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Ouest : les populations ne se reconnaissent plus dans les prises de position des chefs traditionnels

Deux collectifs de chefs traditionnels de la région de l’Ouest ont écrit des déclarations dont le contenu s’oppose. Si le premier collectif voit que la situation socio-politique du Cameroun n’est pas du tout reluisante, le deuxième voit le contraire et fait allégeance au Chef de l’Etat.

Depuis les élections régionales du dimanche, 6 décembre 2020, le commandement traditionnel sera représenté dans chaque conseil régional par 20 chefs élus. Une proportion décidée par le législateur, pour donner la possibilité à ces derniers d’avoir un mot à dire sur les affaires locales. Si cela peut apporter des solutions dans certaines régions, il n’en sera certainement pas de même à l’Ouest, où les chefs, trop puissants ou calculateurs selon des témoignages dignes de foi, ne sont pas’au service des populations. André Marie Yimga, expert en questions de décentralisation et de gouvernance locale, note paradoxalement que ces derniers auraient dû être des vecteurs du développement, avec l’expérience des comités de développement. « Pourquoi superposer des structures occidentales sur des chefferies qui fonctionnent bien ? », interroge-t-il. En effet, des comités de développement villageois ont parfois fait des prouesses, là où l’administration et les communes ont échoué : construction des routes, des écoles, des infrastructures culturelles, bref « développement endogène ». Ils seraient des relais sûrs, s’ils n’avaient pas commencé à discuter les strapontins politiques avec leurs sujets.

L’indirect rule, institué par les colons anglais dans le Nigeria voisin, auquel étaient connectées nos deux régions anglophones, visait à valoriser cette mainmise des chefs sur les populations. Il s’agissait de gouverner le peuple grâce à l’utilisation de dirigeants et d’institutions politiques traditionnels. Les cultures et les traditions du peuple étaient respectées et conservées.

Il reste vrai que les élites éduquées nigérianes se sont opposées à la règle indirecte parce qu’ils estimaient que l’administration britannique utilisait à dessein les dirigeants traditionnels sans instruction qui ne pouvaient pas s’opposer à leurs décisions mais le système a été considéré comme la voie vers la liberté politique et la stabilité. Au Cameroun, les colons ont plutôt senti la nécessité de contrôler les autorités traditionnelles. Pendaison de Rudoph Duala Manga Bell, fusillade de Martin Paul samba, destitution et exil du Sultan Njoya, etc. André Marie Yimga explique : « L’administration a fait des chefs des « auxiliaires de l’administration” ; à ce titre, ils sont chargés « de transTnettre à la population les directives des autorités administratives et d’en assurer l’exécution ; de concourir, sous la direction des autorités administratives compétentes, au maintien de l’ordre et au développement économique, social et culturel de leurs unités de commandement ; de collecter les impôts et taxes de l’Etat et des autres collectivités publiques dans les conditions fixées par la réglementation ». Toutes choses qui ont historiquement fait de lui un collecteur d’impôts, un officier d’état civil spécial, assesseur de justice, sans initiative réelle sur le devenir de ses populations.

Le chef actuel serait passé « de la marginalisation au militantisme ». Avec des conséquences désastreuses. « Avec le retour du multipartisme, les chefs se sont jetés en grand nombre dans la bataille politique. Ils ont battu campagne pour des partis et certains ont eux-mêmes pris le départ des consultations électorales. Pour le parti au pouvoir qui a le plus misé sur eux, il s’est agi de tirer les dividendes politiques de leur statut et du crédit qui y est attaché. L’analyse était simple : si les chefs sont vénérés et respectés comme on le voit, qui, mieux que ceux-ci pourrait donner des consignes de vote et être obéi ? Pour les chefs eux-mêmes, l’engagement politique est apparu comme une stratégie pour reprendre l’influence qu’ils ont de moins en moins sur leurs sujets. Ce faisant, ils ont trahi à la fois le sacré de leur statut en tant que garant de la cohésion de la communauté et l’obligation de neutralité politique qui en découle. En descendant de leur trône pour se jeter dans l’arène, pour se battre avec leurs sujets dans des joutes passionnées, les chefs sont devenus des adversaires politiques et ont été combattus comme tels.

Les chefs candidats n’ont donc obtenu de consensus ni autour leur propre personne, ni autour de « leur » parti. L’aventure semblait bien ambiguë, les chefs ayant choisi le chemin le plus susceptible de les perdre. Résoudre les contradictions de l’autorité traditionnelle dans un environnement mouvant par l’engagement partisan, cela revenait à vouloir reconquérir le respect et l’estime par la stratégie qui expose le plus aux critiques et aux railleries. On prête aux souverains barniléké des vertus magiques, mais le miracle ne s’est pas produit sur le terrain politique. Partout où leurs majestés ont fait acte de candidature ou ont soutenu des candidats, ils ont eu en face d’eux comme adversaires des dignes fils du village, parfois des tcho’fo (notables) ou des ma’fo (reines mères) pour ne pas dire des princes ou leurs propres épouses. Dans la plupart des cas, les chefs ont perdu. Une façon pour leurs sujets de les renvoyer à la chefferie qu’ils n’auraient jamais dû quitter ».

Source: le Jour n°3316

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