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Cameroun Actuel

Opinion : à quoi servent les débats du dimanche ?

Au Cameroun, le parti au pouvoir se gargarise quotidiennement de sa majorité éléphantesque à l’Assemblée Nationale et au Senat. Celle-ci enregistre les lois comme le feraient de simples agents du courrier et c’est tout bénef pour le grand parti national.

Et comme les opposants sont embastillés et interdits du moindre meeting politique, c’est à la télévision et à la radio (surtout sur des chaines privées) que se déroule l’essentiel des débats qui engagent la vie de la nation.

Le Cameroun est donc une démocratie… cathodique. Belle trouvaille que l’on pourrait sans peine breveter à l’Oapi, question de donner encore plus de contenance historique à l’ingénierie créatrice de ceux qui nous gouvernent.

Mais qu’entend-t-on sur nos ondes ? Quel est le niveau de ces débats dominicaux qui semblent impacter la vie sociale ? Et puis quels en sont les acteurs, les débatteurs ? Répondre à ces questions demande qu’on se replonge dans l’incroyable maelstrom qui inonde nos ondes.

Que l’on s’impose la pénitence de ces joutes cacophoniques où nos maitres de la parlote rivalisent d’approximations et de provocations.

Du gribouilleur désargenté qui se démène pour un hypothétique positionnement jusqu’au politicien infortuné qui se cherche un firmament en passant par l’intellectuel passe-partout qui joue son va-tout, tout est bon à prendre pour tenir le peuple en haleine.

Pour l’essentiel, les « intellectuels » conviés parlent sans références, personne ne reconnait leurs faits d’armes scientifiques. Ils n’ont quasiment pas écrit de livre mais ils sont experts en tout. Le matin ils dissertent sur l’environnement, à midi ils vous servent un peu de science politique avant de terminer en soirée (aux petits trots) avec un bon débat de sport. Et si vous êtes toujours d’attaque, ils peuvent même prolonger l’affaire avec un after sur l’astrologie.

Cause toujours… tu m’intéresses !

Et les hommes politiques alors ? Du bon menu fretin. Aucun gestionnaire de crédit ne vient à ses débats qu’ils dédaignent comme s’il s’agissait de randonnées de la pègre. Un ministre de la République se paie des détours biennaux par ces plateaux pour mieux les dénigrer par ses postures.

Aucun homme politique d’envergure ne s’inflige cette souffrance. Dès qu’ils ont un semblant d’adoubement par le suffrage, ils y envoient leurs lieutenants qui s’en servent avec hardiesse pour espérer une certaine renommée.

Paupérisés à l’extrême, les journalistes de la presse privée s’accrochent à la bouée de sauvetage. Pour eux, participer à ces débats est quasiment vital. Ils s’efforcent de bien y figurer, de glaner une certaine reconnaissance pour ensuite espérer quelques deals ombrageux. Devenir de petites mains en charge de sales besognes des hommes politiques.

Les moins ambitieux se contentent d’une reconnaissance au quartier. Quand la voisine leur glisse un « je t’ai vu à la télé », ils laissent échapper un sourire satisfait tout en devisant sur la veste qu’ils abhorreront à la prochaine invitation. Question de lui en mettre plein la vue.

Le philosophe français Gilles Deleuze disait que les débats ne servent à rien parce que ceux qui y participent ne changent pas leurs positions de départ. Vérité en deca des Pyrénées car chez nous, les débats sont déterminants. Ce sont de grandes séances cathartiques où le peuple frustré et martyrisé retrouve voix au chapitre.

Des gens ergotent sur tout et sur rien sans réellement impacter le processus de décision. Cette agora de la doxa leur donne l’impression d’exister. Le temps d’un débat, Ils nagent dans une bulle démocratique.

Dans leurs salons cossus, les hommes de l’élite dirigeante boivent du petit lait. Ils encouragent ce défouloir qui conforte leur pouvoir. Parlez, tant que ça vous chante. Causez toujours, si ça peut vous soulager. Nous on avance.

Hiondi Nkam IV
Journaliste
Doctorant en Philosophie

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