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Sénégal : ce qui fait le succès d’Ousmane Sonko

Le maire de Ziguinchor dérange pour plusieurs raisons. La première est son discours antisystème qui lui vaut l’affection d’une jeunesse sénégalaise, voire africaine, à la recherche de repères sûrs.

Depuis des mois, le Sénégal vit au rythme des ennuis et péripéties judiciaires d’Ousmane Sonko, le maire de Ziguinchor. Rival le plus sérieux du président sortant à l’élection présidentielle du 4 février 2024, Sonko a été condamné à deux ans de prison ferme et près de 980 dollars US d’amende pour corruption de jeunesse.

Le 15 juillet 2023, Ousmane Sonko aura 49 ans. Expert fiscal sorti de l’École nationale d’administration (ENA), figure emblématique de la politique sénégalaise, il termine à 45 ans, troisième lors de l’élection présidentielle de 2019. Un vrai exploit pour celui qui était devenu fonctionnaire de l’État sénégalais en 2001, avant d’en être radié par un décret de l’actuel président Macky Sall, après plusieurs années de fonction. Son crime : avoir manqué au droit de réserve en reprochant à son pays des anomalies fiscales voire budgétaires.

Dès lors, une question se pose : un autre fonctionnaire aurait-il connu la même sanction ? En quoi l’étoile montante de la politique sénégalaise dérange-t-elle ?

L’actuel maire de Ziguinchor dérange pour plusieurs raisons. La première est la tenue d’un discours antisystème qui lui vaut l’affection d’une jeunesse sénégalaise, voire africaine, à la recherche de repères sûrs. Ces repères passent par exemple, par un rejet tacite de la Françafrique, la politique africaine de la France en Afrique en général et au Sénégal en particulier. A cela, il faut ajouter le rejet du franc CFA, considéré comme une monnaie coloniale par des millions de jeunes africains.

Ethique sociale

La deuxième raison, et pas la moindre, est la volonté affichée de faire appel à l’éthique sociale en politique. L’éthique sociale est cette branche de l’éthique ayant trait aux actions des groupes, des instances sociales et des institutions. Serait-ce sa passion pour cette éthique sociale qui fait peur à ses détracteurs? La question mérite d’être posée.

En effet, la mise en oeuvre de cette éthique sociale se traduit dans le discours politique de Sonko dans lequel il privilégie les intérêts supérieurs du Sénégal où certaines puissances coloniales vont être vues comme des partenaires parmi tant d’autres et pas forcément des partenaires privilégiés.

Ce recours à l’éthique donne parfois l’impression que le mariage entre l’éthique et la politique en Afrique conduit presque, automatiquement au divorce. Aussi, peut-on se demander si l’éthique veut mettre de l’ordre là où la politique apporte parfois le désordre. Les scandales de corruption dans certains pays nous amènent à nous demander où se trouve la place de l’éthique en politique.

Le parti politique de Sonko, faut-il rappeler, fait référence à l’éthique comme l’indique sa dénomination : Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). En effet, très peu de partis politiques en Afrique portent en leur sein, la mention éthique. Celle-ci peut paraître banale, mais reste essentielle à la vie socio-politique et économique d’un pays qui se veut démocratique et qui prône une certaine justice sociale.

Justice sociale

La justice sociale incarne une forme d’idéal pour une jeunesse africaine abandonnée à elle-même. Selon cette justice sociale, il faut rendre à chacun selon sa productivité économique, ses fonctions voire ses responsabilités. Son expression latine reste on ne peut plus claire : “Suum cuique tradere”, c’est-à-dire : “rendre à chacun ce qui lui est dû”. Il s’agit de rendre à la jeunesse africaine ce qui lui est dû. C’est ce genre de discours qui explique aussi cette hausse de popularité que l’on peut voir chez des jeunes politiques comme Ousmane Sonko au Sénégal ou Succès Masra au Tchad.

En effet, un regard sur la politique africaine montre que l’éthique, si elle est prise au sérieux, viendrait ajouter un supplément d’âme à ce qui manque à nos politiques nationales. En cela, Sonko dérange une certaine classe politique réfractaire à une forme de discours révolutionnaire. Discours que beaucoup de jeunes africains aimeraient entendre, surtout lorsqu’il est tenu par un jeune issu d’une génération proche à cette même jeunesse et qui plus est, rejoint ces jeunes dans le réel de leur vie et aborde leurs revendications sociopolitiques.

En somme, Ousmane Sonko tient un discours de rupture avec une certaine manière de faire la politique en Afrique et au Sénégal avec notamment la sortie du franc CFA et son corollaire, l’indépendance économique des anciennes colonies partageant cette monnaie.

L’affaire Sonko

Depuis le 5 mars 2021, la vie politique de Sonko est entachée d’une affaire qui risque d’entamer une carrière politique si prometteuse. En cause, une plainte portée contre lui pour “viols répétitifs” et “menaces de mort”, de la part d’Adji Sarr, une employée d’un salon de massage où l’homme politique voulait soulager ses problèmes de dos.

Sonko va tour à tour perdre son immunité parlementaire, être mis aux arrêts, en plus de faire face à de nouveaux chefs d’accusation : “trouble à l’ordre public” et “participation à une manifestation non autorisée” ; avant d’être relâché. Entre temps, des manifestations éclatent et font une dizaine de morts. Sonko est soutenu par des partis politiques, y compris des mouvements de la société civile.

Si ce qui est reproché à Sonko pouvait être traité de façon équitable, sans parti pris, on se demanderait qui parmi les hommes ou femmes politiques sortirait indemne d’une telle situation. Dans une telle atmosphère, il n’est pas exclu qu’on soit en face d’une affaire dans une affaire.

Une affaire dans l’affaire

De l’avis de l’homme politique incriminé, l’actuel président Macky Sall veut le mettre hors-jeu de la course à la présidentielle de 2024, comme ce fut le cas avec d’autres opposants avant lui. Sonko va-t-il subir le même sort que Karim Wade ou Khalifa Sall? La question reste posée. Depuis deux ans, ce qui est désormais connu comme “l’affaire Sonko”, reste un dossier brûlant de la politique sénégalaise.

Pour preuve, après deux ans de querelles politico-judiciaires, le 24 mai 2023, le procureur de Dakar a requis dix ans de réclusion contre le principal opposant à Macky Sall. Il a été acquitté des faits de viol et de menaces de mort pour lesquels il était poursuivi au départ. Chose regrettable, comme en 2021, cette affaire a encore fait des victimes.

Le 16 mai 2023, l’on a déploré encore une fois une situation tendue montrant des barricades, des pneus brûlés et des pertes en vies humaines. Si le procureur de Dakar a requis dix ans d’emprisonnement contre Sonko, il existe ici et là des zones d’ombre. Depuis quelques mois, circulent des audios d’un certain MC Niass, sur les réseaux sociaux. La plaignante Adji Sarr y fait état de l’existence d’un “deal” politique contre Sonko”, avant de se dédire.

Le leader de Pastef était absent à son procès, pour des raisons liées à sa sécurité. Le procureur a requis dix ans de réclusion criminelle contre lui. Le dernier mot revient au président de la cour qui donnera son verdict le 1er juin, alors que le doute persiste. L’existence de contradictions parmi les témoins donne au procès une teinte curieuse avec cet autre chef d’accusation : corruption de la jeunesse. S’agit-il donc d’un procès politique ? La question reste posée.Ousmane Sonko, Cameroun Actuel

Hermann-Habib Kibangou, Doctorant en Sociologie, Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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