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Cameroun : John Fru Ndi, le dernier combat ?

À un an du congrès du Social Democratic Front (SDF), censé marquer son retrait définitif de la vie politique, l’opposant historique à Paul Biya est engagé dans une dernière bataille : consolider un parti miné par les divisions et les guerres d’égo.

À 81 ans, John Fru Ndi n’est pas le doyen de la vie politique camerounaise. Paul Biya, pour ne citer que lui, est de huit ans son aîné. Mais après 32 années ininterrompues de combats politiques, le leader du Social Democratic Front (SDF) ne parvient plus à dissimuler sa lassitude ni à étouffer, au sein de son parti, les querelles de leadership qu’attise la perspective de son retrait de la vie publique.

Fru Ndi concède volontiers être déjà un peu à la retraite. Sa vie, il la passe désormais entre sa résidence de Yaoundé et l’Angleterre, où il se rend régulièrement pour y être soigné. Le kidnapping dont il a fait l’objet à Bamenda, en juin 2019, a laissé des traces. Les cicatrices sont encore visibles sur ses mains et sur sa tête.

Il se défend pourtant d’avoir fui sa ville natale, celle-là même où il a passé toute sa vie et développé son assise politique. Et, bien que la crise qui secoue la grande ville du Nord-Ouest depuis près de cinq ans ait entraîné la fermeture de son ranch, situé à Wum, et la perte des plus de 500 têtes de bétail qui s’y trouvaient, l’homme assure qu’il retournera dans la région « aussitôt que [son] traitement sera achevé ».

Divisions

Nous l’avons rencontré le 15 juin à Yaoundé, dans une bâtisse située sur la route menant à la cité universitaire de Soa, dans la périphérie de la capitale. C’est là que le chairman reçoit, qu’il suit les soubresauts qui agitent la vie politique camerounaise et garde un œil attentif sur le parti qu’il ne parvient pas à lâcher. Car bien que sur le départ, l’ancien libraire ne manque jamais une occasion de rappeler la place qu’il occupe dans la hiérarchie du SDF.

Ce jour-là, alors qu’il nous reçoit, il peaufine les détails de son prochain coup d’éclat : la réorganisation des organes du parti. Les détails en seront officiellement dévoilés le lendemain, mais John Fru Ndi a déjà décidé de faire tomber les têtes. Il va mettre fin au mandat du secrétaire général, l’ancien sénateur Jean Tsomelou, relégué à la présidence de la commission Agriculture et Développement rural du SDF, et se passera dorénavant des services de Jean-Robert Wafo, qui officiait à la Communication. L’avocat Felix Agbor Nkongho atterrit quant à lui à la commission juridique.

Fru Ndi en est convaincu, « des défis politiques majeurs attendent le pays », et le SDF doit être prêt. « Certains responsables du parti tentent de bloquer la conduite sereine des opérations de renouvèlement des organes de base [qui doit précéder] la tenue du congrès électif. Ceux-ci seront sévèrement sanctionnés », prévient-il. Le truculent Jean-Michel Nintcheu doit-il se sentir visé ? En coulisses, certains accusent le député de faire traîner le processus dans sa région du Littoral qu’il dirige. Et il est difficile de ne pas lire ces décisions à l’aune des divisions qui minent le SDF.

Le 19 mai dernier déjà, Fru Ndi avait pris ses militants de court en décidant unilatéralement que le SDF prendrait part à la parade organisée pour la fête nationale, célébrée le lendemain. Jean-Michel Nintcheu avait pourtant annoncé le contraire, affirmant dans un communiqué que sa section ne participerait pas au traditionnel défilé. La note rappelait que ce refus était destiné, depuis 2019, à marquer le désaccord du parti avec la gestion de la crise anglophone.

Nintcheu désavoué

Mais alors que Nintcheu avait été suivi par les responsables du SDF de la région du Centre, une frange des cadres du parti, parmi lesquels le vice-président Joshua Osih, s’y étaient opposés. Le différent est remonté jusqu’à Fru Ndi, lequel ne s’est pas gêné pour désavouer Nintcheu. Des militants ont été mobilisés pour prendre part à la cérémonie et le patron du SDF avait lui-même pris place dans la tribune officielle, à quelques mètres de Paul Biya. Une fois de plus, le SDF n’a pas craint de faire étalage de ses divergences internes.

