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Présidence de la République : les Task-forces vident les ministères

En deux ans, une demi-dizaine de comités ad hoc a été créée à Etoudi pour gérer les affaires qui relevaient jusqu’ici de la compétence exclusive des ministères sectoriels. Cette hyper concentration au Palais de l’Unité suscite des interrogations.

Son architecture institutionnelle n’a pas changé. Mais, le fonctionnement de l’Etat camerounais se modifie substantiellement depuis 2019. Cela est observable à travers l’inflation des « Très hautes instructions du chef de l’Etat » que les différents membres du gouvernement reçoivent par le truchement du secrétaire général à la présidence de la République., La dernière édition de votre hebdomadaire Expression Politique parue lundi dernier y a été consacrée.

Ces « très hautes instruction » qui traduisent une volonté de gestion directe de l’Etat à partir de la présidence de la République ont un corollaire : les Task-forces. Il s’agit des comités ad hoc créés à la présidence de la République pour gérer un ensemble de dossiers selon le pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat. Discrétionnaire puisqu’aucun texte ne recense la liste des domaines dans lesquels les task-forces doivent s’étendre. Les Camerounais découvrent au fil des jours la publication des textes faisant passer telle prérogative ministérielle sous l’égide d’Etoudi.

Des marchés de gré gré transférés à Etoudi

Le 07 septembre 2021 par exemple, le ministre délégué à la présidence de la République chargé des Marchés publics a reçu la correspondance N°B2186/SG/ PR avec pour objet : « aménagement dés modalités de recours au gré à gré en matière de marchés publics ».

Dans cette correspondance signée Ferdinand , Ngoh Ngoh, il est clairement dit que pour tout marché public à partir de cinq milliards, une autorisation préalable de la présidence de la République est requise. Le texte se veut d’ailleurs plus précis et indique que pour des prestations intellectuelles à partir de cinq milliards, un visa de la présidence est obligatoire.

En ce qui est des marchés de fournitures à hauteur de 10 milliards, le ministère des Marchés publics doit solliciter et obtenir l’aval du chef de l’Etat. En ce qui est des marchés des travaux, l’aval d’Etoudi est obligatoire lorsque le montant atteint 15 milliards. Il s’agit là pourtant d’un ministère délégué en charge de la présidence de la République.

Ce qui revient à dire que la présidence de la République ne se contente plus de définir définir la politique de la nation comme le stipule l’article 5 de la constitution en son alinéa 1. A travers les Task forces, Etoudi ne fixe plus seulement les grandes orientations, mais aussi pilote la gestion de certains dossiers. L’Article 11 de la constitution en son alinéa 1 stipule pourtant que « Le gouvernement est chargé de la mise en œuvre de la politique de la nation telle que définie par le président de la République».

Les task-forces divisent l’opinion

Pour maître Christian Ntimbane Bomo, la création des Task-Forces est une violation de la constitution. Selon cet avocat et activiste de la société civile qu’il précise critique « Tous les actes posés dans le cadre des Task Force Can 2019-2021, Covid et tous ceux qui peuvent exister sont juridiquement invalides et frappés de nullité ». Pour Christian Ntimbane Bomo„ces instances ad hoc vident les ministères sectoriels de leurs attributions pourtant consacrés par des textes juridiques que la création des Task-forces n’abolit pas.

Cet avis n’est pas partagé par le docteur Pierre Nka. Selon ce politologue, la création d’une task-force répond à un besoin d’efficacité. Il peut s’agir d’une volonté pour le chef de l’Etat d’accélérer l’aboutissement d’un dossier. En raison de sa sensibilité, un dossier qui relève de la compétence d’un démembrement du gouvernement peut être confié à une équipe à la présidence de la République. Dans ce cas, l’on peut citer l’affaire Bakassi.

Pour piloter ce dossier sensible ayant permis de récupérer la presqu’île de Bakassi qui aiguisait les convoitises du Nigeria, le chef de l’Etat avait constitué une équipe restreinte à la présidence qui intégrait certes l’expertise extérieure, mais le tout contrôlé par Etoudi. Toujours dans cette logique de la discrétion, une Task-Force a été créé à la présidence de la République en août 2001 dans le but d’acheter un avion neuf pour les déplacements du chef de l’Etat.

Ce dossier d’acquisition d’un Boeing Business Jet de deuxième génération (BBJ-2) était piloté par Marafa Hamidou Yaya, alors secrétaire général de la présidence de la République. Autant dire que si le vocable Task-force est relativement nouveau et a connu un essor sous l’actuel secrétaire général de la présidence de la République, la réalité qu’elle désigne n’est pas nouvelle. Bref, le mot est plus jeune que la chose.

Outre la Task-force devant désormais ordonner les marchés de gré à gré selon la grille présentée plus haut, une autre a été créée à la présidence de la République et s’occupe de certains dossiers relevant du ministère des Domaines et des affaires foncières.

Le Premier ministre écarté

S’il est une Task-force qui a fait beaucoup de bruits dans l’opinion, c’est incontestablement celle créée en mars 2021 pour gérer les fonds destinés à la lutte contre le coronavirus. Tout part d’une correspondance adressée par Ferdinand Ngoh Ngoh au secrétaire général du Premier ministre le 31 mars.

Le ministre d’Etat Secrétaire général de la présidence de la République, informait le Premier ministre à travers son secrétaire général qu’il a été créé, d’ordre du président de la République, une task-force à Etoudi et dont la composition se présente comme suit : un représentant des services du Premier ministre (Spm); deux représentants du ministère de la Santé publique ; un représentant du ministère de l’Administration territoriale; un représentant du ministère des Finances ; un représentant du ministère de la Défense et un représentant de la Délégation générale de la Sûreté nationale (Dgsn).

Le transfert d’une partie de leurs attributions à la présidence de la République vide les ministères de leur substance. Alors que les textes qui les créent et les organisent ne le précisent pas, les départements ministériels concernés sont placés sur la tutelle de fait de la présidence de la République. Ainsi, en plus des points de droit qu’elles soulèvent, les Task-forces suscitent des grincements de dents au sein de l’appareil gouvernement et montre au passage la place subsidiaire de la Primature.

Car, en tant qu’instance de coordination de l’exécution de la politique de la nation définie par le chef de l’Etat, le Premier ministre devait, en toute Iogique, être celui qui prend la main lorsque les ministres dont il est le chef direct s’illustrent par quelques manquements ou lorsque la délicatesse dé certains dossiers implique un suivi particulier. Etoudi en décide autrement. La raison d’Etat oblige ?

Expression Politique

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