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Cameroun Actuel

Christian Penda Ekoka : chronique d’un échec programme

Introduction

En 1990, huit ans après son accession au pouvoir, Paul BIYA, répondant à une question du journaliste français Yves Mourousi, déclare : « Je voudrais qu’on se souvienne de moi comme du président qui aura apporté à ses compatriotes la prospérité et la démocratie. ». Trente ans plus tard, en 2020, le Cameroun ne connaît ni prospérité ni démocratie. Pire, il est menacé d’implosion. Illustrant ce constat sans appel, les faits et les chiffres présentés dans cette chronique sont produits par des rapports internationaux indépendants, qui comparent les performances de divers pays en utilisant différents critères. Ils ont ainsi l’avantage d’éviter des polémiques partisanes. Nous donnons ainsi au lecteur de constater par lui-même le décrochage du Cameroun par rapport aux objectifs annoncés par ses dirigeants.

Par exemple, le PIB mesure la valeur de la richesse annuelle créée par un pays, ou en d’autres termes la somme des valeurs ajoutées générées par son activité économique. Il est exprimé en monnaie locale (en l’occurrence en FCFA), et pour des comparaisons internationales en dollars US (SUS), en général. Il peut être exprimé en valeur nominale d’une année donnée sans prise en compte de l’inflation, ou en termes réels ou constants par rapport à une année de référence en tenant compte de l’inflation. Le PIB par habitant est le résultat du PIB du pays divisé par sa population. Il est en quelque sorte un indicateur de productivité du capital humain résident dans le pays. Par simplification, il peut être assimilé au revenu par habitant. Son augmentation au fil des années indique l’amélioration du bien-être général des résidents d’un pays et sa détérioration l’inverse, indépendamment des inégalités de revenus entre les résidents mesurés par d’autres indicateurs.

A cet égard, le lecteur sera édifié d’apprendre qu’en 1985 le PIB par habitant (appelé aussi PIB per capita) du Cameroun (environ 1768 dollars US) dépassait de plus de 1200 SUS celui de la Chine, de 1300 dollars SUS celui de l’Inde, de plus de 1000 SUS celui du Ghana, de 300 SUS celui du Maroc et de 78 SUS celui de la Côté d’ivoire. Mais, presque 35 ans plus tard, les choses se sont inversées : en 2018, le PIB par habitant du Cameroun a dégringolé à 1501 SUS (soit une baisse de 15%) indiquant un appauvrissement de la population. Plus dramatique encore les PIB/habitant de la Chine, de l’Inde, du Ghana, du Maroc et de la Côte d’ivoire ont rattrapé et dépassé celui du Cameroun de respectivement 6252 SUS, 600 SUS, 306 SUS, 1860 SUS et 192 SUS (en dépit des dix ans de guerre de la Côte d’ivoire). (Voir tableau ci-dessous).

Au plan social, en 2001, le taux de pauvreté est estimé à 40%, c’est-à-dire que 40% de la population vit en-deçà du seuil de la pauvreté de moins de un dollar US par jour par personne. Lors du sommet des Nations Unies qui s’est tenu à New York en septembre 2000, le Cameroun, par la voix de son Président Paul BIYA, a adhéré aux objectifs du millénaire pour le développement (ODM), visant à réduire ia pauvreté de moitié à l’horizon 2015, c’est-à-dire à 20%. Estimé aujourd’hui à 38%, ce pari n’est pas tenu. Pire, avec une population qui augmenté, il y a plus de pauvres aujourd’hui au Cameroun qu’au moment où M. BIYA prenait cet engagement à New-York.

Au plan de la démocratie, en 2020, au XXIème siècle, le Cameroun est une terre de barbarie et de désolation: le symbole de la négation des droits humains et d’étouffement des libertés;         un     lieu d’asservissement, d’esclavage et d’abrutissement de l’esprit ; un pays où l’on trouve un arsenal insoupçonné de répression et de torture.

