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Cameroun Actuel

La violence : de Lumumba à Kabila

Un grand événement historique est venu mettre à l’ordre du jour de l’actualité politique la question de la violence dans l’Histoire. Il s’agit de la mort brutale de Laurent Désiré Kabila, Président de la République Démocratique du Congo. Cet événement majeur a bouleversé le rythme du Sommet France /Afrique ou Afrique/France.

Il a surtout imposé Kabila comme figure historique gênante, fascinante, inquiétante et troublante. La mort brutale de Kabila a jeté le trouble dans l’esprit des acteurs du Sommet France / Afrique. Elle a jeté dans l’angoisse ces acteurs et posé de façon radicale la question de la violence dans l’histoire, ici et maintenant, en Afrique Noire.

Le Sommet France / Afrique a voulu occulter cette question-là ; il a voulu la refouler, la banaliser. Mais la mort de Kabila est le retour brutal de ce qu’on a voulu refouler dans notre inconscience collective. Ce retour du refoulé pose entre autres questions celle du destin et de la nécessité de ce genre de sommet.

Pour le journal français, l’Express, ce genre de sommet s’inscrit dans une logique d’exploitation, de manipulation de l’ Afrique Noire par l’Occident depuis la traite négrière au XVe siècle à nos jours en passant par l’esclavage, la colonisation et la néo colonisation d’aujourd’hui. L’Express écrit : « que restera-il […] du dernier sommet Franco – Afrique ? Une

ne, après sa clôture, et malgré la compétence africaine de Jacques Chirac, la trace de cette rencontre déjà s’estompe et l’écran de fumée retombe sur une Afrique plus que jamais à la dérive. Un peu de désolation morale, un sanglot d’homme blanc, une obole pour bonne conscience et l’oubli. Jusqu’au prochain drame politique ou humain. La responsabilité du monde occidental est pourtant considérable, voire entière dans le naufrage de ce continent.

Elle se résume dans un raccourci historique qui claque comme un acte d’accusation. Deux à trois siècles d’esclavage ont privé cette terre de ses hommes, de ses fils et de son sang. La razzia s’est poursuivie avec l’exploitation systématique de matières premières, une mise en coupe réglée. Tout ce qui faisait culture, les fameux arts premiers, racines des peuples africains, a été ensuite pillé pour remplir les étagères des musées et des collectionneurs privés.

Aujourd’hui encore le sac se poursuit avec […] la chasse à grand renfort des bourses d’études des meilleurs cerveaux. Le sang, la terre, les racines, les neurones : comment l’Afrique ne serait -elle pas un grand corps épuisé ? Cessons de la fustiger, et la corrompre avec des aides aveugles qui finissent dans les comptes en suisse. Depuis des siècles, l’Occident ne tend pas la main à l’Afrique pour l’aider, mais pour lui mettre son poing dans la gueule… ».

Pour le journal camerounais Le Messager, une alternative historique s’impose : [’union africaine ou France /Afrique : Dieu n’est plus français. L’union Africaine comme l’Alternative.

Il y a comme une nécessité historique de dépasser dialectiquement le Sommet France/ Afrique en tant que sphère d’exploitation et logique de mystification idéologique et politique. D’où la séquence conceptuelle, violence/Lumumba / Kabila comme notre hypothèse de réflexion.

Dans une unanimité dont il va falloir soupçonner les enjeux idéologiques et politiques, les Chefs d’Etats, acteurs du Sommet Franc/Afrique de Yaoundé, ont condamné solennellement l’assassinat politique du Président Laurent Désiré Kabila. L’esprit philosophe est d’autant plus fondé à soupçonner cette unanimité qu’elle voudrait, consciemment ou inconsciemment occulter une vérité historiquement établie. L’être politique est confronté à une altérité radicale : la mort ou le danger de la mort.

Mr Chirac, Président de la République français, artisan et acteur du Sommet France/Afrique, connaît cette vérité historique, lui qui relève d’une tradition philosophico -politique occidentale qui a porté, au concept le sujet politique en tant que lieu de violence par excellence. En effet, il aura fallu la brutale déchirure du couple Brutus/ César pour qu’advienne la République romaine.

D’où cette formule de Saint-Just qui orienta décisivement le procès de Louis XVI et de son exécution. « On s’étonnera un jour, qu’au XVIIle siècle, on ait été moins avancé que du temps de César : là le tyran fut immolé en plein Sénat, sans autres formalités que vingt-trois coups de poignard et sans autre loi que la liberté de Rome ».

On pourra aussi convoquer ici, cet autre événement qui marqua l’histoire de la France, un siècle plus tôt, avant la révolution Française : l’assassinat du Roi Henri IV en 1610 par Ravaillac. L’Histoire de l’Angleterre n’est pas en dehors de cette logique de l’être politique aux prises avec la violence dans l’histoire. Plus d’un siècle avant la révolution française Cromwell exécute le Roi Charles 1er et instaure la République en 1649.

