fbpx

Cameroun Actuel

Grève « Ots » : l’arbre qui cache une forêt de frustrations multiformes

La grève des enseignants en cours depuis bientôt trois semaines, traduit le profond malaise qui gangrène tous les corps de métier au Cameroun. Les mouvements de solidarité constatés autour de ce débrayage disent l’ampleur des déceptions : une société dos au mur.

Avec la résistance du débrayage des enseignants du secondaire dans le mouvement « On a trop souffert (Ots) », le pays de Paul Biya est visiblement entré dans la tourmente. C’est un euphémisme, avouons-le, de dépeindre les choses de la sorte. Oui, la tourmente est là avec la grève des enseignants qui va en se renforçant chaque jour un peu plus, des errements du gouvernement ou du pouvoir tout court.

C’est clair, les autorités empêtrées dans la politique de contournement, de manœuvres, de subterfuges, de déni d’adresser efficacement et sur le long terme la question posée sur sa table par les enseignants grévistes, sont sous l’emprise des vieux démons. La politique du bricolage, de saupoudrage, de colmatage à moindre frais et à la petite semaine, semble avoir vécu. Le temps où le pouvoir poussait la poussière sous le tapis et tous chantaient le refrain de l’unité et de la paix semble bien révolu.

Si nous étions encore dans le logiciel du passé, les grévistes seraient pour l’heure divisés, incapables de s’entendre sur le minimum. La fermeté et la détermination des enseignants dans leur refus d’enseigner tant qu’ils n’ont pas obtenu gain de cause est contrairement aux usages du passé, respectées sur toute l’étendue du territoire national.

Nos dirigeants comprennent-ils que si nous en sommes-là, dos au mur, c’est précisément cette politique de tromperie, de duperie qui a conduit inexorablement les enseignants dans cette posture ? Et par ricochet, il faut se l’avouer, notre société est arrivée à cette destination à cause d’une stratégie politique de procrastination tous azimuts, d’une remise à demain de ce que le devoir et la responsabilité imposaient de l’exécution au temps indiqué. « Qui remet à demain trouve malheur en chemin », dit opportunément l’adage.

A défaut d’être dos au mur, nous sommes comme au bord d’un précipice qui impose de rebrousser chemin, mais combien difficile pour l’appareillage gouvernemental habitué aux multiples passages en force au lieu d’agir en toute équité. Il se dessine, cela se voit, une sorte de résistance sociale depuis le déclenchement de la grève Ots. Dans un tel contexte, ceci n’est qu’un pan soulevé de la boîte de pandore avec quelques esprits nerveux échappés qui mettent toute une Nation en situation. Qu’en sera-t-il si les autres corps de métier aussi frustrés comme on le sait, viennent à faire la lumière sur le chaos de leurs frustrations ?

La gangrène de la corruption

La grève des enseignants à n’en pas douter, soulève par ailleurs la douloureuse question de la corruption qui gangrène l’administration camerounaise. Des enseignants plus qu’excédés ont confié sur les plateaux de télévision qu’ils sont victimes des technostructures logées aux ministères des Enseignements secondaires, des Finances ou de la Fonction publique et de la réforme publique. Ils ont été très explicites en indiquant être victimes jusqu’à l’extorsion de leurs frais de correction des examens et concours. Dans un pays où la volonté est déclarée de lutter contre la corruption, que fera-t-on de ces arnaqueurs à col blanc des enseignants?

Quid des gros tuyaux à pompe de frics pour intégrer, avancer, payer les arriérés de salaires ou pour nommer aux postes administratifs tels que la surveillance générale, le censorat ou le provisorat. A défaut de satisfaire dans les brefs délais les différentes réclamations des enseignants grévistes, le gouvernement pourrait s’attaquer sans état d’âme à ce grand mal. Or les enseignants sont très clairs et précis : « On a trop supporté ». On va par ailleurs rappeler qu’à chaque rentrée, les parents d’élèves sont traumatisés par la pieuvre des associations des parents d’élèves et des enseignants. Où vont finalement ces fonds faramineux récoltés dans les établissements scolaires ?

Bien plus encore, les parents d’élèves paient des frais additionnels dans les classes d’examens, croit-on savoir pour participer à l’organisation fluide de ces examens nationaux en fin d’année. Cet argent prélevé par le ministère des Enseignements secondaires, qu’en fait-on pour que les correcteurs et autres évaluateurs de ces examens ne soient pas payés ? A quel segment de la chaîne n’y a- t-il pas des distorsions? Pour calmer les cœurs dans un premier temps, n’est-il pas indiqué que les différents ministères fassent la lumière sur ces interrogations ?

Le gouvernement doit changer de fusil d’épaule

Assurément, si les choses continuent en l’état, la société sera à la porte de l’implosion sous peu de temps. Comme on le voit, dos au mur, les enseignants n’ont plus d’autres issus, d’autres options, que de se retourner pour faire face à leurs bourreaux dans ce qui s’apparente à un combat vital pour la préservation de l’essence même de la profession. Retournés, butés au mur, les enseignants qui hier étaient la proie d’un système de prédation vorace et sans cœur, ont renversé en quelques jours le sens du rapport de force au point où le système gouvernant use lâchement des méthodes répréhensibles d’un autre siècle.

Comment comprendre que les motos taximen menacent de s’attaquer aux enseignants s’ils manifestent leurs mécontentements dans la rue ? Les autorités qui instrumentalisent aujourd’hui ces Camerounais précarisés sont-elles conscientes qu’elles entretiennent là un environnement propice à une subduction qui va générer plus tard des grands tsunamis ? A beau nourrir une vipère dans une cage pour impressionner, elle finit toujours par mordre le doigt de son propriétaire.

Les motos taximen, alliés des autorités contre les enseignants dans les rues de Douala, qui l’eût cru ? Dans une société où les frustrations se multiplient, il y a lieu de reconnaître que le régime se doit d’être précautionneux dans la dynamique de règlement des différends sociaux qui se profilent. La grève des enseignants du secondaire donne les allures d’un trou d’air dans laquelle d’autres corps de métier s’engouffrent allègrement.

Les enseignants du primaire, les enseignants de l’enseignement technique, les élèves du secondaire solidaires de leurs enseignants, sont par exemple déjà amorcés pour ne pas dire plus. Et face à cette situation, on doit s’interroger si la crise anglophone, du moins dans sa déclinaison conflictuelle, a vraiment fini de livrer à nos autorités ses secrets. N’a-t-on pas tiré les enseignements sur des rivages complexes où peuvent déboucher des revendications corporatistes qui trainent ? Personne n’oublie comment cette crise s’est muée en affrontement ouvert. Qu’est-ce que le Cheval de Troie peut faire des surprises !

Le Messager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Dernières nouvelles

Suivez-nous !

Lire aussi