Dans un entretien avec nos confrères de France 24 et Radio France Internationale vendredi dernier, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies fait le point sur l’évolution de la pandémie dans le monde.
Antonio Guterres appelle notamment à une mobilisation en faveur des pays du Sud, et de l’Afrigue en particulier, en vue de se prémunir des conséguences désastreuses gui pourraient être celles d’une propagation rapide de la pandémie de coronavirus vers le continent.
Monsieur le secrétaire général, l’OMS annonce qu’un triste cap a été franchi ce vendredi. Plus d’un demi-million de personnes sont confirmées ayant contracté le Coronavirus. On parle de 20 000 morts.
Les chiffres record tombent chaque jour ici en Europe ainsi qu’aux Etats-Unis. Vous avez évoqué la possibilité de millions de victimes de cette pandémie. N’étes-vous pas trop alarmiste ?
C’est évident que nous sommes encore dans une courbe qui est exponentielle. Si on ne fait pas un effort coordonné, partout dans le monde pour briser cette évolution, et ça veut dire une stratégie de suppression de la transmission partout, d’une façon coordonnée, organisée, le risque c’est la propagation, surtout dans les pays les moins munis de systèmes de santé, de la propagation sans limite de ce virus jusqu’à atteindre les 60 à 70% de la population qui engendre cette immunité collective dont on parle.
Ça veut dire des millions de personnes infectées et des millions de morts. C’est ce qu’il faut éviter à tout prix. Ça exige une concertation efficace entre tous les pays et surtout nous avons eu la réunion du G20 qui représente 80% de l’économie mondiale et 90% des infections, il faut que ces pays travaillent, non d’une façon isolée, non avec la stratégie que chacun définit, mais d’une façon absolument coordonnée, sous l’orientation de l’Organisation mondiale de la Santé, non seulement pour briser cette évolution, mais aussi pour trouver ensemble des traitements et les vaccins pour les mettre au service de toute l’humanité.
Pour l’instant, l’Afrique est moins touchée, est-ce que vous pensez que le continent peut échapper à ce virus, et sinon, quels sont concrètement les équipements médicaux dont les pays les plus démunis ont besoin ? Par quels moyens on peut les acheminer alors que les aéroports sont fermés, et quels sont à vos yeux en Afrique, les pays prioritaires pour cette aide ?
Premièrement, la maladie est entrain de se développer aussi rapidement en Afrique. Ça a naturellement commencé en Chine, puis la Corée, l’Iran, l’Europe et puis maintenant les Etats-Unis, mais ça va vers le Sud très rapidement.
A la différence que dans les pays africains, dans les pays du Sud, il y a très peu de capacités de réponses du point de vue médical, du point de vue économique. Alors, comme le président Macron l’a dit pendant le G20, il faut absolument faire de l’Afrique une priorité de la communauté internationale.
Ça veut dire un investissement massif et du point de vue de la capacité des équipements dont vous avez parlé, des équipements de tests, des équipements de respiration, des équipements pour que les médecins et les autres travailleurs de santé puissent être vêtus, des masques, etc. Il nous faut une mobilisation gigantesque, une priorité absolue parce qu’on est encore en mesure d’éviter le pire.
Mais sans cette mobilisation gigantesque, je crains qu’on ait en Afrique des millions et des millions de personnes infectées, et même si la population est plus jeune que dans le Nord, dans les pays développés, il y aura nécessairement des millions de morts.
Après dans une situation comme celle-là où le virus se transmet sans limite, les risques de mutations sont plus grands. Et s’il y a une mutation, tout l’investissement que l’on est en train de faire pour les vaccins sera perdu. Et la maladie reviendra du Sud vers le Nord.
C’est dans l’intérêt des pays du Nord de faire cet investissement massif en Afrique. Et ça implique du point de vue technique, du point de vue financier, un effort gigantesque. Et je suis absolument convaincu que les pays africains ouvriront leurs aéroports pour que ces équipements puissent rapidement être transmis.