Le chairman justifie sa décision par la nécessité de « passer un message » au reste de la nation et de continuer à « faire entendre la voix du parti ». « Nous sommes représentés dans les institutions, que ce soit au Parlement ou au Sénat, explique-t-il. Nous devons nous servir de toutes les opportunités possibles pour dire ce que nous pensons. »

Au sein du SDF, ces explications peinent à convaincre. La formation a perdu en influence et en visibilité, et l’on s’inquiète des conséquences d’une bataille de succession fratricide. « Ceux qui ont conseillé au chairman de signer le communiqué annonçant la participation du SDF au défilé ont malheureusement contribué à contrarier le leader publiquement, car sur les 70 arrondissements du Centre, seuls deux ont défilé. C’est regrettable, déplore Parfait Mbvoum, vice-président du SDF dans le Centre. Des tendances se battent en interne, et ceci n’était que la manifestation de la victoire d’un camp sur un autre dans une bataille. »

Le combat que se livrent Nintcheu et Osih est de notoriété publique. Entre coups bas et offensives médiatiques, cela fait près de quatre ans que les militants du parti assistent, impuissants, à ce duel qui menace désormais la survie de cette formation.

Député du Littoral et partisan d’une opposition frontale avec le régime, Jean-Michel Nintcheu rêve d’asseoir son leadership sur le SDF et dit vouloir ramener la formation à ses fondamentaux. Face à lui, le vice-président, le député Joshua Osih, milite pour une approche plus pragmatique. « Nintcheu et Osih sont deux héritiers de Fru Ndi, résume un cadre. Le premier incarne le leader du SDF dans ses premières années en politique, tandis que le second est à l’image de ce qu’il est devenu dans la deuxième partie de sa carrière. »

Fru Ndi suit ce duel avec attention, mais y voit moins « une quête de leadership qu’une guerre d’ego ». Il assure être conscient des risques que cette confrontation fait peser sur le parti. Le départ d’un des deux entraînerait une saignée parmi les militants dont le parti pourrait ne pas se remettre.

Médiation ratée

Il a donc multiplié les initiatives pour mettre un terme à cette rivalité. Fin 2021, il a mandaté Jean Tsomelou, alors secrétaire général, pour organiser une médiation, mais la réunion de conciliation n’a jamais eu lieu. Dans l’entourage de Jean-Michel Nintcheu, on soupçonne Fru Ndi d’avoir pris fait et cause pour Osih. Et la nomination de Me Djomgang Adeline Lord, une proche d’Osih, en remplacement de Tsomelou, ajouté à la mise en retrait de Jean-Robert Wafo, un fidèle de Nintcheu, tend à leur donner raison.

Fru Ndi pourtant s’en défend. « Lorsque nous avons convoqué les deux, Nintcheu ne s’est jamais présenté, explique-t-il. Comment peut-on mettre un terme à leur querelle dans ces conditions ? Alors qu’on était encore en train de trouver des voies de médiation, on apprend qu’Osih a été exclu du parti [lors d’une assemblée extraordinaire tenue au domicile de Nintcheu en mars 2021]. Mais en regardant de près, on se rend compte que le quorum n’était pas atteint pour prendre une telle décision, et qu’en plus la personne suspendue n’a jamais eu l’occasion de se défendre. On ne se débarrasse pas des gens de cette façon, et le dire ne revient pas à prendre position pour quiconque. »

Pressé par certains militants de tenir un congrès anticipé, le patriarche affirme qu’il se déroulera en 2023 comme prévu. En attendant, l’ancien challenger de Paul Biya prépare sa sortie. « Nous continuons d’avoir à nos côtés des personnes qui croient en nos idéaux, malgré toutes les difficultés que nous rencontrons. Aujourd’hui, chacun voit les agissements des uns et des autres, et le moment venu, les militants choisiront leur nouveau leader. » Reste à savoir si cette stratégie sera suffisante pour protéger ce parti historique du vent de scission qui s’abat sur lui.

Jeune Afrique

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