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Affaire Martinez Zogo : Justin Danwe, dérive solitaire ou instrument de lutte de pouvoir ?

Martinez Zogo

Chef présumé du commando qui a assassiné le journaliste Martinez Zogo, cet officier de la DGRE, resté dans l’ombre pendant des années, est aujourd’hui au cœur de l’affaire d’État qui ébranle le Cameroun.

Il est apparu sous un sweat-shirt aux couleurs des Lions indomptables, surmonté d’une capuche recouvrant presque entièrement son visage. Le 24 février dernier, Justin Danwe a de nouveau été présenté devant le commissaire du gouvernement du tribunal militaire de Yaoundé, tout comme la vingtaine de suspects dans l’affaire du meurtre de Martinez Zogo. L’occasion, pour les nombreux curieux rassemblés jusqu’à une heure avancée de la nuit devant le bâtiment abritant cette juridiction, d’entrevoir pour la première fois celui par qui le scandale qui ébranle le Cameroun est arrivé.
Interpellé dans la plus grande discrétion

Figure majeure de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), le service de contre espionnage camerounais, ce personnage à l’allure athlétique est inconnu de la quasi-totalité de ses compatriotes. La seule photo publique sur laquelle il apparaît est un portrait – de profil – adossé à la quatrième de couverture d’un roman au titre intriguant qu’il a publié en 2012 : Les Génies du mal.

L’assaut des enfants-soldats, qu’il n’a d’ailleurs jamais publiquement dédicacé. Les rares personnes qui se souviennent avoir croisé son chemin, lors de ses années de collège à Ngaoundéré, dans le nord du pays, affirment pour la plupart avoir perdu sa trace. Ses proches et collègues quant à eux, se refusent de faire la moindre déclaration sur lui.

De fait, Justin Danwe est un homme de l’ombre. Comme tout bon espion, ses interactions sociales sont limitées, et sa vie numérique intraçable. Une existence discrète et secrète qui a pris fin le 1er février, quand Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence, a confirmé à demi-mots son arrestation pour son implication présumée dans l’assassinat de Martinez Zogo.

Quelques jours après la découverte du corps sans vie du journaliste, le 22 janvier, dans la banlieue de Yaoundé, et alors que le Cameroun tout entier était encore sous le choc, Justin Danwe était interpellé dans la plus grande discrétion, devenant le tout premier suspect d’une enquête qui deviendra rapidement une affaire d’État.

Convoqué à la suite d’une dénonciation faite par un de ses collaborateurs, Danwe s’est, selon nos informations, autodénoncé aussitôt que lui ont été présentés les éléments ayant conduit à son arrestation, lesquels le situaient déjà comme la pièce clé de l’organisation du meurtre de Martinez Zogo.

« Intelligence vive »

Comment le directeur des opérations des services secrets du pays, décoré chevalier de l’ordre du mérite camerounais – la deuxième plus haute distinction honorifique du pays – le 20 mai 2021, est-il devenu le principal suspect d’un tel crime ? Le natif de Souaye, dans l’arrondissement de Guidiguis (région de l’Extrême-Nord) est pourtant crédité d’un parcours scolaire sans faute. De son passage au lycée classique et moderne de Ngaoundéré, où il obtient un baccalauréat littéraire en 1998, à l’université de la même ville, qu’il quitte en 2002, licence en poche, le récit de ses anciens camarades décrit un « sujet brillant » à « l’intelligence vive ».

Son admission à l’École militaire interarmées (Emia), en 2002, est une surprise pour plusieurs de ses camarades qui lui prédisaient une toute autre trajectoire. Mais l’intéressé semble s’y plaire. Sorti de la prestigieuse institution chargée de former les officiers camerounais en 2004, il devient lieutenant en 2007. Il sera ensuite promu capitaine au début des années 2010, chef d’escadron en 2018, et, depuis le 1er janvier 2022, lieutenant-colonel de la gendarmerie.
Luttes d’influence à la DGRE

À la DGRE, l’officier de gendarmerie évolue dans un panier de crabes. Les services de contre-espionnage font en effet l’objet d’une âpre et secrète lutte d’influence. Leur patron, Léopold Maxime Eko Eko, doit faire face à l’activisme de réseaux occultes qui réclament son départ, et ce malgré les succès qu’il a pu engranger à la tête de ce service – dont le plus retentissant fut la libération de neuf otages enlevés au large du Cameroun en novembre 2008.

Face à l’adversité, Léopold Maxime Eko Eko plie mais ne rompt pas. Le chef de la DGRE tient ferme les rênes de la structure, alors que des médias locaux évoquent à plusieurs reprises son remplacement imminent. Eko Eko le sait : ses adversaires ne se comptent pas qu’en dehors de la structure qu’il dirige. Soupçonnait-il Justin Danwe d’être de ceux qui roulent pour ses adversaires ?

Le 22 novembre 2021, Eko Eko prend la décision de l’écarter, en lui retirant une bonne partie de ses prérogatives. Parmi elles, celle de la mise en mouvement de troupes, ou encore l’usage de certains matériels. Mais il ne peut aller beaucoup plus loin, la décision de le révoquer de ses fonctions revenant exclusivement au président de la République.
Liens avec Amougou Belinga

Danwe mis au placard, Eko Eko remet en selle James Elong Lobé, conseiller technique numéro un de la DGRE et prédécesseur de Justin Danwe au poste de directeur des opérations. Ce climat délétère a-t-il poussé l’espion à franchir des lignes rouges ? Au cours d’une conférence de presse, le 17 février, l’avocat de Jean-Pierre Amougou Belinga, autre suspect présumé dans l’affaire Zogo, a affirmé que Justin Danwe vendait ses services d’agent de la DGRE à des particuliers.

« Le lieutenant-colonel Danwe allait souvent voir Jean-Pierre Amougou Belinga pour lui donner des informations sur la sécurité au niveau de la frontière Cameroun-RCA », avait notamment indiqué Me Charles Tchoungang. Interrogé sur le sujet, Me Jacques Mbuny, l’avocat de Danwe, n’a ni confirmé ni infirmé ces propos, se contentant de reprocher à son confrère d’avoir « levé le secret de l’instruction ».

La défense d’Amougou Belinga, que Danwe a désigné comme le commanditaire du crime qu’il prétend avoir commis avec des collaborateurs de la DGRE, souhaite que la lumière soit faite sur l’état psychologique de l’espion. « Le Cameroun a été manipulé par cet individu qui nous a mis dans le bourbier d’un meurtre avec commanditaire », dénonce l’économiste Dieudonné Essomba, proche et soutien d’Amougou Belinga. « Or un examen objectif des données montre de manière claire que Danwe est un officier félon qui a dévoyé les services dont il avait la charge. »

Cette hypothèse ne semble pour l’instant pas celle retenue par les enquêteurs, qui privilégient plutôt la thèse d’une opération collective avec plusieurs niveaux d’intervention qui restent à déterminer. De nombreuses questions sans réponses entourent encore l’assassinat de Martinez Zogo.

En attendant la date de leur prochaine présentation devant le commissaire du gouvernement, une éventuelle mise sous mandat de dépôt des différents suspects permettra de savoir si la justice camerounaise dispose d’assez d’éléments pour les présenter devant un juge.

Par Franck Foute (Jeune Afrique)

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