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Les non-dits de la séquestration d’un magistrat par un policier à Bertoua

Que s’est-il réellement passé le 20 janvier 2022 au poste de contrôle mixte police-gendarmerie de Bonis-Bertoua, lorsqu’un magistrat avait été brutalisé puis séquestré par des hommes en tenue ? A la lumière de la lecture de la plainte déposée la semaine dernière par le concerné, Kalara lève un pan de voile sur un fait qui suscite la grogne sourde des magistrats pendant que les réactions des patrons reste attendues.

LJ affaire avait fait grand bruit sur les réseaux sociaux. Mais, depuis le 20 janvier 2022, jour où les images d’un policier trainant un magistrat tel un vulgaire bandit sur le- sol avant de le séquestrer à Bonis, localité voisine de Bertoua, avait fait le tour du monde à travers la toile, on n’en a plus rien entendu.’ Cette scène surréaliste d’un auxiliaire de justice malmenant un de ses patrons dans la rue n’a donné lieu à aucune réaction officielle connue du public.

Le patron de la police, mais aussi le chef de la gendarmerie, sans oublier le ministre de la justice, dont les collaborateurs sont des acteurs de ce film surréaliste, n’ont pas jugé utile d’en dire un seul mot au public, qui n’est certainement pas- encore totalement revenu de sa surprise… Comme si on était en face d’une scène ordinaire et banale.

Dans la sollicitude de son bureau de substitut de procureur de la République près les tribunaux de grande et première instances de Bertoua, M. Mohamadou Mourtala a décidé de faire laver l’affront qu’il a subi en mondovision. C’est bien lui l’homme en tenue civile qui apparaît dans la courte vidéo d’un peu plus de deux minutes qui a fait le tour du monde, en discussion houleuse avec deux gendarmes et un policier, avant l’arrivée d’un cinquième larron qui lui demande de patienter, avant de lui dire : «vous n’allez pas bouger», suite au refus de son interlocuteur de rester sur place. La vidéo s’achève par des images du substitut du procureur de la République qui tente de s’éloigner, mais qui est ramené brutalement dans un hangar en bois où il est séquestré par le gardien de la paix.

12 infractions…

Six jours après l’incident, soit le 26 Janvier 2022, M. Mohamadou Mourtala a déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction du Tribunal de grande instance (TGI) du Lom et Djerem. 11 vise au total une douzaine d’infractions contre ceux qui l’auraient violenté : outrage à magistrat, atteinte à l’honneur et à l’intégrité physique, menaces sous condition, tentative de meurtre, séquestration aggravée, destruction de téléphone, ivresse publique, torture, violences, rébellion, rébellion en groupe, blessures et rétention sans droit du téléphone portable.

Et sa plainte vise directement les policiers Bouba Jean Baptiste, Aissatou et un autre dont le nom n’est pas dévoilé, mais aussi deux gendarmes, non identifiés eux- aussi pour le moment. Toutes ces personnes étaient en service au «poste de contrôle mixte police- gendarmerie de Bonis à Bertoua le 20 janvier 2022» au moment des faits.

Selon plusieurs sources bien introduites dans les milieux judiciaires à Bertoua, le plaignant se serait trouvé obligé de porter plainte, parce que les responsables de la gendarmerie et de la police de la Région de l’Est n’ont pas donné suite aux instructions du procureur général près la Cour d’appel de Bertoua de faire mener chacun une enquête sur les faits du 20 janvier 2022.

On sait que dans un «message radio-porté» signé le jour même de l’altercation, le commissaire divisionnaire Mbiongueri, délégué régional delà sûreté nationale de l’Est avait rendu compte au patron de la police, M. Martin Mbarga Nguele, mais aussi au Gouverneur de la Région de l’Est, de même qu’au procureur général et au procureur de la République, de ce qui s’était passé, selon lui.

Dans son message, M. Mbiongueri déclare que le substitut du procureur de la République de Bertoua, Mohamadou Mourtala, s’est opposé à un «contrôle prescrit voyageurs» alors qu’il était à bord d’un bus de transport interurbain de la compagnie Danay Express, au motif qu’il était «pressé de se rendre à un deuil» et a tenté de «dégager par la force» la barrière du contrôle mixte.

Ce refus a donné lieu à «un violent accrochage avec le personnel de service», comme en témoigne la vidéo transmise aux destinataires du message. Le commissaire divisionnaire précise que le magistrat a poursuivi son voyage grâce à une instruction du commandant de la Légion de gendarmerie de l’Est, informé des faits par M. Mohamadou Mourtala lui-même.

Corruption empêchée

La plainte du magistrat, qui a été consultée par Kalara, donne sa version des faits. Pour lui, le courroux des hommes en tenue à son égard a pour source son opposition aux actes de corruption qu’il aurait empêchés, en demandant aux nombreux passagers qui voulaient monnayer leur liberté en proposant un présent aux policiers et gendarmes pour se sortir du défaut de présentation de carte d’identité national qui leur était reproché de s’en abstenir. Il aurait aussi demandé aux hommes en tenue de se contenter de dresser un procès-verbal à transmettre à qui de droit.