Pour les jeunes et futures générations, il est important de chercher les raisons de cet échec du régime BIYA, au-delà des polémiques partisanes, à la lumière des résultats des recherches en matière de développement afin cela ne se reproduise plus. Celles-ci établissent une corrélation forte entre entre la nature des institutions politiques, d’une part, et la dynamique de prospérité ou de pauvreté, d’autre part. Elles indiquent que des institutions politiques inclusives et ouvertes sont caractérisées par la remise en cause, l’innovation et l’émulation qui favorisent un climat de performance, catalyseur d’une croissance profitable au plus grand nombre. Ce climat engendre un large spectre d’incitations à promotion de l’entreprenariat et de la production, à la facilitation de l’accès aux crédits, etc.

A l’inverse, des institutions politiques fermées, dites extractives, favorisent la perpétuation du statu quo qui favorise la stagnation, voire la régression. Ces institutions encouragent le clientélisme, le népotisme, la corruption, des attitudes de rentiers et de consommateurs en bout de chaîne, et non la remise en cause de l’ordre présent ou l’innovation susceptible de provoquer ce que Schumpeter appelle le processus de « destruction créatrice ». Non orientées vers la performance, elles favorisent la stagnation, voire la régression.

Indicateur de compétitivité globale (classement du world economic forum)

Le Global Competitiveness Report 2019 est un rapport du World Economie Forum qui compare 141 pays en fonction de leur compétitivité mesurée par 12 critères principaux. Sur dix critères, le Cameroun est classé dans le peloton de queue, entre le 110ème et le 141 ème rang, de même dans le classement global le Cameroun est 123ème sur 141.

Classement du Cameroun sur 141 pays

1)      Classement global : 123ème

2)      Qualité des institutions : 117ème

3)      Infrastructures : 128 ème

4)      Technologies de l’information et de la communication (TIC) : 132ème

5)      Stabilité macroéconomique : 89ème

6)      Santé : 130ème

7)      Compétences des ressources humaines : 114ème

8)      Marché des produits : 112ème

9)      Marché du travail : 114ème

10)    Système financier et bancaire : 128ème

11)    Taille du marché : 89ème

12)    Dynamisme, des affaires : 112ème

13)    Capacité d’innovation : 103ème

Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce)

Le taux de croissance de l’économie camerounaise était de 3,9% en 2019 par rapport à 4,8% en 2018. Avec une croissance moyenne annuelles de 4% au cours des dix dernières années, le Cameroun peine à atteindre, voire dépasser, les objectifs de croissance du scénario « référence » du DSCE de 5,9%, élaboré par le gouvernement. A ce rythme, il parviendra difficilement à atteindre ses ambitions d’émergence à l’horizon souhaité de 2035. Pour réaliser cet objectif, il convient de rappeler que le DSCE projetait, dans le cadre d’un scénario dit « volontariste », que le taux de croissance annuel passe à 9,5% entre 2016 et 2020. On est bien loin du compte.

Finances publiques (Source : Institut national des statistiques du Cameroun – INS/ Statistiques Banque des Etats de l’Afrique centrale – BEAC)

Persistance des déficits interne et externe (déficit bùdgé-taire base engagement, dons compris, de -2,5 % du PIB en

2017, par rapport -6,0 % du PIB en 2016), et du solde courant.

Dette publique : en pourcentage du PIB elle est de 9,73% en 2010,        35,2% en2016, 35,7% en 2017 et 34% en

Si certains veulent soutenir qu’en pourcentage du PIB, notre dette reste soutenable, il convient de relever que le problème n’est pas à ce niveau. Deux faiblesses affectent notre endettement : primo, la non rentabilité des investissements financés, qui sont improductifs et aux coûts exorbitants (genre Tracteurs d’Ebolowa, Camtel, port de Kribi, usines de manioc de Sangmelima sans manioc, etc.) ; secundo, son accélération en dix ans de 2010 à 2016, elle est presque multipliée par quatre pour des dépenses improductives, Ces deux faiblesses ont pour effet une forte dégradation du ratio du service effectif de la dette extérieure sur les recettes d’exportations qui passe de 5,5% en 2013 à 11% en 2017. Il s’ensuit des charges d’intérêts excessives. Ainsi par exemple, de 2005 à 2016, les intérêts annuels du service de la dette publique ont été multipliés par cinq, passant d’environ 45 milliards FCFA à 250 milliards FCFA.

