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Redressement fiscal à Vision 4 : 6 inspecteurs des impôts se révoltent contre Louis Paul Motaze

Louis Paul Motaze, ministre des Finances

Par des correspondances séparées adressées au ministre des Finances via leur avocat, six fonctionnaires du fisc lui demandent d’annuler sa décision ayant accordé un « cadeau » fiscal de presque 9 milliards de francs au patron de Vision 4. Ils massacrent la décision de leur ministre et menacent de saisir le juge administratif en cas de résistance de ce dernier. Economie de leurs arguments.

Les six inspecteurs des impôts poursuivis par M. Jean-Pierre Amougou Belinga et renvoyés en jugement public sur les infractions de concussion, trafic d’influence et corruption active, viennent de jeter un pavé dans la marre. Par des correspondances individuelles adressées lundi dernier (29 août 2022) au ministre des Finances (Minfi), ils lui demandent rien moins que d’annuler la remise d’un peu plus de 8,99 milliards de francs accordée à l’homme d’affaires le 3 août 2022.

Ce jour-là, en réponse à un recours engagé deux mois plus tôt par le patron de Vision 4 Télévision SA auprès du Minfi, ce dernier avait ramené à 1,8 milliard de francs le montant du redressement fiscal initialement arrêté par l’administration fiscale à 10,88 milliards de francs. Les six fonctionnaires estiment que cette décision de leur ministre leur porte préjudice. Raison pour laquelle ils menacent de saisir le juge administratif pour obtenir son annulation si le ministre ne fait pas droit à leur démarche.

Les six correspondances en question, que Kalara a consultées, sont assez explicites au sujet des récriminations de leurs signataires : «Par lettre n°5892/Minfi/SG/Cacof/ST du 3 août 2022, vous avez vidé le contentieux fiscal introduit par la Télévision Vision 4 consécutivement à l’AMR n°1373/CSPY/CCF/VGC/22 du 21 mars 2022, en procédant à une annulation à hauteur de Fcfa 8.991.223.136 des impositions de Fcfa 10.881.390.959 maintenues à la charge du requérant par le Directeur général des impôts.

Cette décision n’a pas été prise dans le cadre d’une démarche transactionnelle qui aurait été sans conséquence pour nous. Elle l’a été en prenant prétexte du droit. De ce fait, les graves conséquences et les griefs qu’elle nous cause nous obligent à engager la présente procédure de recours gracieux préalable, prévue à l’article 17 de la loi N°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs.»

Les «graves conséquences et les griefs» évoqués par les six inspecteurs des impôts dans leurs recours gracieux respectifs ont surtout trait à l’usage dont le juge d’instruction a fait de la décision du Minfi du 3 août dernier en clôturant l’enquête judiciaire qui les concerne suite à la plainte de M. Amougou Belinga.

Comme indiqué dans la dernière édition de Kalara, Mme Aïssatou Adamou, le juge d’instruction dont il s’agit, soutient comme argument principal justifiant le renvoi en jugement de ces fonctionnaires des impôts pour concussion, le fait que le montant du redressement fiscal notifié par le fisc à l’homme d’affaires ait continué à être revu à la baisse dans la suite de la procédure contentieuse que le PDG de Vision 4 avait engagée. «Votre décision a été utilisée par le juge d’instruction pour nous renvoyer devant le juge du jugement en matière pénale», font observer les inspecteurs des impôts à leur ministre.

Preuve à charge

Par ailleurs, expliquent-ils, «le contribuable (Amougou Belinga) a saisi les autorités par lettre du 10 août 2022 d’un recours gracieux préalable en indemnisation pour la réparation des préjudices causés à l’image de l’entreprise Vision4 Télévision SA et du Groupe L’Anecdote par le redressement fiscal de 11,12 milliards de francs initialement mis à sa charge.

Cette action qui porte sur des préjudices évalués par (nous) à 14 milliards de francs, postule une faute personnelle lors du contrôle fiscal querellé. Elle sous-tend une éventuelle réparation au profit du contribuable alors même que nous avons agi dans le cadre de l’exercice normal de notre métier d’Inspecteur des impôts et ceci au cours d’une mission régulièrement programmée par l’Administration fiscale».

Il s’agit pour eux d’une situation qui les désavantage dans la suite du procès contre M. Amougou Belinga. «Votre décision constituera donc la principale preuve à charge de l’accusation au cours du procès à venir. Dès lors, elle nous fait grief sur le plan personnel, familial, professionnel et social. Les dégâts à cet égard sont déjà incalculables et pourraient l’être davantage dans un avenir proche, si nous n’y prenons garde.

Aussi, par la présente, sommes-nous dans l’obligation de contester sur la forme et au fond la décision […] du 3 août 2022 portant dégrèvement des impôts au profit de l’entreprise Vision4 Télévision SA et de solliciter humblement qu’elle soit rapportée», écrivent-ils.

