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Comment le Cameroun bafoue les droits de l’homme à l’eau

À Yaoundé, accéder à de l’eau potable relève presque d’un parcours de combattant. La Camwater, la société publique en charge de la production et la distribution de l’eau potable au Cameroun, approvisionne quotidiennement les 4,5 millions d’habitants de la capitale du pays à hauteur de 80 000 mètres cubes d’eau alors que la demande, elle se situe à plus de 300 000 mètres selon les données officielles. Ce qui représente une couverture de moins de 30%. Comme alternative, les ménages les plus aisés construisent des forages tandis que les plus pauvres font des pieds et des mains pour accéder au précieux liquide.

Ce vendredi 14 octobre aux premières heures de la matinée, des habitants du quartier Nyom, dans le 1er arrondissement de Yaoundé, convergent, récipients en mains vers cette source d’approvisionnement en eau, la seule de la zone. L’eau y est gratuite mais sa qualité est douteuse du coup, elle ne sert qu’aux travaux ménagers. Pour disposer d’une eau comestible, la seule alternative reste l’achat de l’eau minéralisée.

« Nous sommes obligés d’acheter l’eau minérale avec tous les risques de maladies liés à la consommation des eaux des forages et de sources. Le problème est que ça coûte cher et que sur la durée ça devient intenable », renseigne Henriette Manga, habitante du quartier. Le prix de la bonbonne de 10 litres d’eau minérale oscille entre 1000 FCFA (1,53 dollars US) et 1300 FCFA (2 dollars) en fonction de la marque. Un coût assez élevé pour les ménages moyens et faibles qui restreint l’accès à cette denrée vitale.

Au-delà du prix, de la qualité…

L’actualité récente oblige à porter un regard critique sur la qualité des eaux minérales au Cameroun. Le jeudi 04 mars 2021, le ministre camerounais des Mines, de l’industrie et du Développement technologique(Minmidt) Gabriel Dodo Ndoké signait un arrêté mettant temporairement un terme aux activités de la société SANO S.A spécialisée dans la production et la commercialisation de l’eau minérale portant le même nom. La raison de cette suspension ? « Non-respect des normes d’exploitation et de conditionnement des bouteilles et des bonbonnes d’eau destinées à la consommation du public ».

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CONDITIONNEMENT DES EAUX DÉCRIÉ PAR LES AUTORITÉS

Sur les réseaux sociaux des vidéos devenues virales présentaient des agents de cette entreprise en train de manipuler, à mains nues, dans un espace insalubre de l’eau pompée dans des bonbonnes et placées sur le marché. L’autre reproche que le membre du gouvernement faisait à la société était celui de l’usage de la dénomination « Eau minérale naturelle » sur ses étiquettes, alors qu’il n’en était absolument rien.

D’après la « Norme camerounaise NC 05 : 2001-02 » éditée par l’Anor, l’ « Eau minérale naturelle » est caractérisée par sa teneur en certains sels minéraux, les proportions de ces sels et la présence d’oligo-éléments ou d’autres constituants ; elle provient directement de nappes souterraines par des émergences naturelles ou forcées, pour lesquelles toutes les précautions devraient être prises afin d’éviter toute pollution ou influence extérieure sur ses propriétés physiques et chimiques.

Elle est composée de substances ne pouvant pas excéder les chiffres suivant : « Antimoine : 0,005 mg/l ; Arsenic 0,05mg/l ; Barium : 1mg/l ; Borate : 5mg/l ; Cadmium : 0,003mg/l ; Chrome : 0,05mg/l ; Cuivre : 1mg/l ; Cyanure : 0,07mg/l ; Plomb : 0,01mg/l, Manganèse : 2mg/l ; Mercure : 0,001mg/l ; Nickel : 0 ;02mg/l ; Nitrate : 50mg/l ; Nitrite : 0,02mg/l ; Sélénium : 0,05mg/l ».

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Les analyses physico-chimiques indiquent que l’eau Sano est « une eau de minéralisation faible, douce et claire, caractères organoleptiques normaux » et donc ne devrait pas être classée dans la catégorie « eau minérale naturelle ». Alors qu’elle a été autorisée de nouveau à commercialiser ses produits au Cameroun, l’entreprise Sano n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. De même, notre demande de visite des sites de conditionnement d’eau n’a pas trouvé de réponse malgré nos multiples relances.

Le ver est dans le fruit

Si les rapports d’analyses bactériologique et physico-chimique des eaux Sano ne présentent aucun risque pour la santé des consommateurs, il n’en demeure pas moins qu’il y’a tromperie sur la marchandise. Une pratique devenue courante dans ce secteur car plusieurs, sinon la quasi-totalité des marques portent l’inscription « Eau minérale naturelle » sur leur étiquette produite pourtant, à l’épreuve des faits, elles ne remplissent pas toutes les exigences normatives et de qualité qui permettent de les classifier dans cette catégorie.

« Toutes les eaux qui circulent ne sont pas des eaux minérales naturelles. Nous connaissons des entreprises qui prennent l’eau de Camwater, y introduisent des composants dits « minéraux » et l’embouteillent et revendent à un prix que nous jugeons assez élevé », indique Francis Eyala, le président du Réseau national des consommateurs (Rnc), une association de défense des intérêts des consommateurs. Une tromperie sur la marchandise qui se fait sous les yeux des autorités avec des conséquences dommageables pour les consommateurs.

