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Cameroun Actuel

Voici pourquoi le DSCE a échoué

La Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 présentée le 16 novembre 2020 à Yaoundé s’appuie sur les leçons de la mise en œuvre du Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) dont elle prend le relais jusqu’en 2030, dans la perspective de l’accomplissement des objectifs de la Vision 2035.

Mais avant cette nouvelle étape il n’est pas superflu de s’interroger sur les raisons de l’échec unanimement reconnu du DSCE dont la durée de vie était de 10 ans (2010-2020). Autopsie d’une décennie dans le brouillard.

L’aveu d’un échec

En ouvrant, le 23 janvier 2019 à Yaoundé, les travaux d’élaboration d’un nouveau cadre de référence pour le développement du Cameroun, Paul Tasong, le ministre délégué en charge de l’Economie avait dressé une évaluation pour le moins mitigée du DSCE : « Le tout premier indicateur portait sur une croissance économique soutenue pendant les 10 ans. Le souhait était d’atteindre une croissance moyenne de 5,5% sur la période de planification. A ce jour, nous n’avons pas atteint de manière totalement satisfaisante ce taux de croissance. Le taux de croissance moyen de nos jours est de 4,5% », avait confessé le membre du gouvernement.

Toujours, selon M. Tasong, le Cameroun a fait reculer la pauvreté de 3% là où l’on attendait 10%. La structure globale de la répartition du PIB par secteur n’a pas évolué de manière favorable. En effet, la part du secteur primaire, qui était de 26,8% et qui devait passer à 33,2% s’est établie à moins de 20%. Dans le même temps, le secteur secondaire qui représentait 33% en 2010 a également connu une importante baisse pour se situer à 28,2% en 2018. Cette morosité économique a fortement impacté le volet social où D’autres indicateurs statistiques corroborent ces chiffres pour le moins décevants.

Le social en berne

En matière d’assainissement, on assiste à une baisse de la proportion de population ayant accès à des installations sanitaires améliorées soit 44,7% en 2001 contre 40,4% en 2014. Selon le milieu de résidence, elle est de 58% en milieu urbain et 29% en milieu rural. Le taux de sous-emploi s’est plutôt aggravé passant de 75,8% en 2005 à 77% en 2014. De plus, la part des emplois créés par le secteur privé formel est en baisse, elle est passée de 4,8% en 2005 à 3,8% en 2010. S’agissant de la pauvreté, on note une légère baisse du taux de pauvreté qui a reculé de 2,4 points en se situant à 37,5% en 2014 contre 39,9% en 2007. Toutefois, cette performance est en deçà des attentes du DSCE qui prévoyait un taux de pauvreté de 28,7% en 2020. Selon le milieu de résidence, le taux de pauvreté a connu une baisse significative en milieu urbain passant de 12,2% en 2007 à 8,9% en 2014, alors qu’il a progressé en milieu rural, passant de 55,7% à 56,8% sur la période. De plus, neuf (9) pauvres sur dix (10) résident en milieu rural.

Pour expliquer ces contre-performances le gouvernement évoque un choc exogène avec, notamment, la chute du cours du pétrole. Mais aussi le choc sécuritaire à cause des crises dans le Nord-ouest, le Sud-ouest, à l’Est et dans l’Extrême-Nord. Suffisant pour convaincre ? Pas si sûr car le DSCE en lui-même a charrié de nombreuses incongruités qu’il est aujourd’hui difficile de masquer.

Qui trop embrasse…

Vous connaissez la maxime : « qui trop embrasse souvent mal étreint ». En voulant tout faire de manière concomitante, le DSCE a longtemps cafouillé pour au final produire peu de résultats palpables. Selon les données publiées dans une note sur l’économie camerounaise au mois d’août 2019, le Fonds monétaire international (FMI) révélait que 11 «grands» projets de première génération, annoncés, dans le Document stratégique pour la croissance et l’emploi (DSCE) 2010-2020, avait déjà coûté au pays plus de 1500 milliards de FCFA. Les onze grands projets mentionnés sont : le barrage de retenue de Lom Pangar, la centrale hydroélectrique de Memve’élé, le complexe portuaire de Kribi, le deuxième pont sur le Wouri, l’autoroute Yaoundé-Douala, l’usine de production de gaz de Kribi, la construction d’une usine d’engrais chimique, l’extension du réseau de fibre optique, la construction de nouvelles fonderies d’aluminium, le développement de complexes agricoles, et la construction d’une ligne de chemin de fer de 1000 kilomètres.

Les 11 travaux d’Hercule entamés par le gouvernement pour changer la face du Cameroun n’ont jamais fait l’unanimité. Pour le FMI par exemple, le pays s’endette trop lourdement et risque de s’embourber dans un plan inextricable parce que trop ambitieux. « Trop de projets ont été entrepris tous en même temps… en conséquence,. il existe un arriéré considérable d’engagements non décaissés, à hauteur de 20% du Pib », constatait le Fmi. Le Fonds proposait alors de donner la priorité à des projets dans les transports et l’énergie qui peuvent accélérer la croissance. « Ces projets doivent être achevés sans plus de retard. Cependant les projets moins stratégiques devraient être retardés ou réexaminés », insistait l’institution. Mais l’institution n’a visiblement pas été suivie.

