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Assassinat de Martinez Zogo : pourquoi les chaînes de télévision ne nous montrent rien

C’est reparti dans les réseaux sociaux ce matin pour le meurtre de Martinez Zogo. Et à la télévision, rien. Les chaînes de télévision qui nous entourent ne nous montrent rien. Et quand une chaîne de télévision ne montre rien, à quoi sert-elle ?
Si partout dans le monde les chaînes de télévision ont été créées pour étendre l’expérience des hommes de leur petit village à un village global, nous connectant les uns aux autres, nous permettant de vivre ce que vit l’autre qui n’est pas moi, certains espéraient que cette nouvelle technologie rendrait les hommes plus humains.

Malheureusement, je constate que contrairement à l’arrivée de la télévision nationale Cameroon Television CTV en 1985 qui a permis aux camerounais de voir la visite du Pape Jean-Paul de chez eux, les chaînes de télévision privées qui sont nées après et la nouvelle télévision nationale CRTV sont loin de nous faire vivre cet humanisme rêvé.

Au contraire, dans ces médias, nous avons une toute autre idée de l’homme, qui est présenté comme un loup pour l’homme tant elle met en spectacle des pugilats et règle des comptes. Quand la télévision n’est pas là pour nous tromper en présentant une fausse image de nous-mêmes à des fins commerciales, le mensonge publicitaire, elle nous lave quand nous sommes sales parce qu’il ne faut pas salir notre image….

La télévision est aussi là pour célébrer la toute-puissance des hommes-dieux africains donnant matière à rêver au petit peuple qui malheureusement croit encore à ces élites télévisuelles. Les journaux télévisés eux relatent l’activité de ceux qui sont désignés pour occuper certaines fonctions afin de nous dire qu’ils font leur travail, qu’ils travaillent bien, très bien même… malgré les résultats qui tardent à se faire sentir.

En revanche, ceux qui portent ce pays par le travail qui nous permet de manger, d’aller au travail, à l’école, de nous soigner sont jamais les héros de la télévision, si ce n’est quand il y a un problème. La télévision dans notre pays, quand elle ne montre pas des corps en transe, qui s’agitent ou courent après un ballon, montre des hommes, plutôt des mâles assis et qui parlent très fort, souvent le dimanche, mais ce que la télévision nous montre vraiment, ce sont des hommes impuissants, émasculés, qui ne peuvent plus rien faire. La télévision nous raconte des histoires.

Si elle ne peut pas nous montrer ce que nous voulons devenir, qu’elle nous montre au moins le monde dans lequel nous vivons, pour qu’elle puisse servir de scanner, de radiologue, pour que nous puissions voir, voir de quoi nous souffrons, une fois qu’on a vu, il devient facile d’y apporter un traitement.

Parce que née après toutes les autres, la télévision camerounaise, qui aurait pu être une expérience unique en Afrique et dans le monde, est devenue ce que Patrick Le Lay décrit comme du « temps de cerveau humain disponible » pour le divertissement au sens de la distraction. Nous amener à regarder à gauche quand tout se passe à droite. Alors que nous savons que nous avons de nombreux maux à traiter et que la télévision aurait pu être cette béquille qui nous permet de soutenir une société comme la nôtre que nous savons handicapée.

Pire, quel genre de télévision faisons-nous quand nous savons que près de la moitié de notre population a moins de 20 ans ? Un pays d’enfants. Il devient évident qu’il est cruel de faire une télévision où l’on se comporte comme des idiots, une télévision où l’on parle d’idiots, ou une télévision où l’on rit comme des idiots. Je n’ose pas parler du mensonge, de la tricherie et du vol… tout cela à la télévision, et les enfants regardent.

A moins de 20 ans, on est à l’école et la télévision aurait pu être pour ce que Michel Serres décrit comme une aventure, un saut dans l’inconnu, où l’on apprend à prendre la route sans savoir où l’on va… la découverte ! Avec ce nouveau type de télévision, ce qui était au départ un territoire inconnu et effrayant devient un lieu de reconnaissance. La télévision doit amener les jeunes à affronter la rencontre difficile, le moment où le défi de l’effort intellectuel seul dissipera l’obscurité.

Ce qui est évident et prévisible ne doit jamais nous être octroyé, mais plutôt gagné à la sueur de la recherche et de la réflexion. Si nous penchons actuellement pour un modèle de télévision qui imite les Nigérians, par exemple, nous devons savoir ce qui nous attend. Un pays qui a produit un millier de films en un an n’a pas vu venir Boko Haram ! La leçon à tirer est la suivante : qu’est-ce qu’une chaîne de télévision si elle n’est pas capable de nous montrer la menace qui nous entoure ? Pourtant, nous sommes menacés.

Les chaînes nationales ne sont pas les seules concernées. Un journaliste a été assassiné au Cameroun, que dit Canal Plus qui fait un gros chiffre d’affaires grâce aux Camerounais et fait rire les Africains à longueur de journée alors qu’ils devraient pleurer? Il n’est pas étonnant que malgré les grandes écoles de journalisme et des classes entières de spécialistes de la communication, nous soyons obligés de nous en remettre aux lanceurs d’alertes sur les réseaux sociaux. Ils nous disent qu’une maison est encerclée ce matin. A la télevison on ne montre rien.

Jean-Pierre Bekolo

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