La contestation par les fonctionnaires d’une décision du ministre des Finances prise dans le cadre du règlement d’un contentieux fiscal avec un contribuable relevait de l’inédite jusque-là. De ce fait, on est en face de la relance d’un processus qu’on croyait achevé depuis la décision du Minfi. C’est probablement parce que, jamais, par le passé, aucun contribuable n’avait bénéficié du niveau de mansuétude accordée à Jean-Pierre Amougou Belinga.

Dans leurs correspondances respectives, les six inspecteurs des impôts déclarent qu’aucun autre contribuable n’a jamais réussi à faire examiner un recours en sa faveur alors que celui-ci avait été déposé hors délais. Ils reviennent de ce fait, avec force détails sur les étapes du contrôle fiscal effectué à Vision 4 jusqu’à la saisine du ministre pour dire qu’ils ne peuvent pâtir d’une faveur accordée à l’homme d’affaires. «La réclamation de Vision 4 est donc notoirement irrecevable et devait faire l’objet d’un rejet pur et simple», écrivent-ils de façon sentencieuse.

Pièces fictives

Ils vont plus loin en dénonçant une dénaturation des faits pour permettre à M. Amougou Belinga de bénéficier de la baisse de son redressement fiscal.

«Dans votre décision, il est fait mention de la fourniture par le contribuable des pièces justificatives des transactions financières, qui n’avaient pas été mises à la disposition ni des Inspecteurs-vérificateurs pendant le contrôle, ni de la DGI au cours de l’examen du premier recours contentieux introduit. […] Du reste, les pièces justificatives mentionnées dans votre décision n’ont pas été présentées au cours des travaux.

Aucun participant n’y a eu accès. Elles ne peuvent d’ailleurs être d’aucune utilité dès lors qu’elles ne figurent pas dans la comptabilité de l’entreprise : ni dans le livre journal, ni dans le Grand livre, ni dans la balance des comptes, ni dans le bilan. Les dispositions de la loi ont été outrepassées dans l’examen de cette requête. L’argumentaire développé autour des pièces justificatives manifestement fictives avait pour seul but l’annulation des impositions pourtant régulières.»

Les justificatifs évoqués ici concernent «les marchés et subventions obtenus de l’Etat ainsi que les factures justificatives des charges déclarées» dont les inspecteurs des impôts disent n’avoir jamais trouvé les traces dans la comptabilité de Vision 4. Si, au départ, disent-ils, le patron de l’entreprise avait promis d’en donner «plus de clarification au cours de la séance de travail de clôture du dossier», M. Amougou Belinga avait ensuite indiqué que «ces sommes d’argent ne représentent pas des prestations audiovisuelles mais proviennent des activités extérieures», avant de parler «des financements d’un actif en cours de réalisation, en l’occurrence l’immeuble qui abritera le nouveau siège du Groupe l’Anecdote, en construction au lieu-dit Carrefour Warda à Yaoundé».

En principe, le ministre dispose d’un délai de 90 jours pour répondre à ses collaborateurs, faute de quoi ces derniers auront la latitude de saisir le tribunal administratif pour obtenir l’annulation de la décision querellée. D’ici à ce qu’on en arrive là, le Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centra administratif, qui connaît du procès intenté par M. Amougou Belinga contre les inspecteurs des impôts, aura au moins connu ses premières audiences.

En principe, le jugement public de l’affaire démarre en principe le 16 septembre 2022, selon des sources proches du dossier. Le PDG de Vision 4 reproche à ces derniers d’avoir essayé de lui extorquer 500 millions de francs à la demande du DG des impôts, en lui promettant de réduire substantiellement sa dette fiscale en cas de réaction positive.

50 millions

Les six inspecteurs des impôts en rupture de ban avec le Minfi sont Mme Ngono Emeline, le chef du Centre régional des impôts du Centre 1 (Cric 1), qui avait été placée en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui pendant l’enquête judiciaire avant d’être remise en liberté à la suite des instructions de la présidence de la République, M. Amia Mounamba, chef de la cellule du contentieux du Cric 1, M. Mohamadou Tidjiani et Mme Daï Awe Pauline, tous les deux inspecteurs vérificateurs. Ils sont en compagnie de M. Languel Ildevert, inspecteur vérificateur, et Mme Ngono Marguerité Edwige, chef de la brigade contrôle.

En rappel, M. Amougou Belinga avait prétendu avoir corrompu à l’aide d’une enveloppe de 50 millions de francs l’équipe des vérificateurs des impôts sous le regard des caméras de surveillance et contre décharge. C’est sur cette base qu’il avait déposé sa plainte. Les images témoins de la prétendue transaction illicite et la copie de la décharge n’ont jamais été présentées.

Mais le juge d’instruction estime que le dégrèvement du redressement fiscal d’une valeur de presque 9 milliards de francs décidé par le ministre Louis-Paul Motazé au bénéfice du promoteur de Vision 4, entre autres, suffit à démontrer que les fonctionnaires du fisc ont posés les actes qui leurs sont reprochés. Ces derniers, qui contestent tout, ont donc décidé d’obtenir que le Minfi annule la décision de dégrèvement du redressement fiscal de Vision 4. Un vrai pavé dans la marre.

Kalara

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