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Franck Essi : « la haine ou le rejet du parti au pouvoir ne peut pas constituer un ciment solide pour aller loin ensemble »

Dans une tribune parvenue à notre rédaction, le Secrétaire général du Cpp, pose un regard froid sur ce que veut dire s’opposer au Cameroun. un texte riche dont nous vous proposons ici la quintessence.

Pour beaucoup d’observateurs, de citoyens et de grands « intellectuels », les opposants sont la principale cause de l’impasse dans laquelle nous sommes.

L’opposition devrait faire certaines choses : avoir un programme crédible, s’unir, ne pas se laisser acheter, être sur tous les terrains de la contestation et de la dénonciation…. Elle devrait éduquer le peuple, être exemplaire en tous points, faire mieux et plus que les gens au pouvoir sur tous les plans.

Pour certains, elle doit construire des ponts, des écoles, des routes et des maisons. Elle doit offrir de l’argent aux pauvres, des emplois aux chômeurs, des maisons aux sans-abris, des terrains aux agriculteurs,… En bref, c’est presque comme si elle doit gouverner le pays sans être au pouvoir. Après avoir perdu 13 élections, on l’a même qualifié de bête voire de stupide.

Intéressant…

Mais qui est opposant et que signifie s’opposer? Pour beaucoup, l’opposition se résume simplement aux partis politiques qui désirent évincer celui qui est au pouvoir. Mais réfléchissons un peu. Ayons une vision plus large de l’opposition. Peut- on se limiter à une description aussi restrictive? J’ai la faiblesse de penser que non. Regardons simplement ceux qui gouvernent.

Ce n’est pas seulement le parti au pouvoir. C’est aussi un réseau d’associations, de leaders d’opinions, de grasroots, d’hommes d’affaires, de chefs religieux, de chefs de village, etc. Si le camp au pouvoir c’est tout ce monde, alors le camp de l’opposition ne peut pas se limiter à la seule opposition politique. L’opposition doit rassembler toutes les forces, politiques, économiques, sociales et culturelles qui ont en commun le désir de mettre fin à l’ordre dominant de l’heure.

Ayons une conception précise de ce que sont les opposants. Il n’ y a pas une seule opposition mais plusieurs oppositions. Il y a plusieurs conceptions alternatives de la manière de gérer le pays et de résoudre les problèmes des gens. Certaines approches se recoupent, ce qui créée des convergences et donc, facilite les éventuelles alliances ponctuelles et / ou de long terme.

Cela induit aussi le fait que certains acteurs politiques, du fait du caractère fondamentalement divergent de leurs visions et offres politiques, ne peuvent jamais travailler durablement ou efficacement ensemble. La haine ou le rejet du parti au pouvoir ne peut pas constituer un ciment solide pour aller loin ensemble.* Parfois, il y a moins de choses en commun entre des partis dans l’opposition entre eux, qu’avec le camp au pouvoir.

corrompus

Il faut donc distinguer entre ceux qui font : Une critique fondamentale de la nature de l’ordre dominant* et qui estiment qu’il faut rien de moins qu’une révolution comme alternative.

Une critique morale et technique du système,* dénonçant les errements des hommes corrompus, les incompétences et les mauvaises options de politiques publiques. Ils estiment qu’avec des leaders neufs, compétents, expérimentant d’autres approches, sans remettre en cause les bases du système, ils peuvent résoudre les problèmes clés du pays. Une critique superficielle, animée par le seul désir de remplacer ceux qui sont au pouvoir.* Ceci sans que l’on puisse apercevoir le moindre indice concret, tangible et explicite de la différence fondamentale avec ceux qui sont au pouvoir.

Avec ces logiciels politiques différents, il faut également ajouter un autre paramètre: le paramètre psychologique. Il s’agit de distinguer: Ceux qui sont sincères, engagés et déterminés de ceux qui ne le sont qu’en apparence. Ceux qui sont conscients de leurs forces et de leurs faiblesses réelles de ceux qui estiment tout pouvoir et sont amoureux de leur personne. Ce facteur n’est pas négligeable dans l’analyse des heurs et malheurs d’une certaine opposition politique.

Dans la même veine, il faut également observer d’autres facteurs qui peuvent compliquer les alliances: Les divergences stratégiques.* On peut être d’accord sur l’objectif, mais à cause d’une divergence sur le chemin à emprunter, on ne travaille pas ensemble. Les divergences tactiques.* Notre opposition politique est telle que, parfois, dans une famille qui appartient au même courant, qui est d’accord sur les grandes lignes stratégiques, on diverge sur des éléments tactiques. Très souvent, et fort malheureusement, des différences d’appréciation de l’action ponctuelle à mener face à une situation ponctuelle, mettent fin à des collaborations naissantes.

