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Art musical : Mbolé, de l’anonymat à la reconnaissance

Parti des sombres veillées funèbres où il faisait danser plus d’un, le Mbolé est un rythme qui force l’admiration aujourd’hui au Cameroun et dans une grande partie du monde. Plus le temps passe, plus il prend de l’ampleur. C’est un style de musique qui, au-delà de l’art, vise à exprimer un mode de vie de ces jeunes des banlieues.

Le Mbolé se popularise avec le temps à travers la jeunesse des grandes villes du Cameroun. Ce rythme venu des sous-quartiers existe depuis déjà deux décennies, selon ses précurseurs. L’artiste PetitVirus les mentionne dans les paroles d’une chanson : « ça a commencé avec Bertrand Loïc Phil Massinga, Aristide Paco a pris les choses, Petit Malo a développé, et Petit Virus a récupéré. Lesmboleyeurs, il faut élever le niveau… »

Ce rythme de musical est issu du ghetto des quartiers populaires de Yaoundé tels que Nkoldongo, Etam-Bafia, Essos, AnguissaMvogAda… Il est à l’origine un genre dit d’animation. A ses débuts, il se jouait surtout lors des veillées funèbres pour garder les invités de ces tristes soirées en éveil. Il était aussi joué pour y apporter un peu plus de couleur. Il faut dire que la plupart du temps, les mboleyeurs n’étaient pas invités officiellement à ces événements. Ils s’y invitaient tout seuls et commençaient simplement à animer.

Venu des quartiers populeux

Un style d’animation aussi car il est surtout improvisé. Que ce soit au niveau des instruments souvent utilisés dans notre quotidien qui produisent du son, et le célèbre Djembé (une sorte de tam-tam). Mais improvisé aussi au niveau des chants sous forme d’atalaku (des dédicaces) ou encore de louanges et de chants populaires.

Enfin improvisé jusqu’au style de danse utilisé, inspiré de leur quotidien à l’instar de la danse du « mongol », la danse de la marmite, la danse des « pédés », etc. Toutes des imitations de personnes ayant des comportements inhabituels, empruntés et exécutés avec humour. Si à la base ce style de musique ne se jouait qu’en live, il s’est retrouvé peu à peu dans les studios d’enregistrement pour manifester cette « révolution ».

Plusieurs personnes affirment que ce sont des artistes tels que Dj Lexus et Petit Maloqui en sont à l’origine. C’est grâce à leurs titres « Ekondo » et « Dans mon kwatta » respectivement, qu’on a observé cette révolution. Le rythme, peu à peu, a commencé à sortir des quartiers pour toucher plusieurs autres villes. De nombreux jeunes ont suivi leurs pas, notamment Petit Bozart, les CrazyMix, Petit Virus et le groupe Médecin de Medeline.

Dans une interview accordée à nos confrères de Culture Ébène, Dj Lexus a affirmé que le Mbolé ne saurait être comparé ou intégré dans un autre style. « Le Mbolè c’est la musique du kwatta, la musique des veillées comme on le dit généralement. Le Mbolè, c’est la musique qui regroupe toutes les autres musiques. Lorsqu’il y’a un décès au quartier vous allez voir des jeunes qui descendent avec le Djembé à la veillée en interprétant tout genre de musique, en faisant des parodies et en interprétant aussi leurs propres compositions. C’est cette musique, qui anime les veillées et certains mariages, que moi j’ai décidé de révolutionner », explique-t-il.

Plus qu’un rythme, un mode de vie

Mais en quoi le Mbolé est-il un mode de vie ? Pour répondre à cette question, il suffit de faire un tour dans les quartiers où ont vécu ou vivent encore ces jeunes artistes. Une petite visite guidée à Nkoldongo ou Etam-Bafiapermet alors de découvrir le ghetto dans lequel ces jeunes vivent. Des quartiers très populaires, aux habitations modestes, parfois invivables pour certains.

Des rues poussiéreuses où se rencontrent des jeunes le soir généralement pour passer du temps à jouer au football, au Djambo (jeu de cartes), ou même pour se doper au chanvre chinois (communément appelé le banga). Dans ces quartiers difficiles, les jeunes vivent très souvent sans repères. La plupart, n’a pas réussi à aller au bout de ses études, faute de moyens ou simplement à cause de l’insouciance.

