fbpx

Cameroun Actuel

Pr Eric Essono Tsimi : « habituons la France à prendre des coups de l’Afrique »

Ecrivain et dramaturge camerounais installé aux Etats-Unis, il revient sur le contexte politique du déplacement annoncé d’Emmanuel Macron au Cameroun. L’auteur de « De quoi la littérature africaine est-elle la littérature ? » invite à un rapport décomplexé entre la France et ses ex-colonies.

Comment vous, auteur de nombreux ouvrages sur la colonisation, le racisme accueillez la visite annoncée de Macron en Afrique et au Cameroun ?

Le président français s’invite au Cameroun, à la suite de déplacements dans d’autres pays africains, qui ont toujours laissé un gout amer aux ressortissants des pays concernés. Les relations entre la France et l’Afrique sont toujours empreintes de colonialité. Rappelez-vous que Monsieur Macron a participé aux pensées, croyances et actions qui font aujourd’hui s’épanouir le racisme, quelles qu’aient été ses intentions.

En juillet 2017 par exemple, au sommet du G20 à Hambourg, interrogé par un journaliste ivoirien sur la possibilité de mettre en œuvre un plan Marshall africain, sa réponse avait été : « Les problèmes auxquels l’Afrique est confrontée aujourd’hui sont complètement différents… et sont civilisationnels ». I

l évoquait, au passage, la transition démographique comme un goulot d’étranglement qui entraverait toute entreprise de construction du continent africain, ces femmes qui font « sept à huit enfants » posant un insolvable problème économique. Un président ne devrait pas dire ça, c’est un discours dangereux. La condescendance et l’inexactitude du propos avaient en leur temps été suffisamment dénoncées par des grands quotidiens français, des intellectuelles et des chercheuses confirmées comme Françoise Vergés.

Un an après son diagnostic de Hambourg, il récidivait à New-York, visiblement à l’aise avec ses thèses controversées. Le 26 septembre 2018 à la conférence Goalkeepers, il dénonçait non plus la moyenne de « sept ou huit », mais plutôt la moyenne aggravée de « huit ou neuf » enfants par femme, en Afrique, en criant de manière arrogante : « S’il vous plaît, présentez-moi la dame qui a décidé, étant parfaitement instruite, d’avoir sept, huit, neuf enfants. S’il vous plaît… ».

De nombreuses femmes à travers le monde lui avaient spontanément répondu à travers le hashtag #PostcardsforMacron. Son discours a oxygéné Éric Zemmour qui sur la question a tenu des propos à peine plus racistes et misogynes.

Paul Biya est son homologue, mais à 89 ans dont 40 comme président de la République, il n’est clairement pas son égal. Il n’est pas son ami ni celui de la France, il est le président du Cameroun et c’est un simple accident de l’Histoire si c’est la Françafrique alors incarnée par Monsieur Aujoulat qui a facilité son ascension.

Comment expliquez-vous que cette visite fasse couler autant d’encre et de salive?

Cette visite a été préparée sous nos yeux, mais sans que nous en sachions rien, un peu comme un tour de prestidigitateur, nous regardons ahuris le résultat annoncé.

Après plusieurs visites remarquées de l’ambassadeur français Christophe Guilhou au chef de l’État camerounais, après l’inauguration récente de grandes surfaces (CFAO & Carrefour) à la gloire du Made in France et du commerce peu équitable, après la création du nouveau monopole de Castel dans le secteur alimentaire (sucre et alcools notamment), après l’obtention par Orange Money Cameroun SA d’un agrément de la Cobac et du Gouvernement camerounais qui fait de la société française un établissement de paiement, encore au mépris de la concurrence et du consommateur camerounais, c’est tout naturellement si on accordera tous les égards que nous sommes sans cesse prêts à octroyer au Chef de l’État français.

Néanmoins, après sa célébration fracassante, à quelques mois d’intervalles, de Napoléon et, en marge de la Commémoration du 80ème anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv, de Pétain, après tous les petits cadeaux politiques au Rassemblement National, il lui sera en revanche lus difficile de poser comme un président de la République respectueux de l’Afrique : ce n’est pas une posture qu’il peut pleinement incarner, mais un engagement ponctuel est possible, s’il s’agit de venir dire merci pour ces cadeaux aux entreprises françaises.

