Dans le septentrion camerounais, où les traditions sont aussi puissantes que les silences qu’elles imposent, une femme a osé chanter ce que beaucoup taisent : le désir féminin. Amina Poulloh, surnommée par certains « la Lady Ponce du Nord », est bien plus qu’une chanteuse populaire.
Elle est devenue, en quelques années, l’incarnation d’une révolution douce mais profonde : celle de la parole des femmes, celle du plaisir au féminin dans un contexte où il reste largement tabou.
Une révolution musicale au cœur du conservatisme
Originaire d’une société peule connue pour sa retenue et son conservatisme, Amina Poulloh a su briser les codes avec audace, sans provocation gratuite. Dans ses chansons, elle ne prône ni la vulgarité ni la transgression gratuite : elle parle d’amour, de désir, de complicité dans le couple.
Avec son titre phare « Memana », qui se traduit sans détour par « Touche-moi ça », elle a ouvert un espace de parole inédit. Dans un monde où le plaisir est souvent pensé et chanté au masculin, Amina inverse les rôles : c’est elle qui exprime son envie, qui s’adresse à l’homme, qui affirme son droit au plaisir.
De l’enfance au choix de la liberté
Rien ne prédestinait pourtant Amina Poulloh à devenir cette voix singulière. Née dans un foyer polygame, élevée sans sa mère sous l’autorité d’un père rigide, elle connaît très tôt le poids des interdits.
À 12 ans, elle s’enfuit du domicile familial pour trouver refuge chez ses grands-parents à Bourha, près de la frontière nigériane. Ce geste de survie devient un premier acte de résistance. Plus tard, elle posera un autre choix audacieux : épouser un homme Kirdi, brisant ainsi l’un des tabous les plus tenaces de sa communauté.
La musique comme arme douce
C’est à 30 ans, une fois mariée et mère de famille, qu’elle se lance dans la musique professionnelle. Un défi en soi, dans une société où les femmes artistes sont encore souvent perçues avec suspicion.
Mais Amina ne s’arrête pas là : elle chante le corps, le désir, l’amour conjugal – des thèmes encore rares, voire interdits, dans le répertoire féminin du Nord.
Son succès est fulgurant. Les femmes s’y reconnaissent, les hommes écoutent, parfois troublés, parfois séduits. Amina ouvre un dialogue intime dans une société qui, jusqu’alors, l’avait relégué au silence.
Une figure populaire et symbolique
Aujourd’hui, Amina Poulloh est bien plus qu’une chanteuse. Elle est une figure d’émancipation, une artiste qui a su, sans slogans ni affrontements, faire bouger les lignes.
À travers la musique, elle a permis à des milliers de femmes d’envisager une autre relation au corps, au couple, à elles-mêmes. Sa parole porte loin, et le public le lui rend bien : rares sont les artistes aussi aimées dans cette région du Cameroun.
Un tel parcours, à la fois intime et universel, mérite d’être raconté autrement que par la chanson. C’est pourquoi l’idée de la voir incarner le rôle de la première femme de Aladji (joué par Babba Sadou) dans un film comme Walaande, L’Art de Partager un Mari – adapté du roman de Djaïli Amadou Amal, prend tout son sens. À l’écran comme sur scène, Amina Poulloh continue d’écrire sa propre révolution – une révolution portée par la voix, le courage, et l’amour de la liberté.
Amina Poulloh qui a aussi composé le titre du générique de fin du film arrangé par Gino Sitson, PhD à New-York (qui signe la bande son du film) sera présente ce samedi 26 avril 17h à Ubuntu Creative Hub (Melen Eneo 7 collines) pour la sortie du film WALAANDE L’Art de Partagé un mari.
Jean-Pierre Bekolo