Cinq sur onze ?

En effet, à juin 2019, sur les 11 grands projets annoncés, 5 étaient achevés ou sur le point de l’être et 4 n’avaient même pas commencé. Les projets considérés comme achevés ou sur le point de l’être sont essentiellement liés à l’énergie (Memve’élé, Lom Pangar et Kribi), et au commerce et à l’urbanisation (phase 1 du complexe portuaire de Kribi et deuxième pont sur le Wouri). La phase 1 de l’autoroute Yaoundé-Douala (60 premiers kilomètres) et l’extension du réseau de fibre optique sont toujours en cours. On pourrait donc a priori pointer un 5 sur 11 concernant ces projets structurants. La note n’est déjà pas flatteuse mais elle risque encore de se dégrader quand on y regarde de plus prêt car nombre de ces projets dits « achevés » ne le sont que partiellement. La faute à une vision programmatique alambiquée

Energie la charrue avant les bœufs…

Commençons par volet énergétique. Lancé il y a sept ans, le barrage hydroélectrique de Memve’ele, d’un coût de près de 450 milliards FCFA, est cité par la Banque mondiale, comme étant l’un de ces projets camerounais, dont les coûts sont deux à six fois supérieurs à ceux de projets similaires, réalisés dans les pays ayant le même niveau de développement. « Il faut s’interroger sur le prix de revient de l’énergie’ainsi produite. En dépensant autant d’argent et en mettant tant de temps on en arrive à un coût de l’électricité très prohibitif cè qui annule les efforts fournis », s’alarme l’économiste Bernard Ouandji.

Il y a pire encore. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le barrage de Memve’ele, a été conçu et construit avant même que se soient envisagés les moyens de transport de l’énergie qu’il devrait produire. La construction de l’ouvrage, sur des fonds sino-camerou-nais, est achevée depuis juin 2017 mais l’énergie attendue (211 MW) de l’usine de production n’est pas encore disponible au poste de Nkolkoumou à Yaoundé, pour être entièrement injectée dans le Réseau interconnecté Sud (RIS). Le barrage injecte actuellement environ 90 mégawatts via le poste 90/30 kilovolts de Mbalmayo et la finalisation des ouvrages d’évacuation d’énergie a été confiée à l’entreprise publique Electricity Development Corporation (EDC), qui fixe “aux environs de juin 2021” le délai de l’opérationnalisation complète du barrage.

Kribi : Un port au rabais

L’autre incongruité du DSCE vient de la plate-forme portuaire de Kribi. Présentée à plusieurs reprises comme une réussite patente du DSCE, le Port en Eau Profonde de Kribi n’est dans les faits qu’un miroir aux alouettes. « Les installations portuaires et urbaines inachevées, le transport maritime qui est la fonction amont d’un Port se gagne sur le terrestre. Or à Kribi, il n’existe pas encore une logistique arrière pour tirer le flux de marchandises qui devra être réceptionné au Pak. Le Port de kribi qui n’est qu’un port de transit (ne dispose pas de zone de stockage dans le domaine portuaire), il ne peut accueillir que 4 à 10 mille conteneurs », nous confiait un expert au démarrage des activités du Port Autonome de Kribi en mars 2018. Suspendus depuis le 26 novembre 2018 par l’entreprise China Harbour Engineering Company LTD (CHEC) pour non-paiement, les travaux de construction de l’autoroute Kribi-Lolabé, n’ont repris qu’en début de l’année en cours. Dans l’intervalle, le Pak fonctionne au rabais et l’évacuation d’une partie de conteneurs vers le Port de Douala n’y change pas grand-chose.

« Sans boussole, sans évaluation… »

Au final, excepté le barrage de Lom Pangar et dans une moindre mesure le 2E pont sur le Wouri (lui-même remis en question) c’est quasiment l’ensemble des projets structurants du DSCE qui piétinent. « Il a manqué un système d’évaluation, on ne savait pas trop qui était en charge de quoi », stigmatisait encore le Pr Tsafack Nanfosso au lancement de la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030. « Il y a eu un problème méthodologique, renchérit l’économiste Albert Ze. Il y a eu un éparpillement d’énergies sans réelle boussole. On a eu un plan triennal, un plan d’urgence qui sont venus se greffer au DSCE sans résultats palpables. Il y a eu trop d’ambition par rapport aux capacités de mobilisation des ressources. Les dépenses n’étaient pas rationnelles et en plus on a affaire à un gouvernement pléthorique incompatible avec le souci d’efficacité », ajoute-t-il. Autant de lacunes que la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 lancée il y -a quelques semaines entend combler. On attend de voir.

Le Jour n°3313

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