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Agression d’un journaliste de la RTS : le Tribunal de police de Genève refuse d’acquitter les gardes du corps de Paul Biya

Six membres du service de sécurité du président camerounais contestaient leur condamnation pour avoir molesté un journaliste de la RTS. Leurs avocats ont plaidé une sorte de réaction nécessaire. Sans succès. Récit d’audience

Les gardes du corps du président Paul Biya ont brillé par leur absence ce vendredi au Palais de justice de Genève. Leur action musclée contre le journaliste de la RTS Adrien Krause, venu filmer une manifestation d’opposants le 26 juin 2019, était pourtant au cœur des débats. Une affaire qui avait fait grand bruit à l’époque et qui ressuscite à la faveur de ce procès.

«Ces six agents de sécurité se sont crus autorisés à se comporter ici comme des voyous», a déploré le procureur général Olivier Jornot. Une lecture contestée par la défense. Celle-ci a plaidé l’acquittement au nom de l’extrême tension, la confusion, la légitime défense et l’état de nécessité face au danger que pouvaient représenter ces images pour les prévenus. En vain. Le Tribunal de police les condamnera tous à l’issue d’une matinée d’audience.

Les sbires en question, arrêtés brièvement après les faits, condamnés dans la foulée par ordonnances pénales et dispensés de l’audience du jour à leur demande, ont fait opposition aux décisions du Ministère public. Ce dernier persiste.

«Un signal fort est nécessaire pour rappeler les limites de leur action à ceux qui se cachent derrière un prétendu statut diplomatique pour agir comme bon leur semble», relève Olivier Jornot lors de son réquisitoire. Le parquet réclame ainsi des peines de prison (3 et 4 mois avec sursis) contre les prévenus plutôt que des peines pécuniaires, afin de renforcer leur effet dissuasif. Rappelons que l’argument de l’immunité dont se prévalaient les intéressés avait déjà été écarté par le Tribunal fédéral.

«Un Etat dans l’Etat»

Aux yeux du parquet, «il s’est passé quelque chose de grave» sur l’esplanade de cet hôtel où séjourne régulièrement Paul Biya lorsqu’il vient sur les bords du Léman pour des soins médicaux. «Des représentants d’un Etat étranger se sont permis de faire la chasse à un journaliste qui ne représentait aucun danger, mais également à des opposants.» Tout cela, tempête encore Olivier Jornot, va bien au-delà de ce que le canton est habitué à connaître en matière de manifestation politiquement sensible.

Le Ministère public estime également que la délégation camerounaise, qui occupe tout l’étage de l’hôtel Intercontinental, se comporte comme «un Etat dans l’Etat». Un touriste américain aurait d’ailleurs fait les frais de cette attitude et une procédure séparée a été ouverte à ce sujet. L’enquête a donc été difficile à mener. Olivier Jornot précise que les gardes du corps se sont finalement livrés à la police et qu’ils ont proféré «un festival de mensonges invraisemblables» (personne n’a empoigné le journaliste, ses affaires ont été trouvées par terre, etc.) avant d’être confrontés aux images de vidéosurveillance. La brigade de sécurité diplomatique a également dû palabrer et insister pour récupérer le téléphone du plaignant.

«Grande violence»

Les images, analyse l’accusation, montrent une histoire bien plus crue. «La scène est d’une grande violence. Les agents ont attaqué physiquement le journaliste et celui-ci s’est retrouvé dépouillé», ajoute le procureur général. Me Jamil Soussi, conseil d’Adrien Krause, renchérit sur le thème de l’atteinte à la liberté de la presse: «Il a eu droit à une agression alors qu’il faisait son métier et qu’il avait crié être un journaliste. On s’en est pris à lui car il filmait et que ces images constituaient des preuves de leur manière de réprimer les manifestants.»

Me Soussi rappelle aussi ce qu’avait dit l’arrêt du Tribunal fédéral à propos de cette affaire, à savoir que cette action des gardes du corps ne répondait à aucun objectif sécuritaire, que la police était déjà là, que le président n’était même pas présent sur place au moment des faits et que le journaliste ne représentait aucune menace.

Pas si simple, tentera de faire valoir la défense. Me Loris Bertoliatti insiste sur la contestation très forte qui a suivi la réélection pour un énième mandat de Paul Biya et la volonté d’en découdre de ses opposants. «Cette diaspora guerrière en veut aussi au service de sécurité et ses membres sont exposés à des actes de vengeance», explique l’avocat pour justifier l’inquiétude et la volonté de détruire ces images.

Me Robert Assaël poursuit sur cette lancée en critiquant l’absence de tout dispositif sérieux du côté de la police genevoise. «Ils se sont retrouvés seuls à gérer une situation hypertendue. Dans un tel contexte, ils se sont montrés compétents et professionnels. Ils ne se sont pas sentis au-dessus des lois.»

Peines pécuniaires

Le Tribunal, présidé par Fabrice Roch, est d’un autre avis et retient les infractions de contrainte, appropriation illégitime et dommages à la propriété. Le juge estime que les gardes du corps ont bien usé de violence pour empêcher le plaignant de filmer et ont emporté le téléphone pour confisquer ces images. Un seul a brisé les lunettes.

La décision écarte tout fait justificatif pouvant excuser ces actes. Le journaliste ne représentait aucun danger imminent et la démarche consistant à filmer sur le domaine public relevait d’un comportement légitime. «Nul ne peut se faire justice soi-même, et seul l’Etat suisse peut user de contrainte sur son territoire», rappelle enfin le tribunal.

Le jugement est un poil plus clément au niveau de la sanction. Les gardes du corps sont condamnés à des peines pécuniaires au lieu de peines privatives de liberté. Le seul agent qui n’avait pas participé à l’empoignade écope de 30 jours-amendes avec sursis. Les cinq autres de peines de 90 et 100 jours-amendes avec sursis. Un appel est toujours possible.

Le Temps

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