Il y a des attentes qui ne sont pas toujours formulées, il faut écouter au-delà de ce qu’on entend, la pensée des gens. Je ne parle pas de leur colère, nous sommes d’aussi bonne humeur que partout ailleurs, mais les revendications qui s’articulent vont plomber la France au-delà de la capacité individuelle de certains États africains à lui nuire. Ce que je comprends de ce qui se dit ici et là se résume à la nécessité de réparer ou au moins de tenter d’enrayer la colonialité des rapports de pouvoir avec l’Afrique.

Pas dans les mots et le show comme cela s’est fait à Montpellier il y a un an, mais dans le respect de notre capacité d’autodétermination. Il existe un contentieux historique entre la France et le Cameroun, le président français peut relire par exemple à ce sujet l’excellent roman de Thomas Cantaloube (Frakas, 2021 ) ou l’essai de Jacob Tatsitsa (Kamerun 2019) : réparer signifie reconnaitre, restituer, reconnecter, réinventer.

Macron n’arrive au Cameroun qu’à son 2e mandat. Est-ce, selon vous, un signe que la Françafrique perd un peu de son allant?

Le déclin de la France est une hypothèse prévisible et documentée par ses propres écrivains, par les chiffres, et dans la réalité. Mais quoi qu’on en dise, il s’agit d’une grande civilisation, un pays puissant, avec des ressources stratégiques illimitées. Je ne voudrais pas que l’on monopolise l’attention sur la France, qui en bénéficié déjà suffisamment.

Nous ne serons pas, au Cameroun, un Mali bis ni non plus une Cote d’ivoire bis, le régime de Paris ne peut pas tchadifier Yaoundé. Nous avons, même dans nos marges étroites, une attitude assez fière comme peuple. Le président Macron vient au Cameroun avec ses vieux habits d’empereur, mais son homologue camerounais, qui a pu être présenté comme un homme politique fourbe, a passé l’âge impressionnable.

Au moment où est annoncé le président français, de nombreux intellectuels, parmi lesquels Calixte Beyala soupçonnent que son agenda soit marqué par des orientations sur la transition politique à laquelle se préparent les Camerounais. Ces inquiétudes vous habitent-elles aussi ?

Non. Vous savez l’une des raisons de l’impopularité des politiques françaises en Afrique tient à l’incompréhension chronique de leurs relais des changements sociaux qui se sont opérés ces dernières décennies. Au-delà des maladresses, trop nombreuses, réfléchissez à ce que ses séjours récents ou ses sorties au sujet de l’Afrique ont pu causer en termes de contribution à un discours hostile à la France.

Emmanuel Macron et les médias français ont même pu utiliser l’expression de « sentiment antifrançais » (ou ressentiment antifrancais) qui est une variante du prétendu racisme antiblanc. Ces concepts oppositionnels disqualifient les problèmes posés par Kemi Seba, Banda Kani, Nathalie Yamb, Alpha Blondy, Alain Foka et d’autres militants comme étant de simples théories du complot ou des éternels sanglots de l’homme noir.

La France a donc procédé à la quasi-criminalisation de toute critique radicale formulée par un Noir ; cette simili-criminalisation est à l’œuvre chaque fois que la France campe le rôle de l’incomprise ou de la victime, faisant de nous des bourreaux ou des abuseurs.

Habituons-nous à avoir vis-à-vis d’elle le même degré de sévérité que nous avons quand nous accusons nos compatriotes et nos élites. Et habituons la France à prendre des coups de l’Afrique comme elle en prend des Américains (Cf. l’accord sur les sous-marins entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie), des Allemands, des Turcs, sans que, lorsqu’il s’agit d’eux, ils agitent l’épouvantail d’une persécution et d’une haine orientée contre la France.

Monsieur Macron : Apprenez à comprendre et à accepter le rejet que vos politiques inspirent, sans vous défausser sur des activistes qui incarnent la respiration démocratique de ces nouvelles générations.

Le Messager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Dernières nouvelles

Suivez-nous !

Lire aussi