J’évoque ces faits historiques avérés pour suggérer à Mr Jacques Chirac, qu’au lieu de condamner sans réflexion et sous l’émotion, l’assassinat politique en Afrique, il ferait mieux de penser à la violence dans l’ordonnancement du jeu politique, notamment à celle qu’avec la complicité de la France, l’Etat néo colonial inflige aux peuples d’Afrique Noire.

Je voudrais aussi rappeler que l’Afrique Noire pré-coloniale, avant sa rencontre brutale avec l’Occident au XVe siècle, avait elle aussi sa propre tradition philosophique et politique. De cette tradition, le philosophe allemand Hegel note : « C’est la coutume dans le Dahomey que les Nègres, quand ils ne sont plus satisfaits envoient à leur Roi des œufs de perroquet, ce qui signifie qu’ils sont mécontents de son gouvernement. Parfois, on lui envoie aussi une députation qui lui dit, la charge de l’Etat ayant dû lui peser, de prendre quelque repos. Le Roi remercie alors ses sujets rentre dans ses appartements et se fait étrangle par les femmes ».

Bien avant la révolution romaine, inaugurée par la rupture brutale et sanglante du couple Brutus/ César ; bien avant la révolution française qui ’exécute Louis XVI pour fonder la République ; bien avant la révolution anglaise qui s’instaure dans et par l’exécution du roi Charles 1er.

L’Afrique Noire avait déjà pensé, formulé théorisé et constitutionnalisé le meurtre du Roi en politique. Mais à quelle fin et pour quelle fin ? Hegel note : « Dans les Etats des Nègres, se trouve constamment à côté du Roi le bourreau dont la fonction est considérée comme fort importante. Grâce à lui, le Roi se débarrasse des suspects, mais aussi bien, il peut à son tour être tué par lui si les Grands le demandent ».

Au cœur de l’Etat est donc inscrite de façon constitutionnelle et normative le couple roi/ bourreau qui structure l’univers et le champ politique négro africain. Cette dialectique roi/ bourreau est aujourd’hui refoulée dans notre inconscient collectif. Pourtant, notre univers mental en est profondément marqué. D’où cette remarque de l’historien et théologien, le Rév. Père Engelbert Mveng.

« La monarchie élective montre que le peuple demeure le fondement du pouvoir. La mise à mort du roi le confirme également ; le peuple est souverain pour élire le roi et pour le faire mourir. Il y a certainement trace d’un phénomène dont les ethnologues étudient encore les origines obscures : la mort rituelle des rois. Les critères d’élection des rois comme la mise à mort des monarques mériteraient une recherche plus poussée. Ces usages rejoignent, en effet, plusieurs coutumes africaines d’aujourd’hui ».

La persistance du couple dialectique/politique Roi /Bourreau, enfoui dans notre inconscient collectif montre que le rapport entre l’Etat et le Peuple souverain demeure une des questions fondamentales de toute pensée politique, philosophique et éthique, ici et maintenant. On ne saurait éluder cette question centrale.

Pensée à l’aune de la philosophie politique négro- africaine précédemment évoquée par le philosophe Hegel et l’historien et théologien E. Mveng, quelle est la signification historique de la mort violente et brutale du couple politique Lumumba/ Kabila ?

Historiquement, Kabila aura été le sujet politique qui a liquidé le général Mobutu. Mobutu fut la négation et l’assassin historique de Lumumba. Kabila n’a pas su gérer l’héritage politique, éthique et philosophique de Lumumba, lequel incarne un principe éthico-politique supérieur. Kabila a instauré un régime politique démentiel, un Etat sans légitimité, sans aucune armature juridico-constitutionnelle, qui n’a ni finances rigoureusement et vigoureusement organisées, ni armée républicaine. Kabila a bâti un Etat de type familial.

D’où cette formule de l’un de ses ministres : « l’apparition de Joseph Kabila sur le devant de la scène est une conséquence logique de l’épreuve de force entre les différentes tendances qui s’affrontent autour de Kabila et qui est une preuve éclatante de la gestion familiale de l’Etat ».

Ici se révèlent les limites objectives de Kabila en tant que sujet politique. Mais de s’être proclamé l’héritier de Lumumba, il a fait resurgir de notre inconscient collectif le mythe fondateur qu’est Lumumba.

Historiquement, pour le Monde Noir, Lumumba incarne un principe supérieur auquel le Peuple Noir doit désormais arriver : l’indépendance, la liberté, et la dignité. Dans ce principe, l’Occident voit une mise en question de ses intérêts. Il décrète Lumumba comme son ennemi absolu et le condamne à mort.