Généralement, ils finissent pickpockets, grands criminels ou simplement vagabonds et prostituées. Une chose est certaine, ils partagent tous cette « niaque » légendaire qui se manifeste par une volonté absolue de quitter la vie difficile dans laquelle ils vivent pour une meilleure. Ceci d’autant plus que parmi eux, il y en a qui ont réussi à s’en sortir dans des disciplines sportives ou dans des business informels.

Ce sont d’ailleurs ces personnes qui ont énormément contribué à la vulgarisation de ce genre de musique. A l’instar d’OyongoBitolo qui a créé le groupe de danse baptisée la Bibizaine, constituée essentiellement de ces jeunes issus de ces quartiers. Ou encore Alexandre Song qui à travers ses réseaux sociaux donne de la force au quartier Essos.

Il a récemment acheté 300 t-shirts des « tranches d’ananas » pour 6 000 FCFA l’unité, soit 1 800000 FCFA, en soutien à ce nouveau concept. De ce fait, le Mbolé comme mode de vie se manifeste en trois choses notamment : les instruments et le rythme, le message de leurs chants, et l’esprit qui s’y dégage.

Rythmes et instruments

Si aujourd’hui le Mbolé se joue dans les studios et est plus informatisé, il faut néanmoins dire qu’à l’origine, il se joue avec des objets souvent récupérés autour de nous. Parfois des bancs en bois, des ustensiles du quotidien qui produisent assez de son. Toutefois, les principaux instruments du Mbolé sont le Djembé et le claquement des mains.

Le Djembé est un instrument de musique originaire de l’Afrique de l’Ouest, notamment de l’empire Mandingue au Mali. Il s’est ensuite exporté à travers l’Afrique et l’Occident. Communément appelé Tam-tam, c’est un instrument solo qui produit un son plus ou moins aigu et qui en général, se fait accompagner d’autres instruments.

Le Djembé est tout ce qui donne son sens au rythme du Mbolé. Il est souvent accompagné d’un autre instrument assez atypique appelé le « répondant », qui n’est autre que le claquement des mains. Ce sont ces objets qui donnent tout son sens au Mboléet qui apportent le rythme nécessaire pour produire ce show.

S’il est difficile de définir clairement quel est le genre du Mbolé, certains affirment que c’est un style de musique qui se rapproche du bikutsi. Même si pour les fondateurs, il n’en est rien. Dj Lexus précisait dans une interview que « le Mbolé n’est rien d’autre que le Mbolé ». Si à l’origine il se chante de façon énergique, la nouvelle génération y apporte un peu plus de douceur. Souvent pour exprimer des moments de tristesse ou d’amour.

Des textes forts Quand on parle de textes forts ici, ne vous attendez pas à des lyrics aussi profonds que ceux de Keri James ou Sia ou encore proche de nous, de Richard Bona ou BelkaTobis. Les textes forts se réfèrent tout simplement au côté cru des lyrics que l’on retrouve dans le Mbolé. Ces artistes ont une grande facilité à exprimer leur vécu quotidien sans filtre.

Le message dans la plupart des chansons Mbolé tourne autour des scènes du ghetto, la chanson « dans mon kwatta » de Petit Malo illustre parfaitement. Les Mboleyeurs dans leurs textes ne cherchent pas à séduire ou à impressionner. Ce qui rend leur musique particulière, c’est ce côté naturel autant au niveau de la voix que du message véhiculé.

Dans leurs textes, ces jeunes expriment la dureté de la vie et leur volonté de sortir du ghetto pour changer de vie. Ils mettent également en lumière des comportements déviants comme la consommation de stupéfiants, un moyen de sensibilisation que petit Bozard exprime dans son titre « détecteur de gué ».

Dans les textes de la nouvelle génération, on note une grande volonté de faire accepter et adopter le Mbolé par tous. C’est pourquoi les chansons sont beaucoup plus travaillées et les textes plus recherchés. Il faut dire qu’ils s’ouvrent à de nouvelles thématiques telles que l’unité nationale chantée par Petit Bozard, ou encore la sensibilisation autour du Corona virus chantée par Ellano Boss dans le titre « Corona au Nom de Jésus ».