Balance commerciale et des paiements chroniquement déficitaires (Source INS)

2018 : importation de plus de 700 milliards FCFA de denrées alimentaires de grande consommation, comprenant principalement le riz, le maïs, le sucre, le poisson et les huiles végétales. 2013 à 2017 : déficit moyen de la balance commerciale de 1 126,8 milliards de francs CFA, en moyenne par an. Incidence néfaste sur la balance des paiements, sur les réserves et la parité de change.

Note du Cameroun par les agences de notation de crédit

La notation de crédit (credit rating) par les agences de notation détermine la qualité (solvabilité) des pays emprunteurs sur les marchés financiers, en d’autres termes le degré de risque qui pourrait être associé au pays emprunteur. Cette notation détermine généralement le taux d’intérêt des crédits aux pays emprunteurs. Plus la note est mauvaise, plus le taux d’intérêt est élevé. En 2016, le Cameroun obtenait un crédit en eurobonds pour un taux d’intérêt de l’ordre de 10% tandis que l’Arabie Saoudite la même année avait emprunté sur les marchés financiers avec un taux de 2%, la différence de huit points entre les deux emprunts reflète la prime de risque associée à l’emprunt du Cameroun. Au mois d’avril 2020, voici ce que disaient du Cameroun deux agences de notation :

Fitch note B 22 avril 2020 perspective négative Standard and Poor’s note B-10 avril 2020 perspective stable

En combinant la note B de Fitch et une perspective négative et celle B- de S&P avec une perspective stable, il est aisé de voir que le Cameroun est un pays à risque.

Environnement des affaires : dégradation continue constatée par le classement médiocre du Cameroun dans le rapport « doing business » de la banque mondiale

Depuis plusieurs décennies, le Cameroun éprouve des difficultés à attirer une masse critique d’investissements directs étrangers, en raison notamment d’un environnement des affaires difficile. Ce phénomène est mesuré par les différents rapports Doing Business 2018 de la Banque mondiale, qui mesure la facilité de faire des affaires dans différents pays. Le Cameroun recule en rang, passant du 163ème rang sur 190 pays en 2017, au 166ème en 2018 et 167ème en 2019. La vigueur de la croissance est fortement corrélée avec la capacité d’attraction des investissements d’un pays, celle-ci dépendant étroitement de la qualité de son environnement des affaires. Le Doing Business apprécie dix critères parmi lesquels le délai de création d’une entreprise, l’accès aux financements, la qualité des infrastructures, les coûts et les délais de dédouanement, la qualité du système fiscal, la facilité à obtenir différents titres, permis ou agréments (e.g. titre foncrer, permis de bâtir, autorisations administratives). Il est loisible de voir comment d’autres pays africains – tels que la Côte d’ivoire, le Ghana, le Kenya, le Maroc et le Rwanda -ont amélioré leur rang, c’est-à-dire leur environnement des affaires, au fil des ans.

African Growth Opportunity Act (Agoa)

Ce programme du gouvernement américain visait à encourager les exportations manufacturières des pays africains, qui y étaient éligibles, sur le marché des USA en franchise de douanes. L’éligibilité du Cameroun a été suspendue en 2019.

Millenium Challenge Account (Mca)

Le Cameroun n’a jamais pu satisfaire les conditions d’éligibilité de cet autre programme du gouvernement américain qui aurait permis au pays de bénéficier d’une importante aide financière.

Industrie et ressources naturelles : un potentiel insuffisamment exploite

Industrie manufacturière peu intégrée d’amont en aval, fragile et vulnérable qui dépend essentiellement des intrants importés. Produits et services à faible valeur ajoutée. Faible participation aux exportations.

Un système financier et bancaire qui ne répond pas aux besoins de l’économie (Source BEAC/Banque Mondiale).