Nul n’a mieux exprimé philosophiquement cet antagonisme radical, Occident / Lumumba /Afrique Noire que le philosophe Français Jean-Paul Sartre qui écrit : « Lumumba, vivant et captif, c’est la honte et la rage d’un Continent tout entier : il est présent à tous comme une exigence qu’ils ne peuvent ni remplir, ni écarter ; en lui chacun découvre la puissance et la férocité de la combinaison néocoloniale ».

Il faut liquider Lumumba, incarnation vivante d’une exigence éthico – politique, donc d’un principe supérieur. Telle est la décision brutale et cynique de l’Occident. « Donc, il faut en finir au plus vite ; l’impérialisme garde les mains nettes ; ses deux principaux représentants, Kasavubu et le minable Mobutu, ont intérêt devant leurs populations, à n’avoir pas versé ce sang. Tschombé tuera […] On efface un Noir qu’on avait fait Premier Ministre et qui avait pris au sérieux sa mission […] On espère […] que le mort gênera moins que le vivant : un défunt, ça s’oublie ; que peut -on faire pour lui ? De lui ? Toute raison d’appeler leurs frères à une croisade libératrice sera ôtée aux Africains, trop agités par le seul coup de baïonnette […] En tout cas, voilà le calcul. Il est faux, comme on le sait ».

Pour Sartre, Lumumba est un Mythe fondateur, un principe supérieur. Lumumba incarne un mouvement politique, philosophique et éthique. Il en fut le martyr. Sartre écrit : « mort, Lumumba cesse d’être une personne pour devenir l’Afrique tout entière, avec sa volonté unitaire, la multiplicité de ses régimes sociaux et politiques, ses clivages, ses discordes, sa force et son impuissance : il ne fut, ni ne pouvait être le héros du panafricanisme, il en fut le martyr. Son histoire a mis en lumière, pour tous, le lien profond de l’indépendance, de l’unité et de la lutte contre les trusts ; sa mort […] est un cri d’alarme ; en lui tout le Continent meurt pour ressusciter ».

Lumumba nous a légué un message fortement exprimé dans une lettre/ testament adressée à sa compagne, Pauline Lumumba, notre Mère /médiatrice, notre Isis. C’est la dernière et la seule lettre qu’il ait pu écrire à son épouse avant d’affronter courageusement, froidement, dignement, son destin tragique. Dans cette lettre/testament, Lumumba convoque l’Histoire, lieu depuis lequel s’expriment les passions humaines, notamment celles des peuples en tant qu’ils sont acteurs historiques, pour nous prescrire des exigences historique et éthiques.

Lumumba nous indique que chaque peuple dans l’Histoire, définie comme lieu d’affrontement d’intérêts, doit découvrir par lui-même son destin, ses exigence éthiques ; qu’il est seul à pouvoir les former, les assumer, les poser et les affirmer partout où cela s’avère nécessaire ; qu’aucun autre peuple ne doit pouvoir agir en ses lieu et place au titre d’avocat, d’interprète, de substitution qui sont autant s’actes d’usurpation, philosophiquement, moralement intolérables et insupportables. Chaque peuple est son propre médiateur, son propre avocat qui porte aux autres peuples de l’Histoire universelle son propre message et ses exigences. Chaque peuple doit pouvoir écrire son histoire singulière dans l’Histoire universelle.

Lumumba écrit : « brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays plutôt que de vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ça ne sera pas l’histoire qu’on enseignera aux Nations-Unies, Washington, Paris ou Bruxelles, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre Histoire et elle sera au Nord et au Sud du Sahara, une histoire de gloire et de dignité ».

C’est le panafricanisme dont il fut le martyr qui doit aujourd’hui exprimer et traduire en actes l’histoire qu’évoque si fortement et si solennellement Lumumba. On sait par ailleurs que l’un des théoriciens le plus audacieux du panafricanisme fut Frantz fanon. D’où cette thèse du philosophe J.P Sartre : « Lumumba, Fanon : ces deux grands morts représentent l’Afrique. Non pas seulement leur Nation : tout le Continent ».

Le couple FANON / LUMUMBA, c’est l’unité dialectique du Continent / Mère et de sa diaspora. C’est dans la diaspora noire des Antilles et des Etats – Unis qu’a été forgé le panafricanisme, philosophie politique de libération du Peuple Noir. Le but ultime du panafricanisme est la formation des Etats -Unis d’ Afrique.

La guerre civile et étrangère à laquelle est confronté le Congo constitue par son ampleur et par les acteurs historiques qui y sont impliqués, la première Grande guerre négro/africaine. Le panafricanisme dont Lumumba fut le Martyr et Fanon le théoricien est aujourd’hui confronté à cette tragédie politique.

Ceux et celle d’entre nous que l’histoire, par la voix légitime du Peuple souverain aura désignés pour mener à son terme cette terrible guerre négro/ africaine, devront s’appuyer sur le panafricanisme dont L’Union Africaine, en voie de formation constitue déjà une esquine positive.

Yaoundé, le 30 Janvier 2001

Par SINDJOUN POKAM, « Philosophe

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