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Franck Biya : dauphin dans le grand bain ?

Sa tournée dans le Nord ressemble fort à une mise sur orbite, Sans fonction officielle, mais influent à Etoudi, le fils du chef de l’État camerounais fait de plus en plus figure de successeur.

L’histoire retiendra que Biya deuxième du nom fit son entrée en politique un 6 novembre 2022, jour du quarantième anniversaire de l’accession au pouvoir de son père. Invité par Aboubakary Abdoulaye, le lamido de Rey-Bouba (nord du Cameroun), Franck Biya a été reçu avec faste lors d’un meeting organisé à Garoua et largement couvert par les médias.

Mais bien malin qui peut dire avec précision ce à quoi on a assisté ce jour-là. S’il a un bureau au palais d’Etoudi et se prévaut du titre de conseiller officieux du chef de l’État, le flls unique du couple que formere jadis Paul et Jeanne-Irène, aujourd’hui âgé de 51 ans, n’apparaît sur aucun organigramme de la présidence et n’a aucun titre officiel.

Cet ancien homme d’affaires, qui a un temps vécu dans le sud de la France, non loin de la principauté de Monaco, n’a d’ailleurs jamais brigué de mandat électif. Le lamido de Rey-Bouba est, en revanche, le vice-président du Sénat. Il est aussi un personnage clé dans le scénario constitutionnel de dévolution du pouvoir: en cas de vacance, c’est en effet le président du Sénat qui est appelé à succéder au chef de l’État. or le titulaire du poste, Marcel Niat Niifenji, a désormais dépassé les 88 ans; victime d’ennuis de santé récurrents, il est souvent absent. Il n’est donc pas incongru de penser qu’Aboubakary Abdoulaye pourrait être amené à le remplacer au pied levé. Et c’est là que le meeting de Garoua, bastion du parti au pouvoir, prend tout son relief.

Officiellement, il était organisé par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Problème : l’invité d’honneur, fût-il le fils du président-fondateur, n’est membre d’aucun organe du parti. D’ailleurs, jusqu’à ce jour, personne ne l’avait vu arborer l’écharpe bleue et blanche. Voilà pourtant plusieurs mois que ses soutiens s’activent avec plus ou moins de finesse. Ils se sont baptisés « les franckistes » et constituent une mouvance hétéroclite, qui ne bénéficie pas de l’onction officielle du principal intéressé. Mais celui-ci ne les a pas désavoués non plus.

Peut-être Franck Biya a-t-il entrepris le voyage à titre privé, le monarque ayant prétendu plus tard que son invité était venu lui présenter ses condoléances pour le décès de sa mère. Sauf que les obsèques ont eu lieu il y a plus d’un an… Quel que soit le bout par lequel on le prend, l’événement ressemble bien à une entreprise de communication politique conçue pour sonder les esprits. Et le Tout-Yaoundé écarquille les yeux, plongé qu’il est dans un abîme de perplexité.

Fausse pistes

Le scénario d’une mise en orbite pure et simple ne correspond pas au style Biya. Pendant quarante ans, et en dépit des pressions, le chef de l’État a toujours rechigné à pousser son fiIs dans Ie chaudron politique, lui qui n ignore rien des attentes liées à une succession. On a longtemps scruté I’indice et cherché le signe qui indiquerait l’identité de celui à qui le président envisage de léguer les clés d’Etoudi. Mais, en politicien madré,il n’a jamais rien laissé transparaître. Il a multiplié les fausses pistes, se cachant derrière la Constitution pour déclarer qu’il n’avait pas de dauphin – « le Cameroun n’est pas une monarchie!».

La nature ayant horreur du vide, le marionnettiste désormais nonagénaire a souvent pris soin d’aiguiser lui-même les appétits de ses proches collaborateurs en leur abandonnant attributions, prérogatives et délégations de signature… Il a laissé la presse se perdre en conjecture.

