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La galère des plateformes numériques étrangères au Cameroun

Depuis le 6 février 2023, les activités de Yango, plateforme appartenant à la société russe Yandex, et spécialisée dans la commande de taxis en ligne, sont officiellement suspendues au Cameroun.

Selon la note publiée à cet effet par le ministre des Transports, Jean Ernest Ngalle Bibehe Massena, cette suspension est en vigueur jusqu’à la mise aux normes de Yango, « conformément aux dispositions de la loi du 23 juillet 2001 régissant les professions de transporteur routier et d’auxiliaires du transports routiers », dont un nouveau décret d’application, signé le 10 octobre 2022, réaménage les conditions d’accès aux professions de transporteurs routiers et auxiliaires du transport routier.   

Ce texte du Premier ministre, Joseph Dion Ngute, créé en effet une « licence spéciale S10 pour le service de transport par taxi de personnes opéré via les plateformes numériques », et « l’autorisation d’exercice du service de transport par taxi de personnes opéré via les plateformes numériques ».

Cette paperasse délivrée par les services centraux du ministère des Transports, pour des frais de 215 000 FCfa au total, a cependant la particularité de mettre cette catégorie d’opérateurs du transport urbain dans la ligne de mire de l’administration fiscale, à laquelle la digitalisation de certains services fait perdre d’importantes recettes, selon les officiels.

Plateformes numériques, une niche fiscale en exploration

A travers le réajustement des conditions d’accès aux professions de transporteurs routiers et auxiliaires du transport routier, tel que contenu dans le décret du 10 octobre 2022, de nombreux observateurs voient une manière pour les pouvoirs publics de pouvoir taxer l’activité de certains opérateurs, parmi lesquels des fournisseurs de services de transport via les plateformes numériques comme Yango. En effet, en s’octroyant une licence spéciale S10 comme l’exige la reglementation camerounaise, Yango se constitue en entreprise à part entière au Cameroun, et cesse donc d’être un simple « service numérique », qui ne possède ni ne loue un seul taxi, comme tendaient à justifier ses responsables pour ne pas être logé à la même enseigne que les entreprises de transport traditionnelles.

En tout cas, le nouveau statut que s’apprête à prendre la plateforme du russe Yandex au Cameroun introduira de fait Yango dans le portefeuille de la direction générale des Impôts, qui pourra ainsi engranger d’importantes recettes sur l’activité de cet opérateur. En côte d’Ivoire, par exemple, où ils ont été accusés d’activité illégale comme au Cameroun, Yango et son concurrent Uber ont fait perdre environ 10 milliards de FCfa de recettes fiscales au trésor public en 2021, selon les calculs des pouvoirs publics ivoiriens. En effet, comme le font remarquer les autorités camerounaises, « la dématérialisation de plus en plus croissante des transactions économiques conduit à des pertes de recettes fiscales difficiles à chiffrer ». Tout comme la non-imposition des services offerts via des plateformes numériques installe de fait une concurrence illégale avec les opérateurs traditionnels.

C’est pour réparer cette sorte d’injustice, mais davantage pour tirer avantage de la niche que constitue la dématérialisation des transactions économiques, que le gouvernement entend en faire un levier d’optimisation fiscale. C’est le sens que l’on peut donner à l’innovation contenue dans la loi de finances 2023, qui instaure explicitement l’obligation de dédouanement des marchandises acquises par voie électronique, au moment où l’activité d’e-commerce est florissante dans le pays. Cette même disposition fait d’ailleurs obligation aux opérateurs du e-commerce d’effectuer les obligations douanières pour le compte de leurs clients, après un protocole d’accord dûment signé avec l’administration douanière

Chez Yango, l’heure est à la contestation de la décision du gouvernement, et même au maintien de l’activité. « Nous attirons l’attention sur le fait que Yango est une plateforme numérique internationale fonctionnant via une application mobile et, donc, n’est pas un opérateur de transport. (…) Nous avons été surpris par la décision du Ministère des Transports qui, selon nous, est le résultat d’un malentendu sur le modèle économique de Yango », a réagi Yango dans une annonce publicitaire publiée à partir du 13 février 2023 dans la presse camerounaise, et dans laquelle l’opérateur souligne « qu’actuellement les activités ne sont pas suspendues au Cameroun ».

Par ailleurs, lit-on dans l’annonce sus-visée, « Yango s’aligne sur la vision du Gouvernement du Cameroun incarnée par le Chef de l’Etat Paul BIYA dans son discours du 31 décembre 2015 : « Il nous faut rattraper au plus vite notre retard dans le développement de l’économie numérique ».

Portés par les propos encourageants du Président de la République, nous avons pris la décision d’investir au Cameroun et de lancer la plateforme numérique internationale Yango en novembre 2021. Notre investissement a permis aux entreprises de transport locales d’atteindre une croissance moyenne du chiffre d’affaires de 35% en assurant une meilleure sécurité et un meilleur confort aux passagers »

Environnement des affaires  

Au regard de cette divergence de points de vue avec le gouvernement, et en l’absence de consensus au terme des discussions en cours entre les parties, l’activité de Yango pourrait bien faire long feu au Cameroun. Comme celle de son concurrent français Heetch, il y a quelques années. En effet, arrivée sur le marché camerounais en septembre 2019, avec son offre en ligne de transport VIP par véhicules et motos-taxis dans la ville de Douala, la start-up française Heetch a dû arrêter ses activités dans le pays six mois plus tard.

« Heetch, entreprise française, a démarré ses opérations au Cameroun en septembre dernier. Directement impactée par la crise du Coronavirus sur le sol français, Heetch a décidé de suspendre ses opérations au Cameroun, le dernier pays lancé, afin de recentrer ses activités sur ses autres pays. C’est pourquoi nous devons, à compter de ce jour, suspendre l’application dans la ville de Douala. L’équipe Heetch tient à remercier l’ensemble des passagers. Nous regrettons profondément de ne pas pouvoir continuer nos investissements au Cameroun », explique l’entreprise dans un communiqué publié en mars 2020, mettant ainsi un terme à sa collaboration avec un réseau de 250 motos-taxis recrutés dans la ville de Douala.

Cependant, si Heetch explique officiellement son départ du Cameroun par l’impact du coronavirus sur ses activités en…France, certaines voix, pas des moins audibles, lient plutôt ce départ à un environnement des affaires peu reluisant.

En tout cas, pour le grand malheur des clients, qui appréciaient déjà le confort et la sécurité que procurait son service, Heetch a rejoint la liste des plateformes numériques étrangères qui ont fini par tourner le dos au marché camerounais, après s’y être essayées. Un peu comme Cdiscount et Jumia, deux opérateurs du e-commerce qui ont connu la même mésaventure au Cameroun.

En effet, moins de 2 ans après le lancement de ses activités en décembre 2014, Cdiscount, l’e-commerçant appartenant au Français Casino, a dû partir du Cameroun au milieu de l’année 2016. A l’origine de cette décision, avait-on appris, les longs délais de passage des marchandises au port de Douala et la concurrence des sites locaux proposant des produits contrefaits à des prix très bas. Trois ans après le départ de Cdiscount, c’était au tour de Jumia, leader du e-commerce en Afrique, de quitter le Cameroun en 2019. Motif : l’immaturité du marché camerounais dans le e-commerce.

Maxime Eloundou, Eco Matin

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