unir a plutôt divisé les populations des Grassfields.

L’utilisation de ce terme est plutôt une périphrase qui renvoie à la localité de Ndop dans la région du Nord- Ouest, simplement parce que l’étoffe Ndop qui est aujourd’hui une marque d’identité, un héritage culturel des peuples issus du Grassland (ou Grassfield) vient de cette localité et s’est répandu dans l’Ouest du Cameroun.

Nous avons appris des commerçants que nous avons interrogés que ce morceau d’étoffe fait de raphia est d’abord confectionné tout blanc par des artisans du Nord Cameroun, précisément ceux de Garoua, ensuite c’est à Baham, un village dans l’Ouest du pays, que se fait le procédé de teinture. Pourquoi les couleurs bleue et blanche sont-elles prisées pour ce tissu ? Ces couleurs ont-elles une signification dans la tradition ou la spiritualité Grassfields ?

Tout à fait ! Ces deux couleurs ne sont pas le fruit du hasard. La couleur bleue renvoie à l’eau, au fleuve Nil d’Égypte d’où le peuple Grassfield tire son origine. Puisque l’eau est le symbole de la vie terrestre, la couleur bleue symbolise la vie. La couleur blanche est le symbole de la pureté. Une pureté indispensable à la vie.

Sur un vêtement Ndop prêt à l’emploi, certains détails attirent la curiosité. On y voit des croix, des losanges, des triangles, des cercles scindés en quartiers, des pointillés, des parties du corps de certains animaux … quel est le mystère caché sous chacun de ces signes?

Ce sont des symboles forts qui renvoient à la vie et la cosmogonie chez les peuples Grassfields. Le cercle représente le cycle de la vie et de la mort, la réincarnation. Les rayons du cercle matérialisent la barrière, le passage entre la vie sur la terre et la deuxième vie dans l’au-delà. Les pointillés à l’intérieur des secteurs de cercle représentent la présence de vie c’est à dire les vivants.

Le vide à l’intérieur des secteurs de cercle représente l’absence de vie, qui n’est pas nécessairement la mort. Ils représentent nos ancêtres, nos chers disparus, parce que la mort au sens premier du terme n’existe pas chez les peuples Grassfield. C’est juste un passage, une transition marquée par l’absence de la personne. Le losange représente la femme, symbole de procréation et de fécondité, symbole de vie.

Le fluide dans le losange représente le fluide de la procréation, fluide génératrice de vie. Il y a aussi ce symbole semblable à un tourne vent qui est le symbole de la panthère, la force, la férocité. On voit aussi le dos d’un crocodile, symbole de la rudesse et de la dangerosité. Nous avons aussi le symbole des lignes sinueuses et tortueuses, qui représente les mille pattes, symbole de la complexité et du sacré.

Ces signes et symboles tels que vous les décrivez ne confèrent-ils pas à cette étoffe un caractère spirituel et sélectif finalement? Est- ce qu’une personne Lambda peut le vêtir ?

Je répondrai simplement à cette question par un Non. Pour préserver son caractère sacré, tout le monde ne peut pas porter le Ndop parce que c’est une étoffe réservée à une caste de personnes notamment les rois, reines, princes et princesses, notables, membres de sociétés secrètes et personnes anoblies par le roi. Mais de nos jours, des personnes légitimement habilitées à le porter peuvent à leur tour, autoriser une personne lambda selon son jugement à le vêtir.

Cela passe par un procédé culturel dit « d’habillement ». C’est un rituel modeste qui consiste à habiller publiquement lors d’une cérémonie celui qui peut désormais s’habiller en Ndop. Le roi du peuple Bamoun (dans l’Ouest du pays, Ndlr) l’a fait récemment avec l’actuel président de la Fédération camerounaise de football, Samuel Eto’o Fils (ancien footballeur international Ndlr).

Votre association milite pour « sauver le Ndop ». De quoi et contre qui?

Les spécialistes distinguent deux types de patrimoine culturel à savoir le patrimoine culturel matériel ou tangible et le Patrimoine culturel Immatériel ou intangible. La différence fondamentale entre les deux est au niveau des méthodes de préservation. Le premier, matériel, se préserve par la conservation, la restauration et la gestion alors que le second, immatériel, se préserve par la transmission.

Or, le Ndop fait partie du 2ème du patrimoine culturel immatériel parce que pour arriver au tissu que vous appelez Ndop, il y a toute une technique artisanale, tout un de savoir-faire. C’est cette technique-là qui au final produit le beau tissu Ndop que vous connaissez. Cette technique est détenue par très peu de personnes. Et pour la plupart, ce sont des personnes âgées. Le vrai Ndop, pour le spécialiste du patrimoine, comprend donc cette technique de tissage et de teinture-là.

Si toutes les personnes qui détiennent encore ce savoir-faire meurent puisqu’elles sont âgées, le Ndop mourra également parce qu’on n’aura plus de personnes maîtrisant les techniques de tissage et de teinture de ce tissu. Le Ndop est donc en danger parce que, les personnes détentrices de la technique pour le produire sont peu nombreuses et âgées.

Il est urgent de sauver le Ndop qui peut disparaître à la mort de ces personnes. On le sauve en encourageant les jeunes à se faire former, en encourageant aussi ces personnes à transmettre leur savoir-faire aux jeunes. C’est cela notre objectif. C’est pourquoi l’association « Sauvons le Ndop » existe et se bat au quotidien.

En 2020, vous avez pu inscrire cette étoffe au patrimoine immatériel du Cameroun, quels sont les arguments que vous avez utilisés pour convaincre le Ministère des Arts et de la Culture?

Nous avons adressé une lettre au Ministère des Arts et de la Culture du Cameroun par le biais du roi des Bamendjou, Sa Majesté Sokoudjou Jean Rameau. Elle portait sur une demande d’inscription du Ndop au patrimoine national au Ministre des arts et de la Culture. A la suite de cette correspondance, les équipes techniques du Ministère nous ont contactés.

Nous avons travaillé sur le dossier en leur faisant comprendre qu’inscrire le Ndop au patrimoine national est sa première protection, et le premier pas pour sa reconnaissance internationale à savoir son inscription au patrimoine mondial de l’Humanité. Le Ndop remplissait tous les critères et il a été inscrit au patrimoine national. La prochaine grande étape est son inscription par l’Unesco au patrimoine mondial.

Depuis 2020, qu’il est inscrit au patrimoine immatériel du Cameroun, quel bilan faites-vous ?

Depuis 2020, il y a un réel engouement pour le Ndop au niveau national et international. Tout élément qui est inscrit au patrimoine national est protégé. C’est une victoire. Mais notre souci est le travail de terrain, le travail de transmission. Mais les moyens financiers nous font défaut.

Sauvons le Ndop organise chaque année et depuis l’année dernière « Les awards du Ndop »; une cérémonie de récompense des artisans qui respectent les n techniques originales de confection de l’étoffe Ndop. Notre page Facebook aussi continue à sensibiliser sur l’importance de se réapproprier de cet élément culturel identitaire.

On y arrivera !

Le Messager

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