Sur l’avenir de « dauphins » finalement tombés en disgrâce, et dont quelques-uns purgent des peines de prison de longue durée. Il est vrai que cet exercice de style ayant révélé toutes ses ficelles, les prétendants – évidemment non déclarés – ont appris à éviter le piège de I’impatience. Alors le président peut-il faire de Franck Biya son héritier sans se contredire?

Député et président du Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN), Cabral Libii prend date. « Ce voyage est pour nous, sans le moindre doute, la présentation publique du successeur souhaité [par Paul Biya], dit l’opposant. C’est donc le lancement larvé d’une précampagne électorale. La stratégie choisie est celle du fait accompli. Si, d’un point de vue juridique, le citoyen Franck Biya a le droit de faire ce qu’il veut, ce qu’il s’est passé le 6 novembre 2022 est, d’un point de vue politique, un délit d’initié. »

Cinéma muet

D’autres assurent que Paul Biya n’a aucun projet de succession dynastique, même s’il ne peut empêcher le citoyen Franck Biya de briguer la présidence. Le fils du président est éligible, certes, mais peut-il gagner sans le soutien de son père et les moyens de l’État? Et, soudain, voilà que le Cameroun veut percer le mystère de cet homme si discret que même son baptême du feu politique s’est joué à la manière du cinéma muet. À Rey-Bouba, il n’a pas pris la parole; la plupart de ses concitoyens n’ont même jamais entendu le son de sa voix. Il vit entouré de quelques amis d’enfance et fuit les mondanités.

Pourtant, au début de 202O lors d’un dîner-débat organisé à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, par Olivier Zegna-Rata, un ex-directeur de cabinet d’Hervé Bourges, le fils Biya a discouru sur le thème du financement des investissements devant un parterre surpris de journalistes, de diplomates, de banquiers, de patrons de fonds d’investissement et de dirigeants d’organisme, dont le directeur général de l’Agence française de développement. Les convives du jour ne sont pas les seuls à penser qu’ils ont sous-estimé le quinquagénaire. « Il connaît bien le système bâti par son père, y compris
dans ses pires travers, et formule de bonnes idées de réforme », prétend un ancien ambassadeur européen accrédité à Yaoundé. Évoluant sous les radars, l’aîné de la fratrie Biya soigne ses réseaux.

Louis-Paul Motaze, l’influent ministre des Finances, est son cousin et lui doit – en partie – son maroquin, tout comme Alamine Ousmane Mey, chargé de l’Économie. Il est réputé proche, aussi, de l’ancien ministre Roben Nkili, frère cadet de sa défunte mère; de Modeste Mopa Fatoing, le directeur général des Impôts; et de Samuel Mvondo Ayolo, directeur du cabinet civil du chef de l’État. Il est également lié à l’ex-tennisman Yannick Noah, auquel il a ouvert les portes d’Etoudi.

En France, l’ancien homme d’affaires, qui a interrompu des études universitaires aux États-Unis pour se lancer dans l’exploitation forestière et qui a servi d’intermédiaire pour de grands groupes désireux d’investir au Cameroun, voit régulièrement Franck Paris, le conseiller Afrique d’Emmanuel Macron. Il ne faut rien en déduire de la position de la France, insiste un autre membre de la galaxie macroniste. « Il n’y a pas, à l’Élysée, de position officielle concernant la succession, explique cette source. Il y a plusieurs pistes et des accents différents selon que les analyses émanent des milieux militaires, du renseignement, des milieux d’affaires ou de la diplomatie.

La plupart de ceux que je vois partent de l’idée selon laquelle la succession se jouera à l’intérieur du camp présidentiel. Mais il est vrai que certains poussent pour une succession du père par Ie f,Is sous le prétexte qu’il faut maintenir la stabilité, la sécurité, et sauvegarder des intérêts. » Une chose est sûre : à Yaoundé comme à Paris, tous attendent l’heure de la clarification. Mais, autour d’Etoudi, les ambitieux sont nombreux et tous ne se rangeront pas forcément au choix de Paul Biya.

Georges Dougueli

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