Sans oublier les louanges populaires chantées lors des veillées ou encore des compositions telles que « Alleluia » des Médecins de Medeline. Plusieurs autres thématiques sont développées dans ce genre de musique notamment le vol, les déviances, la pauvreté, l’espoir, la joie.

L’esprit derrière le Mbolé

A l’analyse, l’esprit que l’on retrouve derrière le Mbolé va au-delà de la simple vie du ghetto. C’est plus profond que cela. Le Mbolé exprime la vie. La joie de vivre. Une volonté de vivre sans vie, sans soucis.

Comme le coupé-décalé en Côte d’Ivoire, le Mbolé est une musique qui se veut dansante. Lorsqu’on est entouré des voix graves de ces chanteurs ou des sonorités du Djembé, on oublie tout, on vit l’instant présent. C’est une sorte de libération, de révolte contre la vie qui n’a jamais été facile pour ces jeunes. Mais par dessus tout, le Mbolé étant une musique populaire, il prône l’unité, la fraternité.

C’est la raison pour laquelle les jeunes d’aujourd’hui s’y identifient facilement. Derrière le Mbolé, il n’y a pas un socle culturel. C’est une musique qui n’appartient à personne si ce n’est à tous ces jeunes du ghetto. Aujourd’hui même encore il traverse les villes et touche de nombreuses. C’est cet esprit d’unité qui donne toute sa force au Mbolé et si cela est préservé on peut être sûr que de meilleurs jours attendent ces jeunes.

La place des femmes

Il est vrai que le Mbolé est un style de musique dominé par les hommes, et est même très masculin. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les chanteurs de Mbolé en général se retrouvent dans des lieux où on trouvera peu de femmes. Par exemple, les stades de football, les carrefours populaires, le « terre », lieu de vente et de consommation de stupéfiants ou encore les veillées funèbres. Il faut alors être une femme très à l’aise en compagnie des hommes pour y avoir accès.

Néanmoins, il existe effectivement des filles qui dansent le Mbolé, avec autant d’énergie et de maîtrise que les hommes. Il existe même des chanteuses de Mbolé telles que Achley, Djeni Djay pour ne citer que celles là. D’après Dj Lexus, « c’est un rythme qui est difficile pour les femmes. Pour chanter le Mbolé il faut être une fille du kwatta ».

Même si à ce jour plusieurs professionnels de la musique refusent de voir le potentiel de ce style, il faut avouer qu’en terme d’identité musicale, dans la musique urbaine au Cameroun, seul le Mbolé peut se vanter de cette casquette. En réalité ce qu’on appelle aujourd’hui musique urbaine camerounaise manque énormément d’identité. Et c’est ce qui rend difficile son positionnement sur la scène musicale internationale.

La musique urbaine camerounaise d’aujourd’hui, ressemble plus à une pâle copie de l’afrobeat du Nigeria, ou encore du coupé décalé de la Côte d’Ivoire. Et pourtant quand on regarde de plus près, le Mbolé n’a rien à voir avec cela. C’est une musique de jeunes camerounais qui tire son inspiration de notre culture. Une véritable identité camerounaise.

Quand on écoute le Mbolé, il ne ressemble à rien d’autre qui vienne d’ailleurs. Ce n’est rien d’autre que le Mbolé. Heureusement que ces jeunes l’ont compris et commencent peu à peu à se positionner dans ce domaine de la musique camerounaise qui malheureusement commence à être ennuyeux.

D’autres artistes de l’ancienne génération l’ont d’ailleurs compris, à l’instar de Roger du groupe X-Maleya qui a sorti un son au rythme du Mbolé intitulé : « Piripipi » ou encore Michael Kiessou dans le titre « MboléBennam »

Enfin que l’on soit originaire de Nkolndongo ou de Bastos, le Mbolé représente aujourd’hui une véritable opportunité pour la musique urbaine camerounaise. On peut dire que sûrement, l’avenir de notre musique urbaine, c’est le Mbolé ! Autant mieux s’y mettre!

L’Expression

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