Mais ça nous oblige à une logistique que le G20 pourrait coordonner. C’est une proposition française ou allemande, pour permettre ce mouvement massif d’équipements et de ressources financières.
Vous savez que le nerf de la lutte contre le virus, c’est l’argent. Vous avez lancé un plan humanitaire mondial en appel aux dons à hauteur de 2 milliards de dollars. Mais juste à titre d’exemple, le Premier ministre éthiopien réclame lui la somme de 150 milliards de dollars rien que pour l’Afrique.
Alors que les pays occidentaux sont occupés par les ravages de la pandémie chez eux. Est-ce qu’il ne faut pas un geste fort d’annulation de la dette de ces pays les plus pauvres ?
Nous parlons de deux choses différentes. Nous avons lancé un appel humanitaire pour les situations les plus vulnérables. Ce sont les camps de réfugiés, les camps de personnes déplacées, les pays où il y a encore un conflit.
Ça ne correspond pas aux besoins d’aide aux pays du Sud en général et à l’Afrique en particulier. Si on regarde le paquet approuvé par le Sénat américain, on parle d’à peu près 10% du PIB américain.
D’après les évaluations que nous faisons, il nous faut une mobilisation de ressources pour appuyer les gens, pour appuyer les personnes, les entreprises, parce que c’est une crise humaine, ce n’est pas une crise financière comme celle de 2008.
Notre estimation c’est que l’on a besoin de 10% du PIB. Au niveau des pays développés, mais aussi au niveau des pays en développement. Ça veut dire qu’il nous faudrait vers le grand Sud, une mobilisation de ressources qu’en anglais on désigne par « trois trillions ».
Je ne sais pas exactement comment traduire en français : trois mille milliards de dollars. C’est l’estimation que nous faisons. Le Fonds monétaire international a une capacité de prêter à peu près 1 000 milliards de dollars.
Je crois qu’on devrait faire une émission de droits de tirage spéciaux avec l’objectif d’appuyer les pays en développement. Dans les contacts que nous avons eus avec le Fonds monétaire international, on estime qu’on aurait des besoins d’à peu près 500 000 milliards de dollars.
En même temps, il nous faut avoir ce que l’on appelle en anglais « swap » entre les banques centrales pour permettre que les économies émergentes puissent avoir les liquidités nécessaires pour faire face à leurs besoins immédiats et en plus renforcer la capacité de la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales et d’autres mécanismes d’aide coordonnée.
Notre estimation est d’à peu près 10% du PIB global et 10% du PIB dans le monde en développement. Cette aide massive n’a rien à voir avec la demande qu’on a faite des fonds pour l’aide humanitaire spécifique dans les cas les plus vulnérables.
A tous les pays en guerre, vous avez lancé un appel solennel de cessez-le-feu. Mais regardez au Sahel, surtout en Libye où personne ne le respecte puisque les combats continuent, ils redoublent même de violence. On a l’impression que certains voudraient profiter du focus sur le
coronavirus. Est-ce que votre appel ne risque pas d’être un échec ?
Oui, il risque d’être un échec, mais nous sommes en train de tout faire pour l’éviter. Tous mes représentants spéciaux, tous les chefs des opérations de maintien de la paix sont activement engagés dans des négociations au Yémen, en Libye, en Syrie, dans d’autres endroits pour essayer de transformer cet appel, premièrement dans l’acceptation du cessez-le-feu.
Cette acceptation a été annoncée d’ailleurs par les deux côtés du Yémen, par quelques-uns des acteurs en Syrie, même en Lybie et maintenant récemment au Cameroun, aux Philippines. Je vois qu’il y a un mouvement.
Entre le principe de l’acceptation du cessez-le-feu et l’application concrète, il y a un travail énorme à faire. Et là, il faut que tout le monde puisse s’associer à cet appel et faire pression sur les acteurs de la guerre pour qu’ils comprennent que notre ennemi c’est le virus, ce ne sont pas les autres hommes et femmes des pays en conflit.
Source: Cameroon Tribune