Les passagers s’étant exécutés, selon b plainte, «deux des policiers ont appelé la troisième policière qui me Connaissait très bien, ainsi que deux gendarmes qui faisaient le contrôle et ensemble, tous ont dit que je ne dois plus continuer mon voyage, qu’on descende mes bagages et qu’ils vont me ’toucher’ même si je suis le procureur général».

Le magistrat explique que la vidéo mise en circulation a été tournée après une concertation entre les cinq éléments de la police et de la gendarmerie présents sur les lieux, lesquels l’ont empêché de rejoindre le bus qui avait déjà franchi la barrière du poste de contrôle.

Le scénario de la scène aurait été pensé par ses tortionnaires supposés, les uns étant chargés de lui barrer 1a route, pendant qu’un autre filmait et que le dernier, qui te connaît personnellement et l’appelle tantôt «patron», tantôt «magistrate, s’occupait à le violenter, pour susciter sa réaction et l’immortaliser. Il dit devoir la fin de son supplice au commandant de la Légion de gendarmerie, qui a réagi après son appel au contraire du délégué régional de la police…

«J’ai appelé et informé te Délégué régional de b Sûreté nationale de l’Est des exactions de ses éléments à mon encontre : il n’a pas réagi suite à mon appel téléphonique. J’ai joint l’huissier de justice, Maître Nguepi, pour venir constater les multiples exactions sus- évoquées. C’est le colonel-commandant de la Légion de b gendarmerie de Bertoua que j’ai appelé par h suite et j’ai passé le

téléphone à la dame gendarme, comme l’appel a été interrompu, ses éléments ont profité pour retenir sans droit mon téléphone androïde qu’ils ont fini par détruire grâce à leur violence répétée, j’ai rappelé à nouveau le Colégion- Est avec mon second téléphone et c’est lui qui a ordonné à ses éléments en état d’ébriété avancé de me faire libérer sur le champ. Et j’ai retrouvé ma liberté après plus de 30 minutes périlleuses et-traumatisantes.»

Règlement de comptes ?

Un certificat médical de M. Mohamadou Mourtala est joint à sa plainte. Ce dernier dit avoir poursuivi son voyage en dépit du traitement reçu, pour faire échec à la volonté de ses adversaires qui avaient décidé de faire annuler son voyage. Le médecin qui l’a reçu peu après son arrivée à Yaoundé estime à 7 jours la durée du repos médical nécessaire pour qu’il se remette des agissements des hommes en tenue à son égard.

Il aurait ressenti notamment des «douleurs cervicales» à la suite de l’altercation. Le plaignant signale que tous les passagers du bus de Danay Express, de même que le chauffeur et le convoyeur de ce véhicule, peuvent témoigner de ce qui s’est passé. Kalara ignore pour l’instant la suite réservée à la plainte du magistrat.

Fait surprenant, le substitut du procureur de la République Mohamadou Mouriala n’est pas inconnu de certains autres acteurs de la scène ubuesque du 20 janvier 2022. C’est le cas du policier Bouba jean-Baptiste, auteur d’une plainte contre un certain Dewa Aboubakar, pour «vol aggravé et défaut de carte nationale d’identité».

Ce dernier avait régulièrement comparu le 10 décembre 2021 à l’audience criminelle du TGI du Lom et Djerem, qui avait comme représentant du ministère public, entre autres, M. Mouhamadou Mouriala. Dans les milieux judiciaires de Bertoua, plusieurs pensent que le magistrat a subi un règlement des comptes, le policier n’ayant pas été satisfait de la décision rendue dans son affaire. Le mis en cause avait été reconnu coupable des faits mis à sa charge, maïs le tribunal lui avait infligé un emprisonnement de 3 ans avec sursis pendant cinq ans.

Dans les rangs de la magistrature, plusieurs ne décolèrent pas encore face à ce qu’ils ont entendu. C’est le cas d’un magistrat qui, sous anonymat, regrette qu’il n’existe pas de syndicat pour défendre leur corps «aujourd’hui ouvertement malmené par des auxiliaires de justice».

«Les magistrats bénéficient d’un privilège de juridiction au Cameroun, dit-il C’est quelque chose qui est connu de tout le monde et particulièrement par les hommes en tenue. A supposer que le collègue se soit par extraordinaire comporté comme le laisse croire le délégué régional de la sûreté nationale de l’Est dans son message radio-porté, rien ne peut justifier que les policiers et les gendarmes aient décidé de bloquer le magistrat, que certains connaissent comme substitut du procureur de la République exerçant à Bertoua. Je n’arrive même pas encore à croire que la scène de séquestration diffusée sur les réseaux sociaux est vraie… C’est tout le corps de la magistrature qui est ridiculisé. Le silence des responsables de l’Etat va sans doute encourager d’autres dérives du même type contre les magistrats».

Kalara

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