« C’est une tromperie qui existe depuis longtemps et qui est connue de tous sauf des consommateurs. Le consommateur doit être au courant de ce qu’il consomme et ça éviterait à coup sûr des dommages sur sa santé », renseigne notre interlocuteur.

Interrogée sur les raisons de ce laisser-aller, l’agence des normes et de la qualité(Anor) n’a pas souhaité s’exprimer. Un silence révélateur de la passivité qui prévaut dans le contrôle des eaux dites minérales au Cameroun au grand dam du consommateur qui, in fine, est la seule victime car minéraliser de l’eau de source pour la revendre revient aussi à restreindre son accès.

« Parler de minéralisation revient à parler de commercialisation de l’eau. Ceci implique la recherche de profit…toute recherche de profit dans la gestion ou distribution des services de base comme l’eau constitue un frein à son accès pour tous. Par exemple, la maman qui se trouve dans une zone rurale ne peut pas se permettre de s’acheter une bouteille d’eau à 200 ou 500 francs CFA. Elle se retrouve exclue de l’accès à une eau de qualité et se retourne vers des sources d’eau non fiables avec les risques sanitaires que cela comporte », explique Younoussa Abbosouka du Centre africain de plaidoyer (ACA), une ONG basée à Yaoundé.

L’accès à l’eau Potable : un droit bafoué

Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 64/292, qui déclare que l’eau propre et salubre est un « droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ».

La résolution appelle les États et organisations internationales à « fournir des ressources financières, renforcer les capacités et transférer des technologies par le biais de l’assistance et de la coopération internationales, en particulier pour les pays en développement ».

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Manifestion : L’afrique dit non à la privatisation de l’eau

Au Cameroun, ce droit demeure bafoué ; conséquence, malgré les ressources d’eau du pays, seuls 57% de la population a accès à l’eau potable. Pour certains habitants, l’eau des rivières et marigots constitue la seule source d’eau accessible. Ce qui ouvre la voie à une pléthore de maladies hydriques.

Selon le Ministère de la Santé Publique du Cameroun (Minsanté) et l’OMS, en 2019 le taux de mortalité attribuable à l’insalubrité de l’eau, aux déficiences du système d’assainissement et au manque d’hygiène est estimé à 45,2 décès pour 100 000 habitants. Pour la société civile, faire de l’accès à l’eau un droit reconnu constitutionnellement aiderait à prévenir ce déficit. Mais pour y parvenir, une synergie d’actions doit être entreprise.

« Il faut que les organisations de la société civile soient intégrées au sein du Comité national de l’Eau. Dans ce comité, ces derniers pourront faire des propositions relatives à la constitutionnalisation du droit à l’eau. Le comité national de l’eau est chargé, entre autres, d’émettre des avis sur les questions ou problèmes relatifs à l’eau dont il est saisi par le Gouvernement ; de faire toute proposition ou recommandation concourant à la gestion rationnelle de l’eau. Il faut également mettre en place une coalition des Oscs ; syndicalistes ; chercheurs ; et les média pour mettre la question du droit à l’eau au premier plan dans les discussions/fora et lobbying, afin de faire pression sur les pouvoir publics », explique Younoussa Abbosouka.

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CamWater

Le spectre de la reprivatisation continue de planer

Le 30 avril 2018, la Cameroon Water Utilities reprenait officiellement les activités de distribution de l’eau potable dans les centres urbains et périurbains du pays, activité anciennement dévolue à la Camerounaise des eaux (CDE), société contrôlée par un consortium marocain conduit par l’Onep. Une actualité qui avait ravi la société civile, qui milite en faveur d’un libre accès à cette denrée pour les populations. Plus de 4 ans après, le pas est loin d’être franchi, et même que le spectre d’une nouvelle reprivatisation n’est pas à élaguer.

« Les prémisses d’une nouvelle privatisation du secteur sont visibles : Au cours de la récente réunion annuelle des institutions de Bretton woods à Washington DC, la Banque mondiale et le FMI, qui sont les principaux facilitateurs de la privatisation dans le monde ont promis à la délégation camerounaise une plus grande implication dans les secteurs tels que la santé, l’eau, l’énergie et l’éducation. N’oublions pas que ce sont ces mêmes institutions qui ont poussé l’Etat camerounais à privatiser le secteur de l’eau en 2008 », souligne Younoussa Abbossouka.

Dans cette même lancée, le gouvernement gabonais a initié le 1er septembre 2022, deux projets de loi sur la libéralisation des secteurs de la production, du transport et de la commercialisation de l’eau et de l’électricité. Ce qui suppose que la privatisation de ce secteur n’est plus loin. Au Cameroun, les OSC veulent faire entendre leur voix pour dissiper ce spectre.

« Notre plateforme des organisations de la société civile travaille pour barrer la route à toute idée de  privatisation de la Camwater. De toutes les façons, nous avons envoyé au gouvernement, nos propositions de restructuration de la Camwater afin de lui donner les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs que le gouvernement lui avait assignés à savoir : la fourniture régulière de l’eau potable aux populations Camerounaises en qualité et en quantité », renseigne Chief Godson Ewoukem Atabong, le président du Syndicat national autonome des travailleurs de l’Énergie, de l’Eau et des Mines du Cameroun (Synateec).

Eco Matin

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