Taux de bancarisation inférieur à 17% (moins de 17% de la population ont accès aux services bancaires). En 2017, les crédits à l’économie (3048 milliards FCFA, soit 15% du PIB courant de 20397 milliards), un niveau très faible pour booster l’économie de manière significative. Dans ce contexte, la politique monétaire ou de crédit n’impacte pas grand monde. Par exemple ce taux de est de 138% en Afrique du Sud, 85% au Maroc, 68% en Tunisie, 105% en France, 77% en Italie et 106% en Hollande. Dans la perspective d’un pays émergent à l’horizon annoncé de 2035, ce taux devrait déjà dépasser 50%.

Infrastructures: carence et coûts exorbitants (Source : rapport Banque Mondiale 2018 sur la qualité de la dépense publique au Cameroun).

Surenchérissement considérable du coût des ouvrages par rapport à des pays de niveau de développement similaire au Cameroun, doublé d’un rallongement des délais d’exécution qui passe de 3 à 4 ans initialement à 7 ou 10 ans. Qualité amoindrie des infrastructures exécutées.

Dérive de l’état de droit et dévoiements du système judiciaire dissuasifs pour les investissements (Source : Business monitor international – BMI).

L’insécurité juridique est une entrave majeure au développement du Cameroun et est classée par différents rapports internationaux au rang des tout premiers obstacles pour les investissements privés dans notre pays.

Problèmes Slimentaires ( Source : Food and Agriculture Organization -FAO)

Education

Dans le classement des meilleures universités du monde de Times Higher Education s World University rankings 2020, deux universités sud-africaines sont parmi les deux cents meilleures universités du monde : University of CapeTown (136ème rang) et University of Witwa-tersrand (194ème). L’Egypte et l’Afrique du Sud sont les deux pays africains les mieux classés, avec 20 et 10 universités chacun. L’Egypte, le Nigéria et l’Afrique du Sud sont représentés parmi les 500 universités du top mondial. Le Cameroun n’apparaît même pas parmi les 1000 premières universités africaines, groupe dans lequel apparaissent une ou plusieurs universités d’Afrique du Sud, du Nigéria, d’Algérie, de l’Ouganda, du Maroc, du Ghana, du Kenya, de la Tunisie et de la Tanzanie. La politique agricole n’a pas fait augmenter les terres sous culture au rythme du défi démographique. La population passe de près de 9 millions en 1985 à 25 millions en 2017, une augmentation de presque 200%, tandis que les terres sous culture n’augmentent que de 24% sur cette période avec des systèmes de culture restés largement.

Alors que les exportations agricoles représentent en Côte d’ivoire presque trois fois (2,7) les importations agricoles en 2007, elles montent à trois fois et demie (3,5) en 2017 ; au Cameroun entre les deux périodes les exportations agricoles restent à 70% des importations agricoles au cours de la période. Ce ratio indique qu’aucune politique agricole volontariste n’est déployée au Cameroun pour booster la production et les exportations agricoles.

Intégration régionale

Echec de l’intégration régionale en raisôn des barrières physiques (absence d’infrastructures de communication) et institutionnelles (existence d’entraves à la libre circulation des biens et des personnes en . CEMAC), mais surtout de l’incapacité du leadership du Cameroun à développer une politique ambitieuse pour faire de ce pays une plaque tournante naturelle, en dépit de sa position géographique et stratégique unique au cœur d’un marché de près de 350 millions d’habitants, potentiels consommateurs selon les âges de toutes sortes de biens et services.

Conclusion

En observant le régime BIYA au cours de ses trente-huit années, caractérisé par une concentration de la totalité du pouvoir politique dans les mains d’un seul individu, sans contre-pouvoirs, il est aisé d’y voir les caractéristiques des’ institutions politiques extractives, tirées à la fois par deux marqueurs principaux que sont la corruption et l’impunité, d’une part, et l’ethni-cisation, d’autre part. Elles expliquent son cuisant échec. Pour changer cette donne, il faut changer de paradigme et réformer de manière profonde les institutions politiques pour les rendre inclusives, à travers une meilleure répartition du pouvoir politique tant au plan institutionnel que géographique, afin de permettre aux populations de participer activement à la vie politique, notamment de choisir librement leurs dirigeants à tous les niveaux et de les obliger à leur rendre compte périodiquement de leurs performances.

Président du Mouvement AGIR-ACT

 

 

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