La querelle des anciens et des nouveaux, des vieux et des jeunes.* Certains estiment, du fait de leur âge et de leur expérience, devoir tout imposer aux nouveaux arrivants. La fougue et la modernité des nouveaux et des jeunes est la bienvenue, à condition de s’incliner devant l’expérience des anciens et des vieux. Ce qui est souvent difficile car les jeunes et les nouveaux croient, à tort ou à raison, avoir compris les raisons des échecs du passé et êtres porteurs des solutions miracles à l’impasse politique dans laquelle nous sommes. Conséquence, la fracture générationnelle se fait de plus en plus grande, alimentée par la méfiance et le sentiment partagé de supériorité des uns et des autres.

Ayons une idée précise de ce que s’opposer signifie

En réfléchissant sur ce landerneau de l’opposition, nous en venons à constater d’autres faits: Les « intellectuels » engagés,* officiellement pour le peuple, la vérité et la justice, sont souvent très stériles lorsqu’il faut penser les moyens de renverser le système. Ils brillent un moment par la qualité voire la radicalité de leur critique du système. Ce qui donne à penser qu’ils sont opposés au système. Mais très souvent, lorsqu’il s’agit de nourrir positivement le combat des opposants politiques par des idées et des stratégies, c’est le désert. Un désert « désertique » si on nous permet cette liberté avec la langue. En dehors des recommandations générales, du style « il faut »,  » il n’y a qu’à », pas grand-chose en mesure de saisir la situation concrète des hommes concrets engagés dans une lutte elle-même des plus concrètes. Parfois, et c’est le grand paradoxe, il faut les payer pour qu’ils puissent frotter leurs esprits à ceux de leurs concitoyens qui, sur le plan politique, essayent d’agir pour l’avènement de la société qu’ils appellent de leurs vœux. Et quand ils finissent par être déçus par ces politicards, la critique à leur égard se veut parfois plus féroce que celle articulée contre le régime.

La société civile, véritable fourre-tout mêlant ONG, associations citoyennes (spécialisées ou pas) et les syndicats est un vrai objet politique non identifié. Elle se pense et se veut parfois apolitique, ce qui est un non-sens. Tout étant politique. Tout en critiquant le pouvoir, les politiques publiques ainsi que les gestionnaires publics, elle ne veut pas se frotter aux opposants politiques. Ils ne sont pas assez purs pour mériter de travailler avec elle. Elle estime devoir leur apprendre les droits de l’homme, la démocratie, la mobilisation, la communication, etc. Curieusement, cette société civile est devenue le repère de personnes qui n’ont pas le courage d’agir directement en politique, mais se servent de leur couverture pour faire,de manière déloyale, des tacles par derrière aux entrepreneurs politiques.

Et pourtant….

Tout ce monde dit vouloir le changement. Tout ce monde est expert dans l’art du constat, du débat pour débattre, de la dénonciation, des suggestions aux opposants politiques. Ils disent « unissez- vous » mais ne nous montrent pas l’exemple de leur unité dans leurs différents domaines d’intervention. Ils nous disent « battez-vous »,  » sacrifiez-vous », mais pratiquent dans leur majorité la politique du « pas d’intérêt financier / matériel, pas d’action ». Ils disent vouloir le changement mais estiment que les échecs électoraux tout comme la faiblesse de la capacité de mobilisation des masses est le seul ressort des opposants politiques.

Ils oublient que ce sont tous ceux qui ont intérêt à des réformes qui doivent se mobiliser pour leur mise en œuvre. Tous ceux qui ont intérêt. On a pas nécessairement besoin des opposants pour : Revendiquer l’eau, l’électricité, la santé, les routes et la bonne gestion de nos deniers publics. Exiger des sanctions contre des gestionnaires indélicats. Chaque CFA détourné, c’est un CFA perdu pour nous et nos enfants.

Mettre la pression en vue d’obtenir un bon système électoral. Ce dernier profite d’abord au citoyen, avant de bénéficier aux acteurs politiques. Un bon système permet que le choix des citoyen est respecté et en même temps, hausse le niveau de la querelle politique à l’obligation de convaincre par des arguments et des engagements clairs. Imposer une retraite aux personnes usées, vieillies et fatiguées qui s’accrochent aux affaires sans aucune contrepartie en termes de performances économiques ou sociales.

Pour faire tout cela, nous avons besoin de citoyens éclairés. Avec des citoyens éclairés, l’opposition politique vient en appui des luttes et est obligée de dérouler ce qu’elle pourrait faire différemment, en mieux et en plus pour résoudre les problèmes du pays. En définitive, nous voulons simplement dire que toute personne qui souhaite ardemment le changement de l’ordre dominant actuel, qu’il soit politique ou pas, est un opposant.

S’opposer signifie donc ne pas soutenir ce régime. Ne pas collaborer de manière à ce qu’il continue à se maintenir. C’est agir pour que s’accélère sa chute. C’est être disponible pour faire le travail avec les autres, qu’ils soient des acteurs politiques ou pas. Ne nous demandons plus ce que les opposants politiques ont fait pour faire tomber l’ordre actuel. Mais demandons-nous ce que nous pouvons faire pour joindre nos forces a celle des autres